«Es prégunta» de Tarta Relena, reines de chœur

«Es prégunta» de Tarta Relena, reines de chœur

Главная страница » «Es prégunta» de Tarta Relena, reines de chœur

És pregunta : le titre du troisième album du duo catalan Tarta Relena sorti cet automne est doublement mystérieux. L’accent sur «és» indique qu’il est exprimé en catalan et non en castillan ; mais le choix de la langue n’explique rien de l’incomplétude de la formule, exempte de sujet, qu’il faudrait ainsi traduire, de façon insatisfaisante, par : «Est une question.» Et sur quoi porterait la question en question ? «L’ingrédient de base de notre musique est très minimaliste. La marge est immense pour créer autour ; l’espace autour de nos voix est presque comme une toile blanche», propose Helena Ros Redon, au bout du fil depuis quelque pied de montagnes à proximité de Barcelone. «On peut à loisir aménager cet espace, pourquoi pas peindre avec le son un champ dans la nature, ou faire battre des percussions électroniques», précise-t-elle ensuite, fervente, à la manière d’une Björk (à laquelle Tarta Relena rendait hommage dans une chanson de leur premier album, Figues, décrite comme du «Björk cueillant des figues à Majorque»).

«Le nombre de décisions artistiques que l’on peut prendre est indénombrable. L’espace d’expression artistique est presque infini», complète-t-elle enfin, alors qu’abonde sa collègue Marta Torrella i Martínez depuis Barcelone, et que défilent dans notre mémoire les écoulements d’eau de la Font ou les secousses infrabasses des ultramodernes Si veriash a la rana ou Mille Risposte. Des exemples aux antipodes de l’art plus imprévisible que jamais de Tarta Relena, duo né nu et a cappella, devenu avant-poste avant-gardiste du renouveau néo traditionnel européen. La question du pourquoi, du comment de leur musique se doit de rester ouverte, indéfiniment.

A priori le milieu artistique d’où a émergé l’idée du duo n’est pourtant pas le plus ouvert qui soit : celui des chorales de Barcelone, où les amies d’enfance Marta Torrella i Martínez et Helena Ros Redon ont chanté pour la première fois, aux alentours de l’adolescence, œuvres du répertoire baroque et de la Renaissance et chansons populaires catalanes. Marta Torrella : «Nous avons découvert le répertoire que nous chantons encore aujourd’hui. Mais aussi son sens. Chanter dans un chœur est une expérience fabuleuse, mystique, addictive.» Et comme le savent tous ceux qui ont approché de près la musique traditionnelle par la pratique ou la passion mélomane, rien n’est moins figé que son interprétation, nécessairement innovante (autorisons-nous à citer de nouveau, quelques semaines après l’avoir fait dans un article sur le collectif londonien Shovel Dance Collective, cette phrase du musicologue Cecil Sharp : «Ne cherchez pas la version originale, concentrez-vous sur les transformations car elles sont la substance de la chanson»). Helena Ros Redon : «Je me souviens d’une sardane catalane qui était très amusante à chanter, très rythmique, où les différentes parties du chœur doivent chanter des parties habituellement réservées aux instruments de l’orchestre. Je suis soprane, donc je devais chanter les mélodies, très douces, enchanteresses. J’ai l’impression d’avoir compris la musique ce jour-là.»

Aucune raison donc de s’étonner que Tarta Relena, né en expérimentant avec leurs seules voix dans l’appartement que les deux vocalistes partageaient (Marta Torrella : «Helena est soprano et moi contralto, c’était facile de s’amuser»), habille ses interprétations de sons électroniques voire s’autorise à transformer ses voix, à la faveur de la technologie, par-delà l’étrange et le familier, tel sur le sublime Tamarindo. «Cette chanson en particulier est, à nos yeux, un pur artefact, dont les voix sont volontairement impossibles à situer. Elles incarnent nos découvertes en studio, nos expérimentations, notre volonté d’étendre notre vocabulaire», détaile Marta Torrella. Chantant en catalan et espagnol mais aussi latin, ladino, grec, bulgare, géorgien, bientôt arabe ou français, Tarta Relena est, de facto, un corps en expansion, mixant les sources et les sonorités – aucune des chansons d’És pregunta, fondées sur des sources mélodiques et poétiques très diverses, n’a une origine unique – mais aussi sa propre substance. Marta Torrella, sans ambiguïté aucune : «Car tout commence toujours avec des questions.» Helena Ros Redon : «Et tout ne finit pas par des réponses. D’ailleurs, on ne répond qu’à une infime quantité des questions qu’on se pose. Et on doit continuer à avancer avec ces mystères qui nous suivent. C’est la partie la plus amusante de notre métier d’artiste.»

Libération

Post navigation

Leave a Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *