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Salimatou allonge ses longues jambes sous une petite table en bois. Elle souffle : une fois, deux fois, trois fois. Après une nouvelle nuit dans un hôtel en banlieue parisienne, où elle est hébergée depuis quelques semaines, la femme de 23 ans passe un peu de temps dans un accueil de jour pour les familles à la rue. Un endroit à l’est de la capitale qui lui permet de rencontrer du monde. Salimatou est seule, enfin presque. Son accouchement est imminent. «J’espère que tout se passera bien», dit-elle timidement. Originaire de Côte-d’Ivoire, elle a quitté Abidjan un matin sans prévenir personne. «Je ne voulais pas me marier avec lui, ma famille m’a forcée, raconte-t-elle. Tout le monde connaissait sa violence, mais personne ne voulait lui dire de ne plus me frapper.»
Salimatou ne donne pas les détails de sa traversée du désert pour rejoindre l’autre rive de la Méditerranée. Elle a appris sa grossesse en France après un examen médical. Est-ce que ça aurait changé quelque chose ? «Non, lâche-t-elle froidement. Mon enfant aussi aurait pu être en danger.» Son enfant, une petite fille, pourra obtenir la nationalité française à la majorité, à condition de «résider dans le pays à la date de ses 18 ans et avoir sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans». L’enfant peut aussi obtenir la nationalité française avant sa majorité sur demande de ses parents (entre 13 et 16 ans) ou sur demande personnelle (entre 16 et 18 ans), avec des conditions de durée de résidence en France. Dans ce cas, c’est une acquisition de la nationalité par déclaration. A Mayotte, il aurait fallu en plus que l’un des parents, au jour de la naissance de l’enfant, ait été présent de manière régulière en France depuis trois mois. Une dérogation datant de 2018 et durcie jeudi 6 février : les députés ont adopté une proposition de loi qui étend la durée de présence régulière sur le territoire à au moins trois ans pour les deux parents.
A l’entrée de l’accueil de jour, Elodie, une bénévole montée sur ressorts grimpe dans les tours en se grillant une clope – la discussion a eu lieu avant que le débat sur le droit du sol revienne à la surface. La trentenaire croise tous les jours des femmes au ventre rond originaires d’Afrique, mais aussi d’Europe de l’Est. «Qui cherche à les comprendre ? J’ai honte à chaque fois qu’elles me racontent leur vie. Des femmes, parfois des gamines, qui se retrouvent enceintes après un mariage forcé, un viol sur la route dangereuse qui mène à la France ou dans le meilleur des cas avec un homme qui a fui parce qu’il n’assume pas la grossesse de sa copine, lâche-t-elle crûment. J’ai vu des femmes qui ont appris leur grossesse quelques jours avant l’accouchement et qui se retrouvent à la rue en plein hiver avec un bébé dans les bras.»
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Le débat sur le droit du sol est une sorte de gimmick. Il revient comme le soleil en été. Le professeur de droit public Serge Slama, spécialisé en droit des étrangers, confiait l’an passé : «Il n’a jamais été démontré que les règles d’accès à la nationalité avaient un effet sur les flux migratoires. En 2018, le droit du sol a déjà été limité. Est-ce que cela a eu le moindre effet sur les flux migratoires vers Mayotte ?» Non. Son confrère Jules Lepoutre, professeur à l’Université Côte-d’Azur à Nice, disait à peu près la même chose «Il n’existe, à ma connaissance, aucune étude en démographie, économie ou sociologie qui indiquerait que la nationalité est un facteur d’attraction de la migration.» Salimatou est loin des débats. Après avoir bu une boisson chaude, elle monte à l’étage récupérer des vêtements pour son bébé. Elle pense au jour d’après. Le reste de sa vie est encore trop lointain.
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