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Voilà une nouvelle illustration de la collision en cours entre les ambitions réformatrices de la nouvelle administration Trump et les mécanismes censés être les garants impérieux de la sécurité nationale : dans un développement qui fait trembler la communauté du renseignement américain, la CIA se retrouve contrainte par la Maison Blanche de dévoiler l’identité de ses nouvelles recrues, bouleversant des décennies de protocoles de sécurité.
L’affaire, révélée mercredi 5 février par le New York Times, met en lumière un paradoxe saisissant : pour se conformer à une directive présidentielle visant à réduire les effectifs fédéraux, l’agence de renseignement a transmis dans un email non crypté une liste de ses recrues les plus récentes à la direction du personnel de l’exécutif fédéral (l’OPM). Une décision qualifiée de «désastre du contre-espionnage» par un ancien officier. «En exposant l’identité d’agents effectuant un travail extrêmement sensible, on place une cible directe sur leur dos offerte à la Chine», s’est alarmé le sénateur Mark Warner, figure démocrate au sein de la Commission du renseignement. L’ampleur exacte de cette divulgation demeure classifiée, mais pourrait s’avérer considérable. L’année 2024 a en effet marqué pour la CIA sa plus importante campagne de recrutement depuis les attentats du 11 Septembre 2001.
Cette expansion s’inscrivait dans une stratégie délibérée de renforcement des capacités de l’agence face à la Chine, initiée sous l’impulsion de l’ancien directeur William Burns (nommé par Joe Biden). Entre 2021 et 2024, la part du budget consacrée aux opérations et analyses liées à la Chine est passée de 9 % à près de 20 %, témoignant d’un réalignement stratégique majeur qui s’était traduit par une diversification du recrutement, mettant l’accent notamment sur des locuteurs mandarin et des experts en technologie, précisément pour renforcer sa surveillance de la Chine.
La liste, bien que limitée aux prénoms et initiales des agents en période probatoire, représente une potentielle faille de sécurité des plus alarmantes. Les experts soulignent qu’en croisant ces données avec les réseaux sociaux, les registres universitaires et autres sources publiques, des services étrangers pourraient reconstituer l’identité complète de ces recrues. Dans les couloirs de Langley, siège de l’agence, cette réforme administrative fait l’effet d’une onde de choc. Elle pourrait compromettre la carrière de jeunes agents avant même qu’elle ne commence, l’agence hésitant désormais à les déployer sur le terrain par crainte que leurs identités ne soient déjà éventées.
Cette situation s’inscrit dans un contexte plus large de transformation forcée de l’agence. Sous la houlette de son nouveau directeur John Ratcliffe, la CIA propose désormais des «démissions différées» à ses agents, leur proposant de quitter l’agence tout en conservant leur salaire jusqu’en septembre. Un dispositif dont la légalité est contestée (faute de fonds préalablement mobilisés à cet effet par un vote du Congrès) et les avantageuses conditions promises ne seraient pas garanties, tout comme pour les autres initiatives comparables d’Elon Musk et son prétendu «Département de l’optimisation gouvernementale» («Doge») visant à réduire les effectifs fédéraux.
La CIA, par la voix de sa porte-parole, présente ces changements comme «une stratégie globale visant à insuffler une nouvelle énergie à l’agence, offrir des opportunités à de nouveaux leaders et mieux positionner la CIA pour accomplir sa mission». La même source ajoute que ces mesures visent à aligner les effectifs de l’agence sur «les priorités de sécurité nationale» de l’administration Trump. Néanmoins, la période probatoire particulièrement longue des agents de la CIA – jusqu’à quatre ans – rend cette population particulièrement vulnérable aux réductions d’effectifs, et leur remplacement rapide d’autant plus complexe.
L’inquiétude est par ailleurs avivée alors que se dévoile jour après jour le modus operandi de Musk, qui livre à son équipe de jeunes ingénieurs et à la moulinette de programmes d’intelligence artificielle les clés de pans entiers du gouvernement et ses agences (de leurs systèmes de paiement aux bases de données sensibles recensant les informations de dizaines de millions d’Américains), et nul ne peut exclure à cette aune que la liste des personnels de la CIA soit confiée au milliardaire pour subir le même sort.
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