Enchères : un code civil ayant appartenu à Napoléon adjugé 395 000 euros

Enchères : un code civil ayant appartenu à Napoléon adjugé 395 000 euros

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On n’a croisé aucune tignasse médiatique, ni celle de Dominique de Villepin (auteur d’une trilogie sur Napoléon), ni celle de Pierre-Jean Chalançon (collectionneur monomaniaque et organisateur de dîners en plein Covid), ces hérauts de la fameuse «passion Napoléon». C’est dans une ambiance tranquille que la maison de ventes aux enchères Tajan a mis en vente, cet après-midi du jeudi 6 mars, ce qui apparaîtra à certains comme un vieux bouquin encombrant (579 pages) et kitsch : couverture en cuir rouge sang bardée d’enluminures, pages un peu jaunies, sceau à la cire. Ambiance arsenic et vieilles dentelles. Mais pour ceux qui savaient, le lot 26 allait forcément être l’acmé de cette vente consacrée à des livres, manuscrits et estampes. Son estimation, de 100 000 à 200 000 euros, explosait d’ailleurs largement celle des autres.

Et pour cause. Le vieux bouquin en question est un pilier juridique de la société française : le code civil, dans un «exemplaire personnel de Napoléon Bonaparte premier consul, relié à son chiffre NB». Or, rappelle le site de la maison Tajan, le code civil est le grand œuvre de Napoléon : «Les premiers projets ont été amorcés en 1793 par Cambacérès, pour une classification, uniformisation et codification de toutes les lois civiles françaises. Mais lorsque Bonaparte arrive au pouvoir en tant que premier consul en novembre 1799, c’est lui qui, au sein du Conseil d’Etat, anime activement cette importante réforme».

En amont de la vente, Ségolène Beauchamp, experte en livres et manuscrits qui a évalué l’ouvrage, indiquait au Parisien que «cette édition in-4 en papier vélin est un exemplaire de luxe qui était destiné à Napoléon, comme l’atteste son chiffre (l’arrangement de deux lettres entrelacées) constitué par ses initiales sur le premier plat (la couverture de l’ouvrage) et qui devait se trouver dans son cabinet de lecture personnel au château de Saint-Cloud […]». Or le «chiffre» n’a été attribué que deux fois à Napoléon Bonaparte du temps où il était premier consul, d’où le caractère exceptionnel de l’exemplaire qui a en outre fait partie de la collection personnelle et privée de Bonaparte. Il appartenait jusque-là aux descendants d’Etienne Charvet, concierge-régisseur de la Malmaison en 1798, puis régisseur du palais de Saint-Cloud de 1802 à 1814, «homme de confiance de Napoléon et maillon essentiel du quotidien de la cour», qui a suivi l’empereur déchu jusque dans son exil sur l’île d’Elbe.

On voit bien l’idée : ce code civil est un concentré de Napoléon, qui l’a non seulement initié, dirigé, mais carrément touché, eu entre ses mains, côtoyé. Or, en France (mais pas que), la hype du «Petit caporal» addict à la conquête comme à l’eau de Cologne n’a jamais faibli, alimentée par des tombereaux de livres, de films (comme celui, largement étrillé, de Ridley Scott avec Joaquin Phoenix), des «sociétés napoléoniennes» proliférantes et un marché du fétichisme capable de faire tutoyer les deux millions d’euros à un de ses bicornes.

En partant, on s’attendait à croiser quelques individus avec la main droite glissée dans le gilet, sur l’estomac, voire des redingotes portées le buste fier, bien droit. Dans les faits, on a noté, sur la soixantaine de chaises pas toutes occupées, plus de femmes que d’hommes, et aucun thuriféraire affiché de l’aigle. Ce qui n’empêche pas une réelle motivation. Carmen, par exemple, qui scanne l’assistance comme pour la percer à jour et qu’on voit tourner autour du livre placé dans une vitrine juste avant que ne s’ouvre la vente, a fait le déplacement «par passion pour la période révolutionnaire». «Pas pour le consul mais pour la convention nationale qui a commencé l’œuvre de construction du code civil, l’unification des lois sur tout le territoire, qui a voulu faire de ce pays un grand état centralisé avec une administration qui faisait écho à l’administration royale, qui a fait la guerre et qui a lutté», précise la sexagénaire, professeure de lettres.

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Le trio assis juste devant nous est, lui, intéressé au premier chef : ils sont de la famille Charvet. La dame nous explique qu’il a été décidé de vendre l’ouvrage après le décès de sa belle-mère «mais personne ne se doutait de sa rareté, il avait été expertisé par un notaire de Cherbourg qui avait dit «ah oui, 10 000 euros…»». Un travail de restauration a aussi été nécessaire. Stocké dans un grenier humide, les premiers et derniers feuillets ont été fragilisés.

Ce n’est rien de dire que le notaire de Cherbourg n’avait pas le compas dans l’œil : après un départ à 80 000 euros et au terme d’un va-et-vient entre la salle et les acheteurs en «live», par téléphone, ce code civil a été adjugé 310 000 euros, montant auquel il faut ajouter les frais, qui le propulsent à 395 000 euros. L’acheteur n’est pas un musée ou un collectionneur mais la holding Frojal, famille actionnaire majoritaire du groupe Lefebvre Dalloz. Ce dernier nom parlera à tous ceux qui ont tâté un minimum du droit : Dalloz est le principal éditeur juridique français. «Cette acquisition revêt une signification particulière en cette année où nous célébrons les 230 ans de la naissance de Désiré Dalloz, fondateur des éditions Dalloz, souligne la maison d’édition dans un communiqué. Son héritage intellectuel et son ambition de rendre le droit accessible à tous résonnent encore aujourd’hui.»

Libération

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