:quality(70)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/J4WVMX2ZXBGM5IRAWNHZTXAWIY.jpg)
Devant la 26e chambre du tribunal correctionnel de Paris ce mercredi 29 janvier se joue l’un des volets d’une guerre judiciaire de longue haleine. Mme B, l’ex-compagne du rappeur Nekfeu, est jugée pour «non-représentation d’enfant». Dans le contexte d’une séparation pour le moins conflictuelle, il lui est reproché, à plusieurs reprises entre juillet 2022 et mai 2024, de ne pas avoir remis le fils du couple, âgé de trois ans, à son père. Elle dit craindre notamment des violences physiques et psychologiques de la part de son ancien époux, qui bénéficie de la garde principale de l’enfant depuis le prononcé du divorce en mars 2024, jugement dont elle a fait appel.
Cette audience n’est qu’un épisode au sein d’une affaire plus vaste, éminemment complexe, où s’entrechoquent de nombreuses plaintes et procédures. Ainsi, celle qui comparaît aujourd’hui a déposé une plainte pour «mauvais traitements sur mineur» qui a été classée sans suite. Deux enquêtes pour «violences en présence d’un mineur» et «viol par conjoint» n’ont également pas abouti. Une enquête préliminaire pour «faux» et «usage de faux» – Mme B. accusant Nekfeu d’avoir falsifié des documents afin d’obtenir la garde leur enfant – est ouverte. D’autres plaintes encore sont en cours de rédaction, font savoir ses conseils à la presse. Pour sa part, le rappeur a déposé contre son ancienne compagne un total de cinq plaintes, toutes pour «non-représentation d’enfant».
Dans un long article du 28 janvier, le Monde estime que dans cette affaire, «la justice» est «face à la thèse du «contrôle coercitif»». On lit que Mme B., qui «assure avoir quitté le rappeur au printemps 2021 – jeune mariée et enceinte – en raison des brutalités psychologiques, physiques et sexuelles qu’elle dit avoir subies», utilise «pour décrire cette relation, un terme technique connu des spécialistes des violences intrafamiliales, le «contrôle coercitif»».
La notion, en parallèle de ce procès, trouve sa place dans l’actualité législative. Mardi 28 janvier, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, qui propose précisément d’inscrire le «contrôle coercitif» dans le code pénal. Il s’agirait dès lors d’une nouvelle infraction punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
S’il apparaît en France en 2022, ce concept est théorisé dès 2007 par le sociologue américain Evan Stark. Il est décrit comme «un schéma de violences masculines visant à étendre une domination dans le temps et l’espace social, en abattant l’autonomie des femmes, en les isolant et en infiltrant le moindre aspect de leur vie, y compris les plus intimes».
Le contrôle coercitif figure d’ores et déjà dans la loi en Angleterre, en Ecosse ou au Canada. En France, les discussions féministes sur le sujet proposent désormais de remplacer la notion d’emprise par celle du contrôle coercitif, cette dernière ayant l’avantage de ne pas se concentrer sur les conséquences sur la victime, mais sur les actions de l’auteur des faits. Quant à l’article de loi à l’étude, jugé imparfait, il va être largement remanié au cours de la navette parlementaire à venir. Ce qui amène à cette interrogation : comment la notion de «contrôle coercitif» peut-elle se retrouver au cœur d’un procès alors même que son existence formelle, au regard du droit pénal, n’est pas encore actée ?
En amont de l’audience de ce mercredi, Florence Fekom, avocate de Mme B., nous confirmait entendre plaider, entre autres, la notion de «contrôle coercitif» devant le tribunal. Selon elle «les dépôts de plainte répétés sont une manœuvre pour isoler, épuiser, contrôler et soumettre» sa cliente, et de «la mettre dans un état de sujétion et de vulnérabilité». Pour ce faire, et même en l’absence d’une inscription formelle dans le droit pénal, l’avocate entend s’appuyer sur la jurisprudence existante.
Celle-ci, récente, remonte au 31 janvier 2024, lorsque la cour d’appel de Poitiers a rendu cinq arrêts différents consacrant tous la notion de contrôle coercitif. Très argumentés, ils ont été rédigés par Gwenola Joly-Coz, alors première présidente de la cour d’appel (elle œuvre désormais au tribunal de Papeete). Haute magistrate féministe, elle est considérée comme une «pionnière» en France dans l’évolution du vocabulaire juridique dédié aux violences intrafamiliales : elle a par exemple contribué à la popularisation du terme «féminicide». L’un de ses arrêts, jugeant une affaire de violences conjugales où un homme est accusé d’avoir donné des coups à sa conjointe, contrôlé ses déplacements et fréquentations, de l’avoir «menacée avec une serpette», ou encore d’avoir «tenté de la jeter d’une passerelle», contient une définition précise du contrôle coercitif : «Les agissements de M. G. sont divers et cumulés. Pris isolément, ils peuvent être relativisés. Identifiés, listés et mis en cohérence, ils forment un ensemble : les outils du contrôle coercitif. Ils visent à piéger madame dans une relation où elle doit obéissance et soumission à un individu qui s’érige en maître du domicile.»
Une inscription dans le code pénal ne serait pas redondante par rapport à la jurisprudence existante. Une loi permettra en effet, d’après le professeur en droit privé à l’université de Toulouse Guillaume Beaussonie, de «sécuriser» la notion de contrôle coercitif en étant «sûr que le comportement soit sanctionné, pour peu que le texte soit bien rédigé, et sûr que l’interdit soit bien compris, car on ne peut sanctionner que celui qui connaissait et a compris l’interdit et a malgré tout fait le choix de l’enfreindre».
Leave a Comment