A Lille, avec les glaneurs solidaires : «Mon kiff, c’est de donner à manger»

A Lille, avec les glaneurs solidaires : «Mon kiff, c’est de donner à manger»

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«Jeter, c’est jeté ; donner, c’est mangé.» C’est le slogan de La Tente des glaneurs, qui récupère, à Lille, les invendus du marché, fruits et légumes abîmés, pour les distribuer gratuitement et sans conditions. En France, le gaspillage alimentaire reste massif : on dénombrait 9,4 millions de tonnes de déchets alimentaires en 2022, dont 43 % étaient encore comestibles, selon les derniers chiffres du ministère de l’Agriculture. «Au bout du bout, quand il n’y a plus rien, les gens bouffent dans les poubelles», note Jean-Loup Lemaire, créateur de l’association lilloise il y a bientôt quinze ans, bien avant la loi contre le gaspillage, adoptée en 2020.

C’est en revenant dans le Nord que l’ancien cuisinier gastronomique a découvert, à la fin du marché, la population des glaneurs. «Il y a ceux pour qui c’est un concept de vie, les déchétariens ; ceux qui le font par souci d’économie, [en se demandant] “pourquoi acheter ce que je peux trouver”, ce qui est parfaitement raisonné ; et enfin ceux qui le font par nécessité», explique-t-il. Pour ceux-là, il voulait redonner de la dignité, éviter les regards des autres. Il a dû batailler pour imposer son idée, accepter de distribuer à la toute fin du marché, dans un lieu discret : la cour de la mairie de quartier, pour rassurer les commerçants. Il soigne l’apparence, question de respect des gens, avec étals, présentoirs à pain et fleurs en fin de vie récupérées chez les fleuristes. «La Tente des glaneurs, c’est un centre d’urgence alimentaire, précise-t-il d’emblée. Ce n’est pas un truc de bobo contre le gaspillage. Je l’ai créé parce qu’il y avait des gens qui n’avaient pas accès à l’aide alimentaire, soit parce qu’ils avaient honte, soit parce qu’ils faisaient partie de ceux qu’on appelle les “hors barèmes”», qui n’entrent pas dans les critères de ressources demandées par les associations ou sont empêchés par des démarches trop contraignantes.

Ce dimanche de janvier, une discrète file d’attente s’organise. Des cabas à roulettes sont rangés par ordre d’arrivée, les habitués bavardent sous le soleil froid. On croise pas mal de visages jeunes, pas toujours bien réveillés. Jean-Loup Lemaire tient à jour le profil de ceux qui viennent : trois cinquième d’étudiants, un cinquième de retraités, un cinquième d’actifs. «Mon kiff, c’est de donner à manger», dit dans un sourire l’ancien cuisinier, aux éléments de langage bien rodés : «Avant, je donnais à manger aux riches, maintenant je donne richement à manger.» Que du végétal, pas de carné, pour des questions d’hygiène et de prudence alimentaire.

Le marché remballe, c’est l’heure de la collecte pour les bénévoles de l’association. Il y a les vieux de la vieille, les «pilotes de glane» : Christian, 72 ans, qui dit préférer aider que d’être devant sa télé, et Nicolas, 39 ans, paysagiste de métier. Ils savent vers quels commerçants se diriger. Agathe, 33 ans, éducatrice spécialisée dans le champ du handicap, trie des caisses de patates douces, rejette les plus abîmées. «Tant que je pourrais les mettre dans mon sac de courses, je les garde», explique-t-elle.

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Wazemmes, le dimanche, c’est le cœur battant de Lille, avec le marché de plein air, populaire, aux cultures culinaires brassées, olives en saumure, nems croustillants et pains plats à la semoule. Le chariot des glaneurs se faufile dans la foule, Nicolas connaît les allées les plus fluides, les trottoirs les moins hauts. Ce jour-là, beaucoup de caisses de clémentines, produit de saison fragile. Il faut aussi savoir dire non, quand certains veulent refiler des caisses de fruits qu’ils devraient jeter dans le bac à biodéchets fourni par la mairie. Tout un équilibre diplomatique à tenir, aussi délicat que l’édifice tremblant des cageots qui s’empilent au fil des stands.

15 heures, la distribution commence. Jean-Loup Lemaire compte 67 présents. On choisit ce qu’on veut, comme dans un marché traditionnel. Les bouquets de coriandre, un brin fanés, ne trouvent guère preneurs. Pas comme les paquets de mâche, qui partent comme des petits pains. «On vient tous les dimanches», raconte Mohamed. Ils sont quatre à la maison. «Avec la conjoncture, ça devient indispensable pour vivre. Ici, il y a beaucoup de bienveillance et d’accueil, et on a le droit à des fleurs à la fin», explique-t-il. Jamila, 63 ans, approuve : «Ils nous donnent des choses qu’on n’arrive pas à acheter. Les tomates à 3 euros [le kilo], on n’y arrive pas.» Kurt et Alena, 22 ans et 20 ans, en «contrat engagement jeune» d’aide à la recherche d’emploi, le disent franco : «C’est la seule alternative quand on n’a pas encore 25 ans, et donc pas le RSA. Et ça oblige à cuisiner.» Eux, ils mixent beaucoup et congèlent, sinon les fruits et légumes se perdent.

Le concept de La Tente des glaneurs, marque déposée, a essaimé : il est toujours vivace à Caen ou Strasbourg. D’autres ont commencé sous l’égide de la franchise pour ensuite s’en détacher, comme à Paris. Jean-Loup Lemaire aurait aimé embaucher pour animer son réseau mais le Covid a stoppé ses ambitions. L’association tourne avec un budget de 11 000 euros, grâce à des journées de team building vendues à des entreprises. Farid Sellani, le porte-parole de Folgate, l’association des marchands non-sédentaires de Wazemmes, est admiratif : «On voit que ce sont des humanistes.» Il voudrait que cette collecte prenne plus d’ampleur : «Il y a encore du comestible de jeté, ils ne peuvent pas tout prendre. Il faudrait organiser un circuit, à mettre en place avec les élus. Quand vous avez l’écologie et l’humain en même temps, c’est génial.»

Libération

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