Visite du pape en Corse : la ferveur et la fierté d’une île, en attente de reconnaissance

Visite du pape en Corse : la ferveur et la fierté d’une île, en attente de reconnaissance

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L’affaire, emblématique, a donné lieu à un sérieux bras de fer entre l’Etat et la Collectivité de Corse. Les yeux brillants, le sourire qui s’élargit, Gilles Simeoni, dans son bureau de président du conseil exécutif de l’île, savoure sa victoire acquise de haute lutte. Dimanche soir, le pape François, après avoir passé une douzaine d’heures à Ajaccio, repartira vers l’Italie à bord d’un avion d’Air Corsica, la compagnie insulaire. Tout un symbole ! Traditionnellement, lors des voyages pontificaux, l’appareil qui ramène le pape chez lui est affrété par la compagnie nationale qui a dû, cette fois-ci, s’incliner. «Vous imaginez la fierté des 800 salariés d’Air Corsica, s’enthousiasme Gilles Simeoni. Ils voulaient tous faire partie de l’équipage.»

Le président, joyeux comme un enfant, l’avoue, il «n’arrive plus à travailler». Son enthousiasme et sa fierté sont au diapason de celles de la Corse. Ce dimanche, le voyage pastoral – selon l’appellation officielle, qui le distingue d’une visite d’Etat – de François est qualifié par chacun «d’historique».

«Que le pape vienne dans notre petite île, c’est incroyable !», s’exclame Michèle, retraitée du journalisme. Habitant en périphérie d’Ajaccio, inaccessible ces jours-ci à cause du stationnement drastiquement restreint, elle s’est repliée, avec son mari, «au village», comme on dit en Corse, celui du berceau familial. «La sidération est encore palpable dans toute l’île», résume l’historien Antoine-Marie Graziani. Jamais un souverain pontife n’avait en effet foulé le sol corse, malgré la proximité géographique et historique. Ajaccio est à 300 kilomètres de Rome. Et ce bout de Méditerranée, une montagne dans la mer, a des liens singuliers, comme beaucoup le rappellent ces temps-ci, avec la papauté.

Pied de nez à Emmanuel Macron

Du roi des Francs Pépin le Bref (au VIIIe siècle) jusqu’à la Révolution française, la Corse, même administrée par Gênes, était une possession pontificale. Si personne ne veut politiser l’affaire, il y a de fortes attentes envers François. Le collectif anti-mafia «A maffia nò, a vita ié» (Non à la mafia, oui à la vie) a demandé au pape de condamner une nouvelle fois (il l’a fait par le passé, à Naples) la «lèpre mafieuse» qui sévit sur l’île. Le parti nationaliste Nazione, de son côté, lui a adressé une lettre de quatre pages. «En terre corse, votre parole est attendue pour contribuer à une paix réelle, une paix respectueuse de l’existence d’un peuple millénaire et résolument déterminé à vivre», y lit-on.

Impatiente d’accueillir le chef de l’Eglise catholique, la Corse est littéralement galvanisée par le fait que le pape a refusé d’aller à Paris pour la réouverture de Notre-Dame avant de venir huit jours plus tard à Ajaccio. Beaucoup y voient un pied de nez au président de la République, Emmanuel Macron, qui fera dimanche un service minimum, rencontrant François à l’aéroport juste avant son départ pour rentrer à Rome, mais snobant le reste de la journée. Le cardinal évêque de Corse, François Bustillo, proche du pape et par qui ce voyage peut avoir lieu, rame à contre-courant, clamant qu’il ne faut pas opposer les deux événements. Sans vraiment convaincre.

Ajaccio est pavoisé aux couleurs jaune et blanc du Vatican. Dès le terminal de l’aéroport, s’affichent des «Benvenuti in Corsica a papa Francescu» (bienvenue en Corse au pape François). Non loin du port, un hôtel, placé sur le parcours de la papamobile, arbore une haute croix de tissu rouge portant l’inscription : «Papa Francescu biniditici» (pape François, bénissez-nous). A la cathédrale, les facteurs d’orgue accordent l’instrument, des bénévoles terminent les décorations de Noël. La crèche est, cette année, particulièrement grandiose. Malgré les rubalises qui interdisent l’accès à l’édifice, Claudie, 70 ans, est venue l’admirer. «C’est bien pour toute l’île que le pape vienne nous visiter, dit-elle. J’habite à la sortie d’Ajaccio, je vais essayer de le voir sur son parcours.»

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Léna termine d’installer de jolis tissus sur la pente inclinée que le fauteuil roulant du pape va emprunter pour entrer, vers midi, dans la cathédrale pour rencontrer le clergé local. Gilles Simeoni sera là pour l’accueillir. L’édifice est la propriété de la Collectivité de Corse. Les bancs, fabriqués par un menuisier corse, ont été changés, la façade, ravalée. «C’était prévu en 2025, explique Simeoni. On a juste accéléré le mouvement.» Avec ses 14 tapissières décoratrices, Léna est aussi chargée de la décoration de l’estrade, où la messe sera célébrée dimanche après-midi, aux jardins du Casone, sur les hauteurs de la ville. «Nous étions déjà à Marseille en septembre l’année dernière [pour le précédent déplacement du pape, ndlr]», raconte-t-elle. «A Marseille, ils ont eu neuf mois pour préparer la venue du pape ; nous, nous devons tout faire en trois semaines», clame-t-on avec fierté à Ajaccio. Pour faire face au manque d’hébergements (les hôtels ont été pris d’assaut), un ferry d’une des compagnies maritimes de l’île est amarré au port. Près de trois cents personnes y dorment chaque nuit depuis le début de la semaine : des militaires et des employés techniques.

Laïcité inclusive

Officiellement, le pape vient conclure un colloque sur la religiosité populaire en Méditerranée, qui se tient samedi à Ajaccio. Cette piété, celle du peuple, est très vivace en Corse à travers les confréries qui connaissent un grand regain et touchent les jeunes, les processions et les cultes aux saints dans les villages. Ce choix de l’île est dans la droite ligne de son pontificat. Celle-ci résonne avec des thèmes qui sont chers à François : la Méditerranée comme carrefour des cultures et des religions mais aussi dramatique cimetière pour les migrants ; les périphéries ; le choix du peuple plutôt que des élites. Ce qui n’est pas sans risque parfois, y compris en Corse où une mouvance d’extrême droite, rassemblée notamment autour de l’association Palatinu, tente d’instrumentaliser l’identité chrétienne pour rejeter immigrés ou étrangers.

D’autres préfèrent mettre en avant la laïcité singulière qui se vit dans l’île, dont l’hymne, le Dio vi salvi Regina, est un chant religieux. «Elle se situe entre celle de la France et de l’Italie. Les lois de la République s’appliquent, bien évidemment, en Corse. Mais ici, cela ne choque personne que des élus participent à des processions religieuses», explique Jean-Guy Talamoni, ancien leader nationaliste, professeur d’histoire culturelle à l’université de Corte. Preuve de cette laïcité inclusive et d’une cohabitation possible : l’association «Les bienfaiteurs marocains de la Corse» (une importante communauté marocaine vit ici) a fait un don de 10 000 euros au diocèse pour contribuer au financement du voyage du pape. L’île attend que le pontife prononce quelques mots en corse, voire qu’il salue, en tant que tel, le peuple corse. Indépendamment des réticences visibles de l’Etat, la journée de dimanche s’annonce déjà triomphale pour le pape François.

Libération

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