Loi sur les Pfas : que sait-on de la rencontre entre un député RN et des lobbyistes de Tefal ?

Loi sur les Pfas : que sait-on de la rencontre entre un député RN et des lobbyistes de Tefal ?

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La proposition de loi destinée à protéger la population des risques liés aux Pfas faisait son grand retour au Parlement, ce jeudi 20 février. Porté par Nicolas Thierry et son groupe écologiste, le texte a définitivement été adopté à la mi-journée. Pour rappel, il prévoit d’interdire, dès le début de l’année prochaine, «la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché» de produits cosmétiques, textiles ou farts composés de substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, ces fameuses molécules désignées sous l’acronyme «Pfas», et surnommées «polluants éternels» en raison de leur persistance dans l’environnement et le corps humain. Autre mesure phare prévue dans la loi : l’instauration d’une taxe frappant les industriels «dont les activités entraînent des rejets de [Pfas]». Tous les 100 grammes rejetés dans la nature, ils devront verser 100 euros de redevance aux agences de l’eau pour financer les opérations de dépollution.

C’est dans ce contexte – et en amont du vote sur la proposition de loi – que la militante écologiste Camille Etienne a dénoncé, dans une vidéo partagée sur son compte Instagram mardi 18 février, une rencontre entre un député du Rassemblement national et deux communicants du groupe Seb, propriétaire de la marque Tefal, dont les ustensiles en téflon (notamment les poêles antiadhésives) sont suspectés de contenir des Pfas. Au début de la séquence, Camille Etienne annonce : «Ce que vous voyez derrière moi, c’est un flagrant délit de lobbying.» Puis : «Ce monsieur du RN, c’est celui qui a déposé le plus d’amendements de l’ensemble des députés» sur la proposition de loi Pfas.

La scène a lieu le vendredi 14 février dans l’après-midi, dans une brasserie située en face de l’Assemblée, le Bourbon. Autour de la table se trouvent le député RN Frédéric-Pierre Vos et deux cadres envoyés par Seb : Cathy Pianon, directrice générale de la communication et des affaires publiques, et Olivier Brault, un ancien officier commando parachutiste, débauché en 2022 par le groupe en vue d’œuvrer à sa communication de crise (officiellement, il est «directeur prospective et sûreté»). Au même moment, Camille Etienne et son équipe, qui ont aussi rencontré des dizaines de députés ces derniers mois pour les inciter à voter la loi, sont également installés dans la brasserie, après avoir tourné une vidéo devant l’Assemblée.

Frédéric-Pierre Vos est à l’initiative du rendez-vous avec les deux communicants. «Le député voulait prendre le pouls en termes d’expertise de plusieurs industriels, dont nous, indique Cathy Pianon. C’était notre première prise de contact avec lui, et d’ailleurs à la fin, il nous a remis sa carte.» Un détail non montré dans les images de l’équipe de Camille Etienne, transmises à CheckNews. Cathy Pianon déplore «ce montage qui laisse penser qu’on fait des choses sous le manteau» alors que «ce n’était pas un rendez-vous secret dans une gargote en sous-sol».

De son côté, Frédéric-Pierre Vos justifie ainsi cette rencontre : «Je suis avocat et j’ai besoin de me faire mon opinion en évitant de tomber dans les pièges de la précipitation. Un ami m’a mis en contact avec plusieurs personnes dont celles du groupe Seb. La discussion que j’ai eue avec eux est du ressort de mon travail de député.» Le parlementaire de l’Oise affirme avoir «eu d’autres contacts par téléphone» et, l’ayant sollicitée, «longuement discuté sur le fond» avec la journaliste du Point Géraldine Woessner – dont les contre-vérités scientifiques donnent régulièrement lieu à des articles de CheckNews. Contactée, cette dernière n’a pas donné suite.

Lors de la rencontre de vendredi, Cathy Pianon a senti le député plutôt réceptif : «Il essayait de comprendre.» Frédéric-Pierre Vos, lui, suggère que les arguments avancés par le groupe ont contribué à sa décision de «déposer quelques amendements pour séparer ce qui semble suspect de ce qui ne l’est pas». Elu l’été dernier à la faveur de la dissolution, le député RN avait déjà tenté d’amender le texte lors de son examen en commission «DDAT» (développement durable et aménagement du territoire). En amont, donc, de ce rendez-vous avec les lobbyistes. Déposés le 8 février, ses deux amendements, sur un total de dix-neuf, visaient d’une part à «retarder de 2026 à 2028 la mise en application de l’interdiction» des Pfas, d’autre part à contraindre le gouvernement à lister l’état des connaissances sur chaque substance et ses dangers. Lorsque la commission s’était réunie le 12 février, il avait ensuite formulé cette remarque : «Si on interdit le revêtement des ustensiles de cuisine, par quoi le remplacer ? Les poêles en fer sont cancérigènes et les poêles en inox sont très chères.» Ses amendements n’ont pas été retenus.

Lundi 17 février, soit trois jours après son entrevue avec les représentants de Seb, et cinq après l’examen en commission, Frédéric-Pierre Vos a redéposé ces mêmes amendements, auxquels se sont ajoutés trois autres. Entre-temps, sa position semble s’être de fait radicalisée, puisque l’un de ses nouveaux amendements prévoyait tout bonnement la suppression de l’interdiction des Pfas, peu importe la date. De surcroît, dans l’exposé des motifs, on lit à plusieurs reprises qu’il redoute «in fine une application à des secteurs stratégiques» dans lesquels il inclut les «ustensiles de cuisson», mention qui ne figurait pas dans ses premiers amendements. Là encore, trois de ces amendements ont été rejetés, un jugé irrecevable, un autre retiré.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’indique Camille Etienne, Frédéric-Pierre Vos n’est pas le député qui a déposé le plus grand nombre d’amendements. Le record étant détenu par le LR Fabien Di Filippo, avec dix amendements.

En outre, les groupes politiques d’extrême droite – le RN et l’UDR d’Eric Ciotti – ont été particulièrement réactifs sur ce sujet, en déposant plus de la moitié des 38 amendements débattus sur ce texte. Consultés par CheckNews, ils font la part belle aux arguments martelés par Seb depuis que les parlementaires ont entamé leur travail sur la proposition de loi, en février 2024. On y retrouve notamment l’idée que «tous les Pfas ne se valent pas», que le PTFE (Polytétrafluoroéthylène) utilisé par Tefal est parfaitement «sûr» et que, de toute façon, l’utilisation de ces substances est déjà encadrée par des réglementations internationales et européennes. Pourtant largement démenti dans les enquêtes menées par un consortium journalistique coordonné par le Monde, l’argumentaire avait suffi à ce que les ustensiles de cuisine soient exclus du champ de la loi, en première lecture, contre la volonté des parlementaires de gauche.

«Nous n’avons pas la preuve que les amendements déposés reprennent mot pour mot les arguments de Seb mais nous constatons quand même de fortes similitudes entre certains amendements et les éléments de langage employés par le groupe dans sa communication publique», commentent auprès de CheckNews les collaborateurs de Nicolas Thierry, le rapporteur du texte. «C’est dangereux quand les députés prennent des amendements qui ressemblent étrangement aux éléments de langage que leur donne l’industrie», abonde Camille Etienne.

De son côté, Cathy Pianon soutient qu’elle s’est contentée de «faire [son] travail» en sollicitant ou en répondant aux sollicitations «des députés de tous bords, pour les sensibiliser sur l’impact du texte et la réalité du terrain». La communicante souligne que tout a été fait en parfaite «transparence», puisque les «centaines de rendez-vous parlementaires» effectués en 2024, comme les rencontres récentes avec le député Liot David Taupiac (fervent partisan de l’interdiction des Pfas) ou le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, doivent être déclarées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. La HATVP tient en effet un «répertoire des représentants d’intérêts», qui ne recense pas encore les actions menées en 2024 (les lobbyistes ayant jusqu’au 31 mars pour soumettre leurs déclarations), mais qui mentionne déjà plusieurs opérations de Seb sur le sujet des Pfas en 2023.

Si Frédéric-Pierre Vos avait de lui-même pris contact avec Seb, un message Telegram consulté par CheckNews montre qu’en parallèle, l’industriel a continué à solliciter des entretiens à l’approche du vote définitif sur la proposition de loi. Envoyé le 28 janvier par un cabinet de conseil en affaires publiques agissant au nom de Seb, le message s’adresse au collaborateur d’un député de l’ex-majorité présidentielle. «Il est important pour nous de sécuriser cette seconde lecture, étant donné les enjeux importants pour le groupe. Auriez-vous des créneaux pour organiser une rencontre ?» peut-on lire.

Mercredi, les 50 députés RN présents lors du scrutin, dont Frédéric-Pierre Vos, ont voté contre le texte. Ceux de l’UDR se sont abstenus. A part une voix contre du LR Philippe Juvin, les 231 autres députés votants se sont prononcés favorablement.

Libération

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