:quality(70):focal(665x457:675x467)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/ZW3FCQ5TLVAODPHPXXMTA73SZQ.jpg)
Avec cinq concerts en moins d’une semaine dans trois formules différentes, du mardi 10 au samedi 14 décembre, pour une première dans l’Hexagone, les Frères Cippe devraient marquer les esprits curieux de découvrir la tradition guyanaise, et ses possibles ramifications. «La tradition est quelque chose de vivant. C’est pour ça qu’on cherche de nouvelles sonorités en lien avec notre quotidien», explique Armelle Cippe, chanteuse et principale arrangeuse du groupe. A ses côtés, son époux, Steeve Cippe confirme cette intention de réformer le patrimoine culturel dans lequel ce tambouyen a grandi avec ses frères. Il est même l’élément moteur en qualité de principal compositeur, et il en a toute la légitimité enseignant les tambours au conservatoire, comme Armelle y professe le chant. Avant eux, le paternel Reno Cippe, «un dòkò, c’est-à-dire un ancien qui détient l’enseignement de la musique créole», y avait aussi prodigué sa science des rythmes – sept principaux dont l’emblématique «kaséko», un genre à part entière – qui forment la base de leur musique.
«On est tombés dedans comme Obélix, rit à l’autre bout du fil Steeve. Depuis l’âge de 3 ans, comme mes six frères et trois sœurs. Tout le monde joue et chante ! C’est bien de connaître sa culture, et cela va au-delà de la musique : les plantes, la faune…» A 46 ans, le tambour désormais majeur porte ces valeurs ancestrales, comme il a eu le temps de mesurer l’évolution de la perception d’une musique née dans les campagnes, longtemps mal vue par les urbains. «Les parents interdisaient aux enfants d’aller écouter ou jouer du tambour dans les bals konvwé, l’espace où se joue de coutume la musique créole. Aujourd’hui, ça a évolué : il y a plus d’ouverture, des jeunes qui ne sont pas issus de famille de tambouyens s’y mettent, ça s’inscrit dans une démarche d’une recherche d’identité…» Certes, mais l’une comme l’autre admettent qu’il est encore difficile de vivre de sa musique en Guyane, surtout quand elle est d’inspiration traditionnelle, «la case où nous sommes classés, précise Armelle Cippe. On commence enfin à s’organiser vers la professionnalisation.» La programmation dans le festival Africolor, en Seine-Saint-Denis, s’inscrit en ce sens pour ceux qui jouent avant tout dans les fêtes familiales, les veillées, et bals konvwé, mais qui ont déjà pratiqué d’autres terrains de jeu, notamment avec le groupe EZPZ, tendance electro jazz.
«Un fragile équilibre»
Tambours battants et polyphonies entraînantes, s’ils appuient sur les rythmes qui composent la tradition guyanaise, il arrive aussi aux frères Cippe d’en proposer des variations. «Pour s’adapter aux autres, il faut changer un peu notre manière de jouer. C’est un fragile équilibre, qui exige du temps», assure Steeve Cippe, le plus porté de la fratrie vers ce mouvement. C’est le cas avec Wakanda ETNi, qui n’est autre qu’une cousine Cippe. Installée depuis une vingtaine d’années en banlieue parisienne, elle y a développé sa propre identité : l’afromazonia. Soit «des influences du tribal, house, soul, trad, jazz… Il y a beaucoup de percussions, colombiennes comme cubaines, et bien entendu guyanaises. Ma base, c’est le continent sud-américain», insiste celle dont le surnom s’inspire d’un terme Lakota (une partie des Sioux) qui signifie «guerrière» et qui sonne «afro».
A lire aussi
Fruit d’une résidence baptisée «De la peau à l’electro», initiée en 2023 à Cayenne, cette rencontre entre les pads électroniques et les tambours sonne pour tous comme une évidence. Steeve Cippe, un des rares facteurs de tambours dans les règles de l’art, avait même créé pour l’occasion un assemblage de deux fûts qu’il ne pourra pas trimballer outre-Atlantique. En revanche, il devrait encore prendre bien du plaisir à frapper les peaux, boosté par les trépidantes sonorités de l’amapiano. A les écouter, cette création les rapproche quelque part d’une Afrique qu’ils n’ont jamais foulée. Et pour la jeune femme qui a mixé à Tokyo comme à Dakar, c’est l’occasion de remettre la tradition dans la matrice. «Même si les Guyanais sont très à cheval sur cette question, ce que je fais permet d’ouvrir d’autres fenêtres, d’aiguiser la curiosité pour savoir d’où tout ça vient. Alors oui, je suis dans la tradition, car la source, ce sont nos tambours.»
«Après avoir râlé, les anciens nous ont peu à peu acceptés»
C’est une autre extension, cette fois vers le jazz, à laquelle les frères Cippe ont œuvré avec le saxophoniste Samy Thiébault. Ce dernier les a invités sur son disque In Waves après une création lors du festival de Cayenne, où figurait aussi le tambouyen guadeloupéen Fanswa Ladrezeau. «On a trouvé la solution par les mélodies, et donc il a fallu faire un travail de recréation, en changeant les rythmes et même les harmonies jazz», se souvient le saxophoniste. Encore une fois, la fratrie Cippe a bousculé les entendements des tenants de la tradition. «Après avoir râlé, les anciens nous ont peu à peu acceptés. Et puis étant enseignants, on est aussi les gardiens de la tradition», analyse Steeve. Ils la propagent ainsi, aussi, convertissant de plus en plus d’élèves.
Qu’ils soient en format traditionnel ou en formations ouvertes, les frères Cippe demeurent ancrés dans leur terroir, dont ils portent les valeurs à travers d’explicites messages. «Nos textes appellent à un retour aux racines, parce que notre culture nous permettra d’avancer et à devenir meilleurs. Les frères Cippe ont la chance de vivre encore au rythme du tambour malgré la modernité qui nous entoure», résume Armelle Cippe. La déforestation et le réchauffement climatique qui menacent font partie de leurs thématiques. Tout comme en cas de mouvement contre la vie chère, ils assurent que le tambour sera devant. En 2017, lors de la grève générale, Gwiyann mo péyi, le traditionnel frappé par le patriarche René Cippe, ne fut-il pas l’hymne de tout un peuple ?
Leave a Comment