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Les traits sont tirés. Tout juste de retour d’un déplacement de trois jours en Ukraine, Gabriel Attal enchaîne avec un tour au Salon de l’Agriculture. Il évoque un voyage dont «on ne revient pas indemne», de Kiev à Odessa, en passant par Zaporijjia, à 30 kilomètres de la ligne de front, de rencontres avec des mères endeuillées et des vétérans mutilés à la visite d’une école souterraine, qui lui a permis de mesurer la «détermination des Ukrainiens à tenir coûte que coûte». Le chef des députés Ensemble pour la République (EPR) en revient avec l’idée de plaider pour «la poursuite et le renforcement de notre soutien militaire» à l’Ukraine et de porter «l’accélération du calendrier d’adhésion à l’Union européenne».
Plongé sans transition dans la cohue de la porte de Versailles, à Paris, il se plie aux figures imposées, décoiffe la houppette de la limousine égérie, chope au vol une rondelle de saucisson, complimente les jeunes apprentis qualifiés pour la finale de la côte de bœuf sous la bannière «naturellement flexitariens», pendant que son équipe dirige : «Maintenant, on file aux moutons !»
Un député macroniste observe la nuée de militants Renaissance venus assurer l’ambiance et glaner des selfies. Et s’amuse : «Il y en a ici qui n’ont vu des vaches que sur une brique de lait.» «Oh, il a pris l’agneau !» exulte, ému, un partisan. Même sans eux, l’accueil est plutôt bon. «Il y a un an, ça s’était déjà bien passé», rappelle Gabriel Attal. Cueilli par la crise agricole à son arrivée à Matignon, il avait pu déambuler tranquille, malgré les récriminations entendues dans les allées. Trois jours auparavant, Emmanuel Macron avait essuyé les quolibets, dans un chaotique marathon sous extrême tension. Un contraste qui avait contribué à nourrir la rancœur présidentielle vis-à-vis de son Premier ministre, suspecté de rechigner à s’abîmer.
Un an plus tard, la colère agricole est un peu retombée, mais les préoccupations demeurent, alimentées par les sorties de Donald Trump qui souhaite imposer 25 % de droits de douane aux produits européens. «Les filières viticoles et des spiritueux sont très inquiets», soupire l’ex-ministre de l’Agriculture Stéphane Travert.
Assis pour tailler le bout de gras avec les représentants des Jeunes Agriculteurs (JA), Attal écoute les inquiétudes sur les difficultés de reprise des exploitations. Sur les 67 engagements qu’il avait pris en février 2024, il rappelle avoir «fait tout ce qui était de l’ordre du réglementaire», vend les aides décaissées d’urgence et la loi d’orientation agricole (LOA), débattue en juin 2024 à l’Assemblée nationale. «Puis il y a eu la dissolution et, parmi les effets néfastes, le report de la loi.» Débarqué de Matignon, le député des Hauts-de-Seine avait demandé à son successeur, Michel Barnier, d’inscrire le texte à l’agenda du Sénat, en vain. La loi vient d’être adoptée, pile poil avant le Salon.
Mais, maintenant qu’il n’est plus aux manettes, peut-il encore peser ? «A Matignon, je n’ai jamais dit qu’avec la LOA et les décrets que j’ai pris, on allait régler tous les problèmes de l’agriculture. J’avais d’autres projets que je voulais porter. J’espère que le gouvernement va les reprendre, et avec le groupe EPR, on va le faire», promet-il. Replié sur les bancs d’un hémicycle éclaté, Attal veut croire que le peu de marge de manœuvre de l’exécutif redonne un levier à l’Assemblée : «Je vois que, comme il y n’y a plus de majorité, les syndicats se tournent moins vers le gouvernement que le Parlement pour faire passer une mesure. C’est un rôle qui est nouveau pour moi, et notre groupe sera essentiel.»
Au président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, croisé sur le stand du syndicat agricole, il assure : «Ce n’est pas parce que je ne suis plus au gouvernement, que je me désintéresse du sujet, je veux continuer à aider l’agriculture». Le président de la FNSEA garde un «souvenir très précis» de l’ancien Premier ministre avec lequel il «a négocié trois nuits de suite à Matignon». Et l’attend au tournant sur la proposition de loi du sénateur LR Laurent Duplomb qui doit être examinée début avril à l’Assemblée. Contesté par les associations environnementales, le texte dynamite une série de normes pour «lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur» et prévoit la réautorisation, à titre dérogatoire et exceptionnel, de l’acétamipride, insecticide de la famille des néonicotinoïdes, nocif pour les pollinisateurs et les oiseaux.
«J’ai assumé de dire qu’il fallait désormais que la France n’interdise pas des molécules avant que l’Efsa [Autorité européenne de sécurité des aliments, ndlr], quand elle est saisie, ne se soit prononcée, tranche Attal. Sinon, on a des agriculteurs français à qui on interdit cette molécule alors que nos voisins européens l’utilisent.» Lorsqu’il a reçu Arnaud Rousseau dernièrement à l’Assemblée, Gabriel Attal lui a confié n’être pas certain d’avoir le soutien unanime des députés macronistes, en particulier sur cette mesure controversée. «On surveillera son vote de et celui de son groupe, avertit le grand patron de l’agro-industrie et leader de la FNSEA. A lui de faire ce travail de conviction.»
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