« Il est plausible que le bilan du cyclone Chido à Mayotte ne se compte qu’en dizaines de victimes »

« Il est plausible que le bilan du cyclone Chido à Mayotte ne se compte qu’en dizaines de victimes »

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Cyclone Chidodossier

En l’absence de vague de submersion et de glissements de terrain sur l’île, Delphine Grancher, qui a mené un étude sur le bilan de l’ouragan Irma en 2017, estime crédible l’hypothèse évoquée par François Bayrou.

Combien de morts à Mayotte à cause de Chido ? Dans la foulée du passage du cyclone samedi 14 décembre, le préfet du 101e département avait déclaré : «Il y aura certainement plusieurs centaines [de morts], peut-être approcherons-nous le millier, voire quelques milliers.» Et dans les jours suivants, le chiffre de 60 000 victimes a circulé sur les réseaux sociaux. Mais le bilan, de 39 victimes selon un décompte de la préfecture mardi 24 décembre, pourrait être bien moindre : lundi sur BFM TV, le Premier ministre François Bayrou a avancé qu’il se compterait «en dizaines» plutôt qu’«en milliers». Cette réévaluation d’ampleur peut surprendre. Elle semble néanmoins réaliste, estime la chercheuse Delphine Grancher, statisticienne et géographe (Laboratoire de géographie physique) qui a notamment mené une étude sur le bilan humain de l’ouragan Irma à Saint-Martin, en 2017. Pour elle, la difficulté est désormais de faire face aux rumeurs, qui risquent de mettre en doute le bilan officiel des victimes, si fiable soit-il.

L’estimation de François Bayrou sur le nombre de morts à Mayotte vous semble-t-elle plausible vu ce que l’on sait de la catastrophe ?

Il est évidemment difficile d’être catégorique sans être sur place, et tant qu’un bilan consolidé du nombre de victimes n’a pu être établi. Le tsunami de 2004 en Asie du Sud-Est avait provoqué des dizaines de milliers de morts : dans les jours suivant la catastrophe, des cadavres étaient découverts tous les jours. Et dès les premières inhumations, des listes étaient établies, les gens pouvaient dire qui était mort, parce qu’ils connaissaient les victimes, portaient le deuil, etc.

Dans le cas de Mayotte, en l’absence de vague de submersion et d’important glissement de terrain (les facteurs de mortalité les plus importants dans le cas d’un cyclone), il est plausible que le bilan ne se compte qu’en dizaines de victimes. Le fait que peu de gens sur place (ou peu de Mahorais de l’Hexagone) aient connaissance de victimes laisse supposer qu’elles ne seraient pas si nombreuses qu’on ne le craignait. Si on compare avec les Caraïbes, les cyclones les plus intenses y font rarement plus d’une centaine de morts.

Certains disent que c’est parce que les victimes seraient principalement des sans papiers, en marge de la société.

Les personnes sans papiers ne sont pas des personnes sans société. Comme tout le monde, elles recherchent leurs proches après la catastrophe, enterrent leurs morts et font leur deuil, entretiennent des liens avec le reste de la population. Les décès de ces personnes ont donc, comme les autres, toutes les chances d’être connus et identifiables.

Lors du passage de l’ouragan Irma à Saint-Martin, on a d’abord pensé que tous les sans papiers qui avaient refusé de suivre les ordres d’évacuation étaient morts. C’est faux : y compris pendant la catastrophe, les gens se sont organisés entre eux, se sont regroupés dans les maisons jugées les plus solides, et pendant le passage de l’œil du cyclone qui représente un moment d’accalmie des vents, ils ont pu bouger pour mieux se protéger.

Dès le 15 décembre, le préfet de Mayotte a évoqué un bilan atteignant quelques milliers de morts. Etait-ce une erreur « originelle » propice aux rumeurs les plus fantaisistes ?

Non. Le préfet était sans doute sincère lorsqu’il a prononcé ces mots. Et de toute façon, des appréciations hasardeuses auraient circulé : dire qu’un événement « est trop grave pour qu’il y ait peu de morts », phrase que j’ai entendue dans la population de Saint-Martin comme dans celle de Mayotte, est pour les individus une façon de marquer l’importance de la catastrophe. Reste que la communication sur le bilan des morts est un enjeu sous-estimé de la communication de crise. Annoncer un lourd bilan avant de le réduire, c’est compliqué pour la suite car cela alimente les rumeurs. Il faut oser savoir dire qu’on ne sait pas.

Pourquoi ces chiffres gardent-ils une valeur alors la situation sur place montre visiblement autre chose ?

On imagine toujours le pire pour les gens dont on n’a pas de nouvelles. Or, les réseaux de communication ont été interrompus durant plusieurs jours. Quand on habite sur le lieu touché par la catastrophe, on va prendre des nouvelles des proches et du voisinage mais supposer que les gens qui sont loin ou dans des quartiers qu’on ne connaît pas sont morts.

Ceux qui vivent hors de l’île n’ont pas la même vision de la catastrophe : quand on ne reconnaît plus rien en voyant les premières images, on s’imagine des centaines de morts. C’est ainsi que les vidéos où des gens affirment que « le bilan va être énorme » circulent et alimentent la rumeur. Et comme toute rumeur, que certains alimentent à dessein, il y a toujours de nouvelles raisons d’y croire en dépit des démentis argumentés.

Sera-t-il possible d’établir rapidement un bilan fiable ?

Le préfet a annoncé des survols de drones pour repérer des corps, en plus des opérations déjà menées sur le terrain. Par ailleurs, les choses se précisent localement : les maires mahorais sont très investis dans le recensement des défunts, les autorités religieuses ont connaissance des enterrements et des rites funéraires, sans compter les journalistes qui documentent la situation. Cela pourrait être une affaire de jours. Mais pas sûr que ces chiffres seront crus.

Libération

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