Aux oscars 2025, triomphe d’«Anora» de Sean Baker et lot de consolation pour «Emilia Pérez»

Aux oscars 2025, triomphe d’«Anora» de Sean Baker et lot de consolation pour «Emilia Pérez»

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Pour l’inconscient ayant accepté de passer une nuit blanche à regarder la 97e cérémonie des oscars, le pire ennemi n’est pas l’ennui ou le manque de sommeil, mais bien les statistiques. Le Hollywood Reporter avait établi, sur la foi des récompenses précédemment engrangées (Golden Globes, SAG Awards, etc.) et les pronostics de bookmakers, un crédible tableau des gagnants qui s’est avéré dix-sept fois correct sur vingt catégories données. Le vainqueur de cette soirée fut donc bien Anora de Sean Baker, qui remporte les cinq récompenses essentielles (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario original, meilleur montage et meilleure actrice pour Mikey Madison). Derrière, The Brutalist de Brady Corbet se targue seulement d’avoir les meilleures musique, photographie et Adrien Brody comme meilleur acteur (sa seconde statuette après le Pianiste en 2002).

Nommé 13 fois, Emilia Pérez n’empoche que deux oscars, les seuls auxquels le film pouvait à peu près prétendre avec réalisme après la débâcle des tweets racistes de son actrice principale Karla Sofía Gascón : meilleure actrice dans un second rôle pour Zoe Saldaña, qui a réussi à échapper à la curée, et meilleure chanson originale (El Mal) pour Camille et Clément Ducol (auxquels le sifflet fut coupé lorsqu’ils s’aventurèrent à reprendre leur air pendant leur discours de remerciement et à donc dépasser les quarante-cinq secondes réglementaires imposées). Conclave, oscar du meilleur scénario adapté, confirme bien la présence toujours vivace d’une frange pantouflarde de votants d’un certain âge parmi les votants.

Dans cette loterie comme a priori prédéterminée par un algorithme – apparemment pas celui de Netflix, distributeur d’Emilia Pérez aux Etats-Unis –, la surprise pouvait pourtant un peu jaillir. D’abord, l’hôte de la soirée, le présentateur et comique Conan O’Brien a su imposer tout du long, sans tirer la couverture sur lui, un ton élégamment idiot et fantasque dans ses interventions, loin du cool mollasson de son prédécesseur Jimmy Kimmel l’an dernier. Son numéro musical «Je ne vais pas perdre de temps» (avec le ver de Dune au piano) fut un moment inspiré, digne des meilleurs épisodes des Simpson (dont O’Brien fut un temps scénariste). En tout cas plus inspiré que l’hommage à Michael G. Wilson et Barbara Broccoli, producteurs historiques des James Bond qui viennent tout juste de céder leur contrôle créatif sur la franchise à Amazon, avec chorégraphies à la Danse avec les stars et reprises karaoké des chansons des génériques (Live and Let Die, Skyfall), aux parfaits airs de mise en bière de 007 (1962-2025).

And the winner is…

Ensuite, le chat trop mignon de Flow de Gints Zilbalodis, modeste production ayant coûté 3,5 millions d’euros face aux mastodontes Vice et Versa 2 (Disney) et le Robot Sauvage (DreamWorks) dans sa catégorie, a, après ses césar et golden globe, bien été le David triomphant des Goliaths. Il remporte l’oscar du meilleur film d’animation – une première pour un film indépendant et son pays d’origine, la Lettonie (une coproduction française d’ailleurs). Dans la catégorie meilleur film étranger, le Brésilien Je suis toujours là de Walter Salles a bien porté son titre, supplantant le d’abord favori Emilia Pérez grâce à un bouche-à-oreille tardif mais flatteur chez les votants américains, subjugués par la performance de son actrice Fernanda Torres dans le rôle d’une femme, mère de famille, devant affronter seule la disparition de son mari, enlevé par la junte au pouvoir au Brésil dans les années 70.

Et puisque les oscars sont avant tout un moyen pour Hollywood de prendre son propre pouls, de s’imaginer et de s’admirer, le Je suis toujours là était plus que d’actualité dans un Los Angeles meurtri par les incendies de janvier. Une résilience célébrée sur le plan pratique (des appels aux dons à un fond de soutien), hagiographique-comique (une délégation de pompiers municipaux invitée à lire des blagues sur scène), vestimentaire (le site The Cut recensait sur le tapis rouge, entre une Ariana Grande en rose et un Timothée Chalamet en jaune, pas mal de tenues de stars aux tons brillants et métalliques, telles des armures) et esthétique lorsque la cérémonie s’ouvre sur un montage de scènes de films tournées à L.A., citation du Magicien d’Oz à l’appui («There’s no place like home…») pour marteler que la ville et l’industrie sont toujours quelque part au-delà de l’arc-en-ciel – et enchaîner, (show) business oblige, avec forcément un pot-pourri de chansons de Wicked, prequel du Magicien… bardé ce soir-là des oscars des meilleurs costumes et décors.

Oui, mais la réalité n’est jamais très loin. C’est un «Slava Ukraine» proclamé sur scène par l’actrice Daryl Hannah ou la victoire, comme meilleur film documentaire, de l’Israélo-palestinien No Other Land de Basel Adra, Hamdan Ballal, Yuval Abraham et Rachel Szor, sur la destruction de villages cisjordaniens par l’armée israélienne : «Nous appelons le monde à agir sérieusement, à stopper l’injustice et le nettoyage ethnique du peuple palestinien», demandait le Palestinien Adra sur scène, tandis que l’Israélien Abraham surenchérissait par «ne voyez-vous pas que nous sommes liés ? Que mon peuple ne peut être en sécurité que si celui de Basel est vraiment libre et en sécurité ?» (des mots suivis, alors que l’équipe quittait la scène, par une musique de fond dont on ne savait plus sur le moment si c’était Heal The World de Michael Jackson ou Un jour, mon prince viendra de Blanche-Neige et les sept nains).

Et, enfin, qu’importe le film vainqueur de ces oscars puisqu’au fil des films, c’était le rêve américain et ses nuances d’échec qui était partout chez les nominés. A la seconde chance de la femme de plus de 50 ans (Demi Moore dans The Substance, écartée comme meilleure actrice), à l’architecte rescapé brisé de la Shoah (The Brutalist) ou même le rêve américain d’un Audiard (et de son actrice Zoe Saldaña, prompte à rappeler ses origines immigrées dans son discours), les votants auront préféré la version Cendrillon ingénue et travailleuse du sexe, plus proprette, d’Anora. L’opportunité pour Baker, déjà gratifié pour ce film d’une palme d’or, de rappeler, dans ses effusions et remerciements, son rêve à lui d’un cinéma qui prospérerait dans les salles avec, si possible, l’appui de tous les parents pour leurs enfants ayant des rêves ou désirs de saltimbanques.

Mais lorsque ce fut au tour Adrien Brody de prendre la parole pour un discours où il a su faire taire la musique qui lui indiquait la fin de son temps de parole, il exprima son souhait d’un monde «plus sain, plus heureux, et surtout plus inclusif. Si le passé peut nous enseigner quelque chose, c’est bien de ne pas laisser la haine se répandre». Mais un drôle de cadrage télé faisait qu’il avait l’air d’être scruté par l’image de l’acteur Sebastian Stan diffusé sur l’écran derrière lui. Stan, la bouche cul-de-poule et la coiffure de Donald Trump pour le film The Apprentice, et voilà que le président jamais nommé (O’Brien mentionne à un moment brièvement des «divisions politiques») surgit par procuration, dans un raccord redoutable. Parce que dans le film de Corbet, la condescendance méprisante et surplombante de l’homme d’affaires richissime (Guy Pearce), employeur du personnage de Brody, et de son fils (Joe Alwyn), a la même énergie maléfique que celle déployée par les brutes Donald Trump et son vice-président J.D. Vance sur Volodymyr Zelensky vendredi à la Maison Blanche.

Libération

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