Un agriculteur a-t-il failli faire trois ans de prison pour avoir détruit un barrage de castor ?

Un agriculteur a-t-il failli faire trois ans de prison pour avoir détruit un barrage de castor ?

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«C’est l’histoire d’un agriculteur et d’un castor.» Derrière ce titre intriguant, aucun conte pour enfant, mais une vidéo partagée par Laurent Wauquiez sur Instagram le 23 janvier. Le patron des députés LR prend prétexte du cas «d’un agriculteur de Saône-et-Loire [qu’il connaît]» pour mieux réclamer la suppression de l’OFB, l’Office français de la biodiversité. Ledit agriculteur, c’est Frédéric Brochot, éleveur à Autun, par ailleurs engagé en politique sous l’étiquette divers droite, en tant que conseiller municipal d’opposition et vice-président du conseil départemental de Saône-et-Loire. D’après le récit de Laurent Wauquiez, l’intéressé «avait une partie de ses terrains qui étaient inondés à cause d’un barrage» – une image de castor apparaît alors à l’écran, on comprend qu’il est question de cet animal. «L’OFB, financé par nos impôts, traque cet agriculteur, le piège et organise [son défèrement] en justice en le menaçant de trois ans de prison», narre l’ancien président de région, lui-même en délicatesse avec la justice administrative. Le désormais député conclut : «Notre objectif, c’est de supprimer l’OFB.»

Laurent Wauquiez joint ainsi sa voix à une large vague de reproches adressés à l’OFB. Le 14 janvier, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre François Bayrou avait estimé que certaines inspections d’agents de l’OFB relevaient de l’«humiliation» et de la «faute». Depuis, l’exécutif s’est attelé à désamorcer les tensions avec l’OFB, reçu à Matignon, puis défendu par la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. «L’OFB ne disparaîtra pas, parce que [ses agents] ont des missions qui sont essentielles», a fait valoir la ministre le 26 janvier sur France 3.

Mais les députés LR, en rang derrière leur président Laurent Wauquiez, continuent de multiplier les saillies contre l’organisme. Récemment, Josiane Corneloup, élue de Saône-et-Loire, prônait ainsi sa «dissolution». Et déclarait dans l’hémicycle : «Nous sommes arrivés à un tel point de bêtise […] que dernièrement, dans mon département, l’OFB n’a pas hésité à traîner devant les tribunaux un éleveur [ayant] commis le forfait, tenez-vous bien, d’ouvrir un barrage fait sur un ruisseau par des castors».

Certains à l’extrême droite, à commencer par Eric Ciotti, portent la même revendication. Côté RN, la députée Sophie-Laurence Roy lançait encore lundi, sur le réseau social X, en réaction aux déboires de Frédéric Brochot : «L’OFB doit changer radicalement ou disparaître.»

L’histoire à laquelle ces parlementaires se réfèrent a été rapportée pour la toute première fois le 10 janvier, sur le site Autun Infos. Photos à l’appui, Frédéric Brochot témoignait auprès de ce petit média local : «Les agents de l’OFB sont enfermés dans leur idéologie.» Dans un post publié sur Facebook le 7 janvier, il fustigeait déjà : «L’OFB semble vouloir imposer des idéologies extrémistes.»

Les jours suivants, l’affaire a largement été relayée dans les médias, que ce soit à l’échelle locale ou nationale. Sur Europe 1, dès le 14 janvier, une chronique est consacrée à cette «fable du paysan et du castor». Le Figaro y dédie ensuite un article le 16 janvier, aussitôt partagé sur X par Laurent Wauquiez (déjà lui). Et le lendemain, Frédéric Brochot était invité au micro de Sud Radio.

De leur côté, l’OFB et ses syndicats dénoncent la désinformation et les caricatures. «C’est toujours mieux lorsqu’on donne l’ensemble des éléments de contexte, Laurent Wauquiez, plutôt que de poster des vidéos à charge sur [Instagram]», a ainsi réagi sur LinkedIn le Snes-FSU Biodiversité, syndicat qui représente les agents de l’office. CheckNews a contacté les acteurs de cette «affaire du castor», et tenté de reconstituer les faits.

Les versions diffèrent concernant le point de départ de l’affaire. Sur Sud Radio, l’agriculteur a suggéré avoir été pris de court avant sa mise en cause : «Je n’ai eu aucun contact avec [l’OFB]. Le seul contact que j’ai eu, c’est lorsque l’on m’a appelé en me disant que j’étais convoqué pour une audition à l’OFB suite à l’enlèvement du barrage.»

Faux, d’après l’OFB, qui mentionne un premier échange entre l’organisme et Frédéric Brochot courant 2023 : «Le chef du service départemental de Saône-et-Loire avait échangé sur la problématique du castor» avec l’exploitant agricole. Et l’organisme fait valoir les efforts de «pédagogie» dont il aurait alors fait montre : «Au vu de l’implantation de cette espèce sur le territoire, il lui avait été rappelé que le service départemental était évidemment disponible pour se rendre sur le terrain afin d’évaluer la situation et apporter des solutions techniques dans le respect de la réglementation». De fait, le castor d’Europe est protégé sur l’ensemble du territoire français depuis près de soixante ans. Le fait de détruire, altérer ou dégrader son habitat constitue un délit passible de trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

Joint par CheckNews, Frédéric Brochot se souvient que «lors d’un comité loup à la préfecture, courant 2023, [il avait] posé une question sur les castors à un agent de l’OFB qui [lui] avait répondu : “Vous n’avez pas le droit de défaire des barrages”». Mais selon l’agriculteur, et contrairement à ce que soutient l’OFB, «le discours s’est arrêté là».

Après ce premier échange, ni Frédéric Brochot ni l’OFB ne prendront attache avec l’autre partie pour résoudre les problèmes posés par la présence de barrages de castor sur l’exploitation.

Quelques mois plus tard, «au printemps 2024», les services de l’OFB disent avoir reçu «un signalement mettant en cause Frédéric Brochot». Lequel provient d’«un particulier», précise la directrice régionale de l’OFB en Bourgogne-Franche-Comté, qui dit «ne pas en savoir plus» sur son identité. Le signalement faisant état de la destruction d’un barrage de castors, deux agents du service départemental se rendent sur place «pour vérifier la véracité les faits». «Le barrage était effectivement détruit, poursuit notre interlocutrice. Au moment de repartir, les agents ont vu arriver un véhicule sur la zone pour venir déblayer le barrage que le castor était en train d’essayer de reconstruire. Ils ont donc pris en photo la destruction du barrage en cours de reconstruction.» Frédéric Brochot a pu consulter ces clichés, mais ne sait pas à quelle date ils ont été pris. L’éleveur, qui reconnaît être la personne figurant sur les photos, se souvient simplement d’un jour de «mars 2024», où il aurait «aperçu deux personnes se sauver de [son] terrain». «Plutôt que de venir me rencontrer, d’essayer de trouver une solution, ils ont préféré fuir», déplore-t-il.

Sur la base de ces constatations, l’OFB a ouvert une procédure – dans la mesure où ses agents «ont des prérogatives judiciaires en matière de police de l’environnement», nous précise-t-on. Puis en a rendu compte au parquet de Chalon-sur-Saône. Partant, «en accord avec le parquet, une enquête a été ouverte pour destruction d’habitat d’espèce protégée». L’instruction est confiée à l’OFB, tenu au respect des «consignes données par le parquet». A ce titre, l’office tient à corriger les allégations voulant qu’il soit à l’origine d’une plainte dans ce dossier : «L’OFB ne porte pas plainte mais conduit des enquêtes à la demande du procureur de la République».

Dans le cadre de l’enquête, Frédéric Brochot a été convoqué à la direction régionale de l’OFB pour une audition en juin 2024. Lui souligne d’ailleurs qu’il n’a «jamais contesté l’enlèvement des branchages». En l’occurrence, l’instruction a donc «permis de caractériser l’infraction commise» par le vice-président de département, et c’est bien «le procès-verbal rédigé par [les] services [de l’OFB] qui a permis à la justice de trancher». Autrement dit, de le poursuivre pour des faits de «destruction d’habitat d’espèce protégée», et de le convoquer au tribunal judiciaire du Creusot. Convocation remise en main propre le 4 novembre.

A l’issue de l’audience qui s’est tenue le 7 janvier, Frédéric Brochot a écopé d’un «avertissement pénal probatoire». Une mesure qui «consiste en un rappel des obligations résultant de la loi», précise l’ordonnance. Il en découle qu’«en cas de commission d’une nouvelle infraction dans un délai de deux ans, [il s’exposera] à des poursuites pénales pour les deux infractions». Auprès d’Autun Infos, l’intéressé évoque un «classement sans suite», crie «victoire» et se réjouit de ce que la justice «a bien vu les conséquences du barrage pour [son] exploitation» – à savoir l’inondation d’une parcelle. De son côté, l’OFB martèle qu’il n’a pas été innocenté, puisqu’une telle décision «repose sur la reconnaissance de sa culpabilité», et «vise à lui rappeler qu’il existe quand même un droit s’appliquant à tout le monde, sans aller trop loin car les atteintes au castor sont restées mesurées».

Si cette destruction illégale de barrage a conduit Frédéric Brochot jusque devant la justice, l’OFB fait valoir qu’une solution aurait pu être trouvée si l’éleveur l’avait sollicité au préalable. Pour preuve, une fois l’enquête bouclée et transmise au parquet, ses agents se sont rendus sur l’exploitation de Frédéric Brochot «à sa demande» – demande formulée, selon l’intéressé, «sur les conseils du directeur régional de l’OFB qui [l’a] auditionné» en juin.

Les visites de l’OFB ont débouché sur «la rédaction d’un rapport adressé aux services de la Direction régionale de l’équipement, de l’aménagement et du logement (Dreal)», où sont notamment préconisés «le démontage de deux barrages problématiques abandonnés par le castor et l’écrêtage d’un troisième». Barrages dont ne fait pas partie celui précédemment détruit par Frédéric Brochot – qui par définition n’existe plus. Une issue qui témoigne, assure l’OFB, de l’«interprétation souple de la réglementation» pratiquée par ses agents, afin de «concilier au mieux la présence du castor avec les activités humaines dans ces territoires».

A l’automne, la Dreal a donc autorisé l’éleveur à intervenir sur les trois barrages identifiés par l’OFB. «Pour le moment, je suis tranquille», convient-il. Charge à lui de faire de nouveau appel à l’OFB si le castor construit d’autres ouvrages près de ses parcelles.

Libération

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