«Pendant la toilette, il a approché son sexe pour que je lui fasse une fellation» : les infirmières à domicile aussi victimes de violences sexistes et sexuelles

«Pendant la toilette, il a approché son sexe pour que je lui fasse une fellation» : les infirmières à domicile aussi victimes de violences sexistes et sexuelles

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Dans la mallette de certaines infirmières libérales, aux côtés des compresses, seringues et comprimés, une bombe lacrymogène au poivre s’échappe parfois d’une poche latérale. «D’autres avouent être équipées d’une petite matraque», un outil devenu pour elles «indispensable pour se sentir en sécurité», déplore Daniel Guillerm, président de la Fédération Nationale des Infirmiers, premier syndicat national des professionnels libéraux. J’ai de plus en plus de témoignages similaires, et c’est en cela que c’est inquiétant.»

Alors qu’une étude inédite de l’Ordre National des infirmiers a révélé mercredi que plus de la moitié des infirmières françaises dans le privé ou en libéral, avaient déjà été victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS) dans le cadre de l’exercice de leur profession – un chiffre qui atteint près d’un quart pour les hommes – les soignants intervenant à domicile veulent mettre en lumière la particularité de leur statut d’indépendant, et «les risques démultipliés» qui y sont associés, note Daniel Guillerm. Pour cette catégorie d’infirmiers, les auteurs des violences sont moins d’autres soignants ou des responsables hiérarchiques que les patients, à qui «ils sont confrontés directement, mais surtout, et c’est ce qui est le plus dangereux, seuls».

«En libéral, les auteurs de VSS sont ainsi à plus de 80 % des patients», relève John Pinte, président du Syndicat National des infirmières et infirmiers Libéraux. «Tout se déroule dans l’intimité du domicile. Certains se sentent surpuissants, et ne parviennent plus à trouver la limite entre professionnel et intime. Et si malheureusement il arrive quelque chose, l’infirmière doit s’en tirer, là encore toute seule, à la différence d’un infirmier en hôpital qui peut tenter d’aller chercher de l’aide», ajoute celui qui est également infirmier libéral.

«L’image de l’infirmière nourrit encore de nombreux fantasmes»

Laurence, ex-infirmière à domicile de 60 ans, se souvient de trois agressions commises par des patients. Avant cela, lors de sa carrière hospitalière, elle «n‘avait jamais rencontré de tels problèmes». Le premier accident arrive en 2003. «Je faisais la toilette à un monsieur au lavabo. Et alors que j’étais accroupie en train de lui mettre son pantalon, il m’a attrapée par le menton et m’a rapprochée de son sexe pour que je lui fasse une fellation», retrace celle qui a arrêté de travailler en 2022. Laurence se fige alors. Elle se relève, dit au patient que «c’est terminé» et quitte les lieux.

Quelques années plus tard, en 2008, autre agression. La soignante se rend au domicile d’un homme diabétique. «Lorsque je suis entrée dans sa chambre, j’ai vu qu’il m’attendait. Il m’a plaquée contre le mur, puis il m’a allongée de force sur le lit», retrace l’infirmière. Elle parvient heureusement à se dégager de ses mains, à se relever et à fuir. Lorsqu’elle contacte le médecin traitant pour l’informer de l’agression, celui-ci rétorque que «quand même, qu’est-ce qu’il pourrait bien vous faire à son âge».

Puis en 2010, Laurence explique avoir de nouveau «eu très peur». L’infirmière se rend chez un patient âgé d’une trentaine d’années. Elle sonne. Il lui ouvre la porte, «à poil», la fait entrer, et «referme immédiatement la porte à clés» derrière elle. Au fond de son studio, l’infirmière remarque que des «cassettes porno défilent sur la télé». «Je me suis immédiatement sentie en danger», retrace-t-elle, tout en précisant qu’elle réussit à s’enfuir rapidement.

Si le rapport de l’Ordre national des infirmiers permet alors de mettre un premier chiffre sur ces agressions, Daniel Guillerm explique que ces faits étaient malgré tout déjà «connus dans la profession, il s’agissait d’un secret de polichinelle». Et le professionnel de santé de constater : «L’image de l’infirmière aux petits soins du médecin et nue sous sa blouse est encore inscrite dans l’inconscient collectif. Ce cliché dur à combattre nourrit encore de nombreux fantasmes. Le slogan “ni bonne, ni nonne, ni conne”, utilisée il y a quelques années lors de manifestations, est plus que jamais d’actualité.»

L’infirmier également victime

En outre, aux côtés de ces nombreuses infirmières victimes de réflexions inappropriées, d’outrages sexistes comme des propositions outrancières ou encore d’agressions sexuelles, des infirmiers – très minoritaires dans ce secteur à plus de 85 % féminin – doivent eux aussi faire face à de tels comportements. Florian, infirmier libéral âgé de 42 ans, est sans cesse «confronté à des propos très insistants». «Ah ! Qu’il est bien foutu !», «on va aller faire la douche ensemble», «faîtes bien mousser entre les jambes», «je vais te croquer» sont autant de phrases entendues par le soignant, à qui l’on propose souvent de rester dîner le soir, voire de rester dormir.

Des propositions «qui peuvent être très insistantes», poursuit l’infirmier. «Les patients font souvent passer ces allusions comme accidentelles, mais elles ne le sont pas du tout. Ils considèrent encore les infirmières et les infirmiers comme des serviteurs au service entier de leur maître», complète-t-il, tout en déplorant une «normalisation de ces comportements». Des gestes déplacés, «des mains baladeuses» qui deviennent presque «l’ordre normal des choses».

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De plus, de nombreux infirmiers se déclarent victimes d’agressions verbales à caractères homophobes. «Si un patient réussit à savoir qu’un infirmier est homosexuel, alors automatiquement, s’il y a un reproche à faire, ça va tout de suite être sur cet axe-là, et non sur ses compétences», fustige Sylvie Ciron, infirmière membre du syndicat Converge Infirmière. Elle ajoute avoir recueilli plusieurs témoignages d’agressions homophobes, à la fois en ville, mais également en secteur rural isolé.

Peur de perdre des clients

Pour autant, malgré cette violence quotidienne, «les infirmières et infirmiers n’osent jamais porter plainte», poursuit Sylvie Ciron, qui explique que «les VSS sont intériorisées». Un constat que partage Florian, l’infirmier quadragénaire : «En tant que libéral, on a tellement peur de mettre un coup à la réputation de notre cabinet en portant plainte, et de perdre des clients, que l’on est souvent découragé de le faire». Malgré toutes les affaires de VSS «qui lui parviennent», il avoue «ne connaître personne qui aurait porté plainte».

Laurence, infirmière libérale victime à trois reprises de violences sexuelles et sexistes, confie aussi que «l’idée de porter plainte ne [lui avait] jamais effleuré l’esprit» lors de sa première agression. Lors de la deuxième non plus, car «la parole ne s’était pas encore libérée comme aujourd’hui». Ce sera seulement lors de sa troisième que l’ancienne soignante se décide à aller déposer une main courante à la gendarmerie.

Pas de droit de retrait pour la profession

Et au-delà de cette problématique, toutes les personnes interrogées par Libération pointent du doigt un autre écueil : le code de déontologie des infirmiers. Ce texte oblige les soignants à «assurer la continuité des soins» à un patient, même en cas d’agression. «Et si ce n’est pas nous qui y allons, ce seront nos collègues. C’est comme les envoyer au casse-pipe», déplore John Pinte. Si un soignant décide, malgré tout, d’arrêter de se rendre au domicile en question, il prend le risque d’être envoyé en chambre disciplinaire. Et donc de perdre son emploi.

Sylvaine Mazière-Tauran, présidente de l’Ordre des Infirmières, soutient ainsi qu’il est «indispensable de faire évoluer ce texte pour que nous puissions nous protéger». Elle poursuit : «Aujourd’hui, nous sommes dans un système qui protège les auteurs de ces violences, qui savent très bien qu’ils ne seront pas sanctionnés. Il faut changer les mentalités». La présidente de l’Ordre explique alors avoir proposé une révision de ce texte, de manière à créer un article «qui stipulerait qu’un infirmier mis en danger – par des VSS par exemple – puisse exercer un droit de retrait et ne pas retourner chez le patient en question». Elle conclut : «c’est maintenant au ministère de donner son avis.»

Libération

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