Clément Sénéchal : «L’écologie bourgeoise fait basculer des parties entières des classes populaires vers l’extrême droite»

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Climat Libé Tour : interview

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Auteur d’un essai fustigeant notamment l’écologie du spectacle, le spécialiste des questions climatiques Clément Sénéchal revient sur l’urgence de retravailler la question écologique à partir des inégalités réelles.

Responsable pendant plusieurs années du plaidoyer chez GreenPeace France, Clément Sénéchal, expert des enjeux climatiques, milite pour une écologie révolutionnaire qui tranche radicalement avec celle «du spectacle» dans laquelle s’embourbent les ONG depuis des années. Auteur de l’essai Pourquoi l’écologie perd toujours, il décrypte les causes politiques qui conduisent systématiquement l’écologie dominante à l’échec. Présent au Climat Libé Tour à Marseille pour débattre de la question «La justice peut-elle sauver la nature ?», il revient sur la nécessité d’une écologie populaire, les inégalités subies par les populations vulnérables face à la catastrophe climatique et la passivité complaisante des «professionnels de l’écologie».

L’écologie est-elle réservée aux classes privilégiées ?

L’écologie telle qu’elle s’est constituée dans les années 70 a été codée plutôt comme une cause des élites. Pourquoi ? Parce qu’il s’est construit dans ces années-là une écologie du spectacle, de la sensibilisation, qui a mis complètement la question sociale de côté. Elle s’est positionnée comme une cause qui surpasse le clivage politique, en réalité assez inoffensive, qui a donc pu être récupérée facilement par les classes dominantes. Sauf que les classes populaires qui essaient de joindre les deux bouts sont imperméables à cette écologie de la sensibilisation : il faut avoir du temps, des ressources économiques pour changer son mode de vie. Il faut aussi avoir des ressources culturelles pour accepter ces injonctions morales et surplombantes. La sobriété chez les classes populaires, elle n’est pas choisie, elle est subie, ça s’appelle la pauvreté.

Pouvez-vous développer la notion d’écologie du spectacle ?

L’écologie du spectacle, c’est cette écologie symbolique où l’on va faire des mises en scène, de la désobéissance civile non-confrontative, où l’on va mettre des banderoles par-ci et par-là. Ce qui compte à la fin, c’est l’image. Ça va être aussi le fait d’aller servir de caution à ses adversaires en occupant et acceptant des fonctions purement ornementales dans un gouvernement hostile. C’est l’art du plaidoyer, où l’on va rencontrer des ministères qui n’en ont strictement rien à faire. C’est l’art de faire semblant, de sauver les apparences parce qu’on n’est pas capables de sauver le monde.

Qui sont les adversaires de l’écologie ?

Il y a les adversaires déclarés et ceux qui la desservent. Le capitalisme génère des logiques de concentration des pouvoirs entre les mains d’une classe sociale qui n’a pas intérêt à la transformation écologique de la société. Elle a besoin de préserver ses intérêts, or la crise écologique a introduit une tension extrêmement forte sur le régime d’accumulation capitaliste, puisqu’on dépasse les limites planétaires en impactant les écosystèmes au-delà de leur résilience. Mais il y a aussi ceux qui desservent la cause, tous ces professionnels de l’écologie, membres des ONG, qui refusent de se salir les mains. Ils restent dans le périmètre du spectacle et s’arrêtent toujours avant de devenir utiles, parce qu’aujourd’hui ils ont trop à perdre pour gagner réellement leurs batailles.

De quelle manière les classes populaires subissent-elles plus les impacts du réchauffement climatique ?

Il y a toutes les populations vulnérables qui ne sont pas en capacité de s’équiper suffisamment pour s’adapter au changement climatique. Ce sont les catégories populaires qui subissent aussi la pollution d’une manière extrêmement brutale : les pollutions sonores, chimiques ou lumineuses, par exemple. Elles sont reléguées proches des sites industriels qui génèrent des externalités négatives intenses, comme les incinérateurs ou les autoroutes. On a un exemple très récent sur les inondations : il y a en France des gens qui ont été durement impactés et qui perdent leur maison, mais au même moment il y avait au Soudan 261 000 déplacés climatiques, dans un pays qui participe très peu aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’injustice sociale et climatique détermine la réalité écologique du monde.

Quelles pistes pour sortir de ces impasses ?

Il y a une urgence à recoder la question écologique à partir des inégalités réelles, d’introduire une écologie du clivage dans les rapports sociaux. Il faut une écologie de la lutte des classes et que la bourgeoisie sensibilisée accepte de se mettre au service des classes populaires. L’écologie doit devenir antifasciste, parce que l’un des principaux freins à la transformation sociale, c’est la fragmentation des classes populaires par le racisme. Or il y a toute une écologie bourgeoise qui fait basculer des parties entières des classes populaires vers l’extrême droite, parce qu’elles se sentent victimes d’une forme de violence symbolique de l’écologie officielle. Il faut ensuite consolider les alliances de classe possibles pour massifier le mouvement de contestation contre l’ordre établi.

Libération

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