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Meurtres, viols, maltraitance… Les forces de sécurité tunisiennes, financées par l’Union européenne (UE) pour réduire les flux migratoires à destination de l’Europe, sont accusées de commettre de graves abus contre des exilés subsahariens. Au cours des dernières années, de nombreux médias et organisations de défense des droits humains ont révélé l’ampleur d’un phénomène que Bruxelles a longtemps minimisé pour atteindre ses objectifs.
Alors que l’UE avait jusqu’à présent ignoré ces accusations, le journal britannique The Guardian révèle que la Commission européenne a décidé de revoir sa politique de financement envers la Tunisie. L’institution élabore désormais des «conditions concrètes» pour délivrer ses paiements au pays nord-africain en fonction du respect des droits humains. Ces conditions auront un impact sur des paiements estimés à plusieurs dizaines de millions d’euros sur une période de trois ans. Des sous-comités devraient être formés au cours des prochains mois pour «redynamiser» la relation avec Tunis, selon un responsable européen cité par le quotidien.
Expulsions collectives
Cette décision intervient dix-huit mois après la signature d’un accord controversé, prévoyant une aide financière européenne d’environ 105 millions d’euros pour renforcer les contrôles migratoires en Tunisie. A l’époque, Bruxelles assurait que cette coopération aurait lieu dans le «plein respect du droit international». Or, les forces de sécurité tunisiennes ont été accusées à de nombreuses reprises de commettre des violations graves des droits humains à l’encontre des migrants et réfugiés subsahariens, qui utilisent souvent la Tunisie comme pays de transit avant de tenter de rejoindre l’Europe en traversant la mer Méditerranée.
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A l’été 2023, Libération avait documenté des expulsions collectives arbitraires de Subsahariens à la frontière avec l’Algérie. Les exilés y étaient abandonnés en plein désert, sous une chaleur étouffante frôlant les 50 degrés, sans eau ni nourriture. Des victimes rencontrées sur place décrivaient alors le même mode opératoire : des migrants interpellés à Sfax, point de départ vers l’Europe, parfois tabassés puis conduits à bord de véhicules jusqu’à des régions inhospitalières, près de la Libye et de l’Algérie. Dans une longue enquête publiée en septembre, The Guardian révélait que la garde nationale tunisienne avait violé des centaines de femmes subsahariennes, frappé des enfants et collaboré avec des passeurs.
Baisse des arrivées irrégulières en Europe
Dans un rapport récent, la médiatrice européenne Emily O’Reilly a conclu que la Commission européenne n’avait pas été suffisamment transparente sur les informations qu’elle détenait concernant les violations des droits humains en Tunisie. Elle a notamment dénoncé le fait que l’UE ne communique pas clairement sur les abus documentés ou les mesures prises pour les arrêter. Selon l’ancienne journaliste irlandaise, l’accord signé entre l’UE et la Tunisie semble avoir donné la priorité à la réduction des flux migratoires au détriment des droits fondamentaux des migrants. Selon Frontex, les franchissements irréguliers des frontières de l’UE ont ainsi diminué de 38 % en 2024, atteignant leur niveau le plus bas depuis 2021. Cette baisse est notamment due à une chute du nombre d’arrivées par la Méditerranée centrale (-59 %), en particulier depuis la Tunisie.
Les organisations de défense des droits humains espèrent que le durcissement de la position de l’UE envers la Tunisie de Kaïs Saïed pourrait entraîner des actions similaires contre d’autres pays avec lesquels des accords ont été conclus pour limiter l’immigration vers l’Europe. Sous l’impulsion de l’Italie, l’UE a signé en 2017 un partenariat avec la Libye, incluant un soutien financier et technique aux garde-côtes. Or, les exilés interceptés en mer sont souvent renvoyés dans des centres de détention où ils subissent des traitements inhumains : tortures, violences sexuelles, extorsion ou encore travail forcé.
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