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Les bateaux de croisière jettent l’ancre dans la rade de Villefranche-sur-Mer, même l’hiver. Le 17 janvier, un paquebot a encore bouché l’horizon de la rade. Ses balcons sur fond blanc et son profil imposant donnent un air d’immeuble sorti des flots. Une image que Christian Estrosi ne veut plus voir sur ses rivages. Le président (Horizons) de la métropole Nice Côte d’Azur annonce «interdire» ces «grosses unités» dès juillet. Une mesure qui, si elle avait été mise en place en 2024, aurait tenu éloigné 80 navires, soit «en moyenne 70 % de fréquentation en moins».
Nul besoin de vote en conseil métropolitain pour interdire les croisières. La préfecture maritime à la gestion du transport. La métropole Nice Côte d’Azur celle des ports. Il suffira à la métropole d’interdire d’accoster sur ses quais. Car, pour Christian Estrosi, les paquebots sont des «monstres des mers» : «Je suis pour le tourisme choisi, pas le tourisme subi, a-t-il formulé lundi lors de sa cérémonie des vœux. Le tourisme low-cost qui déverse des foules anonymes, ça détruit tout. Ça pollue et ça étouffe les villes.» Selon la préfecture maritime, en 2024, 220 bateaux ont fait escale dans la métropole, à Nice et Villefranche-sur-Mer.
Pissaladière et socca sur le cours Saleya
Farid Rouabah est taxi à Villefranche-sur-Mer. Cette interdiction impacte «très gros» son activité économique, les croisiéristes représentant 70 % de son chiffre d’affaires. Le 17 janvier, ce chauffeur a travaillé quatre heures. «J’ai transporté des dames américaines très âgées. Elles ont acheté deux T-shirts à Eze, elles ont mangé au restaurant à Villefranche.» A Nice, Farid Rouabah fait toujours le même tour : premier stop à la cascade, une photo «very beautiful», la pissaladière et le morceau de socca sur le cours Saleya. «Quand j’entends dire que les bateaux ne rapportent rien dans le secteur, ce n’est pas vrai. Ils font marcher des restos, les magasins de souvenir, le tabac, les stands des artisans, énumère Farid Rouabah. Demain on peut faire banqueroute.»
L’interdiction de débarquement est une annonce concomitante à la tenue de la Conférence des Nations unies sur l’Océan, qui se tiendra à Nice en juin. «C’est une victoire du combat écologiste, se réjouit l’élue verte niçoise Juliette Chesnel. Mais en parallèle de cette annonce tonitruante, il y a encore les yachts, l’extension de l’aéroport. Il y a assez peu de cohérence dans les politiques écologiques.» Une décision en décalage, dans une ville qui brandit l’argument touristique à chaque événement sportif et qui se réjouit de nouvelles liaisons aériennes depuis la Chine. D’autant que les croisières ne sont pas toutes persona non grata dans la métropole niçoise. Les navires jusqu’à 190 mètres et 900 passagers auront toujours l’autorisation de débarquer. C’est le cas des chics et chers croisières des groupes Club Med et Ponant.
«Les plus modestes exclus du droit à naviguer»
Christian Estrosi veut s’orienter vers un tourisme plus vert, plus vertueux, plus luxueux. Les gros bateaux, «c’est le tourisme du monde d’avant, et ça n’a plus rien à faire en Méditerranée et en France, estime l’élu. Ces bateaux, c’est un peu au tourisme ce que le fast-food est à la gastronomie.» Mais la Côte d’Azur est-elle prête pour ce tourisme haut-de-gamme ? Il faut que les infrastructures hôtelières, de restauration et de loisirs suivent. Et cela veut aussi dire s’extraire du tourisme bon marché. Pour la conseillère écologiste SE Hélène Granouillac, «une telle mesure n’est acceptable qu’en y associant certaines conditions préalables [dont] la justice sociale. Le «tourisme premium» défendu par la collectivité exclut le droit à naviguer de plus modestes.»
Si les croisières ne peuvent plus accoster sur la métropole de Nice, où vogueront-elles sur la Côte d’Azur ? La ville de Cannes mène ce même combat depuis 2018. Mais les paquebots continuent de mouiller au large, un endroit qui relève de la responsabilité de l’Etat. Le maire LR David Lisnard milite donc pour un pouvoir de police au-delà de la bande des 300 mètres. Le 12 novembre encore, il écrivait au Premier ministre Michel Barnier pour l’avertir que les maires «ne disposent d’aucun pouvoir ou prérogatives pour contrôler les navires». En attendant, David Lisnard fait signer aux 32 compagnies maritimes qui croisent dans sa baie une charte environnementale. En 2023, sa baie a accueilli 175 escales et 400 000 passagers. Cannes affiche complet.
A Villefranche-sur-Mer, le chauffeur de taxi Farid Rouabah attend le prochain paquebot. Il proposera une course vers le musée Chagall à Nice ou les ruelles de Saint-Paul-de-Vence : «On les emmène partout.» Farid Rouabah dispose des dates d’escale jusqu’en décembre 2025. Sauf si l’interdiction vient contrarier les plans de voyage.
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