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Un port tranquille et des amarres solides offerts à des destins à la dérive : ancré à Cavaillon (Vaucluse), le Village maintient vaillamment le cap depuis trente et un ans. «On prend tout le monde. Même les gens les plus cassés», résume Serge Mazoué, président de cette association membre du mouvement Emmaüs France. L’équipe dirigeante du Village a appris à faire du sur-mesure et à jongler avec tous les dispositifs sociaux destinés aux plus précaires. L’un des nombreux leviers utilisés consiste à louer un toit pour des sans-abri, puis à faire glisser le bail à leur nom «quand tout va bien pour eux».
«On dirait un peu une maison de Hobbit»
Laurent, 54 ans, cheveux longs et regard clair, fait partie des 23 bénéficiaires de cette action Logement d’abord. Après une quinzaine d’années passées dans la rue, le voilà maraîcher. Depuis huit mois, cet ancien cuisinier cultive vingt-quatre heures par semaine les trois hectares de jardin qui s’étendent sur le site du Village, à sept kilomètres de Cavaillon. Devant les rangs de poireaux, de choux et de courgettes qui seront servis dans les cantines de l’association ou garniront les paniers de légumes bio vendus aux adhérents, Laurent se souvient : «Quand le Village m’a contacté, je vivais sous une tente et je faisais la manche. Ces gens ont changé ma vie. Aujourd’hui, je travaille ici, je touche la prime d’activité, et je vis dans un studio à Cavaillon que l’association me sous-loue. J’arrive même à mettre de l’argent de côté.»
Piloté par 18 administrateurs (bénévoles) et 37 salariés permanents, soutenu par de nombreux partenaires institutionnels, mécènes, fondations, donateurs privés ainsi que par une soixantaine de bénévoles, le Village gère aujourd’hui trois lieux d’accueil de jour et cinq places en hébergement d’urgence. Un dispositif spécifique s’adresse à des personnes étrangères «à droits incomplets» et accueille également dix familles ukrainiennes. Depuis 2012, cette association loi 1901 dispose aussi de 33 places dans une maison commune établie sur son site. Dans cette «pension de famille» affiliée au réseau de la Fondation Abbé-Pierre, chacun peut rester le temps nécessaire. Il en va de même pour dix maisonnettes construites au sein du Village.
Mike, 63 ans, occupe l’une d’elles depuis trois ans. Cet ancien barman désigne son chez-lui en souriant : «On dirait un peu une maison de Hobbit, dans le Seigneur des anneaux, non ?» Un séjour, un coin cuisine, une salle d’eau, une chambre à l’étage : Mike n’en demandait pas plus. Près de la fenêtre, il a épinglé une photo de Marilyn Monroe dont le sourire irradie la pièce. «C’est une grande chance d’avoir ce logis, reconnaît-il. Après mes deux ans de prison, j’ai été hébergé par une association qui ne pouvait pas m’aider plus de trois mois. Je ne sais pas ce qui se serait passé si le Village ne m’avait pas accueilli… Je n’avais pas de plan B.» Mike explique payer 150 euros par mois pour son toit, et 100 pour les repas à la cantine associative. «Grâce aux APL et à l’allocation adulte handicapé, je mets un peu d’argent de côté et j’espère pouvoir prendre ma retraite l’an prochain.»
«J’ai pu arrêter mes conneries»
Le Village, c’est aussi un chantier d’insertion qui emploie 150 personnes par an et s’organise autour de deux pôles : écoconstruction et alimentation. Mike travaille bénévolement à la transformation de fruits et légumes : «On récupère chez les paysans les denrées abîmées et on en fait des confitures, des compotes, des chips végétales, des jus de fruits…» Dans cet atelier antigaspi, où douze tonnes de fruits et légumes bio ont été transformées l’an passé, on croise un autre cabossé de la vie : Damien, 39 ans, un ancien ferrailleur dont la vie s’est stabilisée depuis 2022 grâce aux contrats d’insertion qu’il a signés avec le Village. Lorsqu’il parle de l’association, ce père de famille peine à contenir son émotion : «Nos encadrants ne cherchent ni gloire ni renommée, ils s’investissent et font bouger les choses. Ils m’ont aidé pour mes papiers administratifs, parce que je n’y comprends rien. Grâce à eux, j’ai pu récupérer mon permis de conduire, et arrêter mes conneries.»
Vincent Delahaye, directeur du Village, balaie du regard le site en énumérant les multiples activités déployées depuis cette ruche : maraudes, événements festifs, résidences d’artistes, reconditionnement de vieux vélos revendus ou donnés à des demandeurs d’asile… Un autre projet repose sur une ferme qui accueillera huit détenus en fin de longue peine afin de préparer leur sortie du monde carcéral.
Seule ombre au tableau, de tels programmes se heurtent parfois à la défiance accrue envers «l’autre», ainsi qu’aux réticences ou à la frilosité d’élus locaux. «On nous met des bâtons dans les roues à coups de préemption, de recours au tribunal administratif ou d’obstruction», déplore le président du Village. Mais son ton ne laisse aucun doute : il en faudrait bien davantage pour entamer la détermination de l’équipe.
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