Entraide et résilience : comment s’inspirer des arbres

Entraide et résilience : comment s’inspirer des arbres

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Espace de débats pour interroger les changements du monde, le Procès du siècle se tient chaque lundi à l’auditorium du Mucem à Marseille. Libération, partenaire de l’événement depuis ses débuts, proposera, jusqu’en avril 2025, articles, interviews ou tribunes sur les thèmes de cette nouvelle saison. A suivre, lundi 10 mars, le débat «s’inspirer des arbres».

Et si, au lieu de les voir comme des matières premières, des parasols naturels lors de nos balades ou de simples objets décoratifs, nous nous reconnections enfin à la sensibilité des arbres ? Cent trente ans après les écrits de John Muir, figure du naturalisme moderne, la question se pose de manière brûlante dans notre monde au climat qui bascule. En 2025, certains s’essaient à la sylvothérapie, d’autres écrivent leur amour des arbres ou le crient du haut des cimes lors d’actions médiatiques.

Le biologiste Laurent Tillon a écrit Etre un chêne (Actes Sud), ode à son amitié avec son compagnon feuillu, Quercus. Thomas Brail, membre des écureuils, ces écolos qui grimpent dans les arbres pour les protéger, les voit comme des membres de sa famille. Ce sont eux qui viendront les défendre à la barre de ce nouveau Procès du siècle au Mucem. «Ce qui est beau dans ce duo, c’est leur rapport si sensible et poétique aux arbres», explique Nina Guérineau de Lamérie, journaliste à Libération, spécialiste des questions environnementales qui animera ce débat. «Les réunir, c’est réunir les porte-voix des arbres.»

Car il faut bien les défendre. Immobilisés par leurs racines, les arbres sont parmi les premières victimes du dérèglement climatique. Sécheresse, chaleur extrême, développement d’espèces invasives : presque partout, ils sont en mauvaise santé. «Depuis 2018 en France, les pénuries d’eau sont telles qu’on a commencé à observer des dépérissements massifs dans nos forêts», confirme Laurent Tillon, également ingénieur forestier à l’Office national des forêts (ONF). Le «dépérissement», nous l’observons souvent sans le nommer : ce sont ces branches, canopées, voire pans entiers de massifs forestiers, devenus bruns et secs. Une lente agonie, irréversible.

Pourtant, ce sont bien les arbres par qui la vie est maintenue, et qui nous aident à lutter contre le dérèglement climatique. «Ce sont de puissants régulateurs du climat : ils décarbonent, ils oxygènent, ils humidifient la planète», rappelle Thomas Brail, qui a fondé le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA). Supports de vie des insectes, oiseaux et autres petits animaux, c’est toute la biodiversité environnante qui dépend d’eux. Et demain, ils seront des éléments essentiels de nos villes trop minérales, pour y amener ombre et fraîcheur.

Si leur utilité n’est plus à prouver, c’est bien comment «s’inspirer d’eux» que les deux intervenants questionneront. «C’est une réflexion qu’on entend peu», regrette Nina Guérineau de Lamérie. «Dans nos villes, nos mondes aseptisés, nous sommes coupés de la sensibilité de ce vivant, alors qu’il y a beaucoup à en apprendre.» Saviez-vous par exemple que le premier internet mondial est celui des arbres ? A travers le réseau mycorhizien, ces connexions souterraines entremêlant racines et champignons, les espèces échangent des informations, des nutriments, soutiennent leurs congénères affaiblis… Et ce n’est pas tout : «Lorsqu’un arbre est attaqué, il produit des molécules olfactives de défense qui préviennent les voisins», ajoute le biologiste Laurent Tillon. Sans nier la concurrence farouche que chaque individu doit mener dans la bataille pour la lumière, Thomas Brail appuie : «J’ai quand même l’impression d’une forme de paix entre eux, et que les grands arbres finissent par tomber pour laisser la place aux jeunes par exemple.»

Si chaque espèce et chaque «individu» sont différents, Laurent Tillon insiste également sur un puissant commun : tous sont constamment en multiples interactions avec les vivants autour d’eux. «C’est quelque chose que l’on a du mal à envisager en tant qu’être humain, mais un arbre n’ignore personne, il est en interaction en même temps avec les champignons, les insectes et les autres animaux autour de lui.» En imitant leur coopération et leurs liens permanents avec autrui, nos organisations humaines pourraient encourager l’entraide et la régénération sociale. Sans compter que les arbres symbolisent le temps long et la résilience, indispensables pour s’adapter aux futures crises.

Si la bataille de l’opinion semble gagnée – tout le monde aujourd’hui veut «planter des arbres», jusqu’aux banques et marques de chaussures –, c’est l’adaptation aux réalités du terrain qui reste la plus complexe. En France, la superficie des forêts augmente, conséquence de la déprise agricole et des politiques de reboisement comme le Plan de relance forestier de 2020. «L’enjeu, c’est plutôt de ne pas transformer toutes nos forêts biodiversifiées en plantations d’arbres !» met en garde Thomas Brail. «Finalement c’est comme pour les humains : nous sommes tous différents, chacun a son utilité. Ce qu’il faut c’est garantir l’équilibre et laisser à chaque espèce la possibilité d’être résiliente face aux grands bouleversements à venir.»

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