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Climat Libé Tour : interview
Avec son amie et modèle Cheyreen Gherab, la photographe Yohanne Lamoulère aborde, à l’occasion du Climat Libé Tour, la place des quartiers populaires marseillais dans les enjeux écologiques locaux.
Yohanne Lamoulère est photographe. La quarantaine. Depuis vingt ans, elle photographie Marseille (notamment pour Libération) et travaille sur tout ce qui touche de près ou de loin aux quartiers populaires. Leur quotidien, leurs amours, leur environnement. Elle sort en février un court-métrage, l’ŒiL noir. Cheyreen Gherab, elle, est chargée de recrutement. Elle habite le quartier de la Bricarde, dans le 15e arrondissement. Elle joue l’un des premiers rôles dans le film de Yohanne Lamoulère, après avoir posé pour de nombreuses photographies. Ce samedi 19 octobre, elles étaient réunies au Mucem pour le Climat Libé Tour, aux côtés de Djellali El Ouzeri – alias Dj Djel –, membre de la fameuse Fonky Family, pour répondre à la question : «Comment embarquer tous les Français et surtout les populations les plus vulnérables ?» Chacune avec son regard – celui de l’artiste et celui de l’habitant.
Quelle sera la place de l’écologie dans votre futur film ?
Yohanne Lamoulère : Le but, c’est de filmer les quartiers populaires comme des quartiers d’usage, et qui sont, contrairement aux quartiers parisiens, extrêmement verts. Les quartiers marseillais sont comme des poches d’urbanité avec des espaces verts entre elles. Ce film, c’est aussi dire que les quartiers sont des lieux de circulation, de liberté, d’épanouissement. Pour dire que c’est plus complexe que ce qu’on en projette.
Le film a-t-il pour ambition de redonner aux habitants des quartiers populaires un certain pouvoir écologique ?
Y.L. : C’est une volonté politique de reprendre la parole. Cheyreen est la plus à même de témoigner de ce qui se passe dans les quartiers populaires. Pourquoi avoir des intermédiaires ? Pourquoi avoir des gens qui prennent la parole à notre place ? Autant la prendre directement.
Vous photographiez Marseille et ses quartiers depuis vingt ans, quelles mutations environnementales observez-vous ?
Y.L. : On a toujours aussi peu de parcs urbains à Marseille, comparé à d’autres grandes villes. Sans parler des plages, qui sont de plus en plus réglementées. C’est une dépossession des habitants de leur ville. Si les habitants sont de plus en plus dépossédés de leurs espaces, qui sont des espaces de liberté, ça va exploser socialement. Notamment chez les jeunes.
Quand vous photographiez des jeunes, vous parlez d’écologie avec eux ?
Y.L. : J’ai été élevée par un photographe qui s’appelle Jean Favier (qui a notamment travaillé sur le film la Haine) en me disant que la photographie, c’est un morceau de papier. On s’en fout du résultat. Moi, ce qui compte, c’est ma rencontre et mon histoire avec Cheyreen. Et aussi toutes ces heures de discussion qui m’ont fait évoluer. Discuter avec les modèles m’a beaucoup fait réfléchir sur ce que je fabrique.
Et entre habitants de quartiers populaires ?
C.G. : On n’en parle pas tellement. J’en parle parce que je m’énerve contre ceux qui jettent des déchets par terre. Mais on n’emploie peu le terme d’écologie dans les quartiers, c’est un mot qui a l’air tellement éloigné.
C’est une honte d’en parler ?
C.G. : Ce n’est pas une honte, mais il y a des préjugés. On a l’impression que c’est un mot qui ne peut sortir que de la bouche des bobos.
C’est quoi l’écologie marseillaise de demain ?
Y.L. : On nous vend le programme Euroméditerranée comme la ville écologique de demain. Mais ça a quoi d’écologique ? On reproduit la même architecture que dans les années 70. Qu’est-ce qui est futuriste là-dedans ? Et il y a la clim dans tous les appartements. Ce qui n’est pas le cas dans les quartiers populaires.
C.G. : J’ai l’impression que dans les nouvelles architectures, il y a une volonté de maîtriser les espaces verts, de rendre tout très organisé.
Y.L. : Quand je discutais avec Cheyreen des lieux de tournage, j’ai senti que c’était parmi les espaces où les promoteurs n’avaient pas spéculé que c’était très sauvage. De ce qu’on en voit, les nouveaux aménagements n’ont rien de naturel. C’est une artificialisation de ce qu’on considère comme un espace vert. Ce n’est pas ça la ville de demain. En tout cas pas celle où j’ai envie que mes enfants grandissent.
Vous avez peur de ce que peut devenir Marseille à l’horizon 2030-2040 ?
Y.L. : Je ne pense pas, dans les quartiers populaires, on ne changera jamais, on est encore loin de la gentrification.
C.G. : Moi, j’ai peur. On voit des immeubles qui sont détruits de partout. Qu’est-ce qui sera fait des friches ? J’ai peur que les quartiers deviennent trop aseptisés, que je voie plus le gris que le vert. Je n’ai pas tellement peur de la gentrification. Ça pourrait apporter de nouveaux venus.
Y.L. : Dans ce cas, l’enjeu, c’est de ne pas déplacer les populations déjà établies pour de nouvelles, comme on l’a déjà vu au Plan d’Aou, par exemple.
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