Il a été inscrit en août 2024 sur la “liste noire” de Vladimir Poutine. A la tête du programme anti-kleptocratie de la Human Rights Foundation, Casey Michel est un journaliste reconnu pour son engagement dans la lutte contre la corruption. L’été dernier, cet auteur américain a publié Foreign Agents : How American Lobbyists and Lawmakers Threaten Democracy Around the World (non traduit), un livre dans lequel il explore la menace que représentent les lobbyistes américains travaillant pour le compte de dictatures étrangères et la manière dont ils pourraient renforcer des régimes dans le monde entier, y compris en Russie. Son précédent ouvrage, American Kleptocracy (2021, non traduit), avait été salué par The Economist comme l’un des “meilleurs livres à lire pour comprendre la criminalité financière”. Collaborateur régulier de Foreign Policy, du Financial Times et du New York Times, ce journaliste d’investigation s’alarme aujourd’hui du démantèlement sans précédent par l’administration Trump des dispositifs anti-corruption mis en place depuis plusieurs décennies. Du “jamais vu”. Le président américain a commencé à promouvoir des visas “carte d’or” à 5 millions de dollars, inspirés de la carte verte, pour attirer les riches investisseurs aux Etats-Unis, et notamment des oligarques russes : “Une catastrophe pour la politique américaine et pour ce qui restait de son leadership en matière de lutte contre la corruption”, alertait récemment Casey Michel dans un article publié dans The New Republic.
Dans un entretien accordé à L’Express, ce dernier décrit comment Donald Trump, qui “a vendu son pays à des puissances étrangères”, est en train de jouer avec la sécurité nationale des Etats-Unis. Il explique également comment et pourquoi, selon lui, le président américain fera tout pour contourner les obstacles institutionnels qui l’empêchent en principe de se maintenir au pouvoir en 2028. Il considère en outre que la procureure générale des Etats-Unis Pam Bondi “représente une menace bien plus claire pour la démocratie américaine” que la patronne du renseignement Tulsi Gabbard, pourtant très décriée. Alors que les spéculations se multiplient sur les raisons de l’alignement de Trump avec Vladimir Poutine dans le conflit ukrainien, Casey Michel y voit bien plus qu’une simple affinité “idéologique” entre les deux dirigeants. Et prévient : “J’espère sincèrement que chaque décideur politique à Paris comprend la menace que représente une dictature revancharde comme celle de Poutine”. Entretien.
L’Express : Selon vous, les Etats-Unis traversent la pire période de leur histoire en matière de lutte contre la corruption et la kleptocratie…
Casey Michel : Absolument. Pour bien comprendre de quoi nous parlons ici, il faut rappeler que les Etats-Unis ont bâti depuis des décennies un ensemble de politiques de lutte contre la corruption et la kleptocratie. On peut remonter jusqu’aux années 1970 pour voir les premières bases de cette initiative, avec des lois comme le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Il s’agissait du tout premier texte législatif, non seulement aux Etats-Unis mais aussi dans le monde, qui rendait illégal le fait, pour des entreprises et dirigeants américains, de corrompre les fonctionnaires étrangers. Cette loi a constitué la pierre angulaire de la politique américaine de lutte contre la corruption à grande échelle et a permis aux Etats-Unis de revendiquer un rôle de leader dans ce domaine.
Au fil des ans, plusieurs politiques ont renforcé cette position de leader. Le département de la Justice a notamment mis en place des cellules spécialisées pour identifier les avoirs et l’argent sale liés aux oligarques et aux régimes kleptocratiques à travers le monde. Des réformes récentes, comme la loi sur la transparence des entreprises (Corporate Transparency Act, CTA) en 2021 [NDLR : elle impose aux propriétaires de sociétés-écrans de révéler leur identité], ont été mises en place, permettant une avancée significative dans la traque pour cibler, identifier et vraiment mettre en lumière les réseaux d’argent sale qui influençaient l’élaboration des politiques à Washington, en ciblant les décideurs politiques américains. Or, ces sept dernières semaines, nous avons assisté à une véritable démolition de ces efforts par l’administration Trump. Et il ne s’agit pas seulement d’une remise en cause de certaines politiques récentes, mais bien d’une destruction en règle de décennies de travail dans ce domaine. L’administration Trump a, entre autres, supprimé des cellules de lutte contre la kleptocratie au sein du département de la Justice et a clairement exprimé son intention de ne plus faire appliquer les lois anti-corruption. Même la FCPA est menacée, Trump ayant annoncé sa suspension. C’est un feu vert donné aux oligarques, kleptocrates et à tous ceux qui cherchent à dissimuler leur argent sale aux Etats-Unis, sachant pertinemment qu’ils ne seront jamais poursuivis, du moins sous cette administration.
Vous accusez Donald Trump d’avoir “vendu l’Amérique à ses amis kleptocrates”. De quels amis parlez-vous ?
Je fais référence aux oligarques russes auxquels Trump a promis de vendre la citoyenneté américaine pour 5 millions de dollars via un système de visa “Gold card”. Mais il ne s’agit pas uniquement de la Russie. Tous les réseaux oligarchiques qui reposent sur des flux financiers illicites et qui ont bâti des régimes autoritaires sont concernés. Cela inclut la Hongrie, l’Azerbaïdjan, la Chine, le Venezuela… La liste est longue.
Tout cela uniquement au nom de l’argent ? Quel est l’objectif recherché par Donald Trump ?
Oui, l’argent est la principale raison. L’objectif est l’enrichissement de ces régimes, de ces dictateurs et de ces oligarques, aussi bien à court terme qu’à long terme. Ils cherchent à exploiter toutes les ressources et tous les outils possibles pour rester au pouvoir, s’enrichir eux-mêmes, enrichir leurs familles et leurs cercles proches, tout en sapant toute tentative, que ce soit dans leur propre pays ou dans des endroits comme les Etats-Unis, visant à enquêter sur ces réseaux autoritaires qui se sont enracinés dans ces pays et à les sanctionner.
Au XXIᵉ siècle, les régimes autoritaires et kleptocratiques ne limitent pas leur pratique de la corruption à leur seul pays d’origine. Celle-ci traverse désormais les frontières, les océans et même les hémisphères. Et la meilleure chose qui puisse arriver à ces réseaux corrompus, c’est de voir les Etats-Unis abandonner tous leurs efforts de lutte en la matière. Maintenant qu’ils se retirent de la scène, je ne sais pas qui va prendre le relais pour assumer ce rôle de leadership.
Que peut y gagner Donald Trump ? Y voit-il un moyen d’injecter de l’argent dans l’économie américaine ?
En partie. Il s’oppose depuis très longtemps à nombre de ces politiques anti-corruption. Nous avons vu, dès son premier mandat, des tentatives de les attaquer. A l’époque, il avait essayé d’abroger le FCPA mais cela n’avait abouti à rien. Il y a un élément idéologique dans tout cela : il ne pense pas que les hommes d’affaires comme lui ou les entités comme la Trump Organization aux Etats-Unis ou ailleurs devraient faire l’objet d’une quelconque enquête ou être soumis à une quelconque réglementation. Mais aujourd’hui, il devient difficile de démêler ce qui relève de son rôle d’homme d’affaires – agissant pour le bien de son entreprise, ou pour ses propres intérêts financiers – et ce qui relève de ses relations avec des régimes autoritaires à l’étranger, qui veulent continuer à blanchir autant d’argent que possible. Tout cela est également lié à sa propre vision du pouvoir.
C’est-à-dire ?
La question à laquelle les Américains vont être confrontés au cours des prochaines années est la suivante : que faire d’un président qui ne veut manifestement pas quitter ses fonctions à la fin de son deuxième mandat ? Les Etats-Unis n’ont pas été confrontés à ce type de situation depuis près d’un siècle [NDLR : Franklin D. Roosevelt est le seul président américain à avoir été élu à quatre reprises entre 1933 et 1945]. Nous pensions que la limitation à deux mandats présidentiels, instaurée par le 22e amendement en 1947, était un principe fondamental et inébranlable de la démocratie américaine. Pourtant, je n’ai aucun doute sur le fait que Trump fera tout ce qu’il peut pour rester au pouvoir en 2028. A cette fin, il va tenter de trouver des alliés, aussi bien aux Etats-Unis que dans les régimes autoritaires et kleptocratiques ailleurs dans le monde. La Russie, la Hongrie, l’Azerbaïdjan – tous feront tout ce qu’ils peuvent pour maintenir Trump à la Maison-Blanche, car ils savent qu’en cas de victoire démocrate en 2028, il est fort probable que nombre de ces politiques anti-corruption seront rétablies, que de nombreuses enquêtes reprendront, et cela leur serait très préjudiciable.
On assiste donc à la formation d’une sorte d’alliance transnationale entre des forces autoritaires aux Etats-Unis et des régimes à l’étranger, qui ont tout intérêt à voir Trump rester au pouvoir.
Mais aux Etats-Unis, un président ne peut exercer que deux mandats consécutifs… Et modifier la Constitution nécessiterait une procédure complexe.
C’est une question que nous nous posons sur de nombreux sujets depuis plusieurs années. Et s’il y a une chose que Donald Trump nous a apprise, c’est que beaucoup d’éléments que nous pensions être les clés de voûte de la démocratie américaine et de la séparation des pouvoirs ne sont pour partie que des normes ou des pratiques. Et si vous avez quelqu’un à la présidence, occupant la fonction la plus puissante des Etats-Unis, qui ne respecte pas ces normes, alors il devient difficile de savoir où se situe la limite.
Ouvrir les portes aux oligarques russes, les inviter à entrer, revient à inviter le régime de Poutine lui-même
Il existe de nombreuses façons pour lui de rester au pouvoir. Il pourrait essayer d’abroger le 22ᵉ amendement, qui limite les mandats présidentiels. Il pourrait également déclarer que le Parti républicain n’est pas légalement empêché de le renommer candidat. Et si les électeurs votent pour lui lors d’une élection – ce qui, encore une fois, ne serait pas illégal – qui peut dire que la Cour suprême, ou qui que ce soit d’autre, devrait aller à l’encontre de la volonté du peuple américain ? Ou bien, tout simplement, il pourrait refuser de quitter la Maison-Blanche. Il y a de nombreux mécanismes possibles, et je suis sûr que lui et ses alliés y réfléchissent en ce moment même.
Trump a déclaré : “Je connais certains oligarques russes qui sont des gens très sympathiques.” En quoi le fait que des oligarques russes, pour la plupart sanctionnés par Washington depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, viennent dépenser leur argent aux Etats-Unis constitue-t-il une menace pour la démocratie américaine ?
Ces oligarques russes ne sont pas des hommes d’affaires ou des magnats indépendants. Ce sont des soldats au service du régime de Vladimir Poutine. Et bien sûr, je n’ai pas besoin de vous expliquer à quoi ressemble une dictature en Russie : pas de liberté d’expression, très peu de liberté de religion, très peu de liberté en général, y compris en matière d’entreprendre. C’est une dictature de haut en bas. Ouvrir les portes aux oligarques russes, les inviter à entrer, revient à inviter le régime de Poutine lui-même. Et ce dernier n’a aucun autre intérêt que d’étendre son emprise, que ce soit en Russie ou à l’échelle internationale. Donc que ce soit d’un point de vue économique, démocratique ou en termes de sécurité nationale, c’est une menace. Malheureusement, je pense que Donald Trump n’en mesure pas l’ampleur…
J’espère sincèrement que chaque décideur politique à Paris comprend la menace que représente une dictature revancharde comme celle de Poutine
On a beaucoup parlé ces derniers mois des risques liés à la nomination de Tulsi Gabbard à la tête du renseignement mais à vous lire, la procureure générale des Etats-Unis Pam Bondi semble tout aussi préoccupante. Avec elle, écrivez-vous, “les Etats-Unis ont éliminé ou mis à mal en une seule journée leurs outils les plus efficaces et les plus importants de lutte contre la kleptocratie”.
Pam Bondi représente une menace bien plus claire pour la démocratie américaine, à la fois aujourd’hui et à l’avenir, que Tulsi Gabbard. Ce n’est pas que Gabbard occupe un poste purement symbolique, mais elle ne peut pas, à elle seule, lancer des enquêtes ou mettre fin à des poursuites en cours. Son rôle est plutôt celui d’une intermédiaire, en lien direct avec le président, poussant certaines priorités auprès de lui, tout en tentant de communiquer avec des partenaires potentiels. Bien qu’à ce stade, je ne sache pas si les partenaires que Gabbard a en tête sont des alliés de l’Otan comme la France ou des pays autoritaires comme la Russie, la Chine ou l’Iran.
En ce qui concerne Pam Bondi, en revanche, son rôle a été largement sous-estimé jusqu’à présent. Or, elle occupe une position unique dans l’histoire du département de la Justice. En effet, elle est la première procureure générale à avoir travaillé auparavant comme lobbyiste étrangère – non pas pour des entreprises américaines ou des responsables américains, mais pour une dictature étrangère, celle du Qatar. C’est un fait sans précédent dans l’histoire des Etats-Unis : une personne qui était directement rémunérée par un dictateur étranger se retrouve désormais à la tête du département de la Justice !
Cela s’ajoute à ce que nous observons actuellement : une disparition totale de l’indépendance du département de la Justice américain, qui semble désormais prêt à exécuter toutes les volontés de Donald Trump. Une telle situation ne s’est pas produite depuis des décennies aux Etats-Unis. Il faut remonter à Richard Nixon pour retrouver quelque chose de ce genre. Pam Bondi est donc dans une position unique pour rendre la vie de nombreuses personnes bien plus difficile, uniquement parce qu’elles s’opposent aux politiques et à la présidence de Donald Trump. Ce qui m’inquiète le plus, sur le plan structurel, pour l’avenir de la démocratie américaine, c’est bien cette disparition de l’indépendance du département de la Justice.
De par son revirement spectaculaire sur l’Ukraine, Donald Trump est-il devenu l’ennemi de l’Europe ?
Je ne sais pas si j’irais jusqu’à qualifier Trump d’ennemi de l’Europe. Il représente certainement une menace considérable, bien plus grande que tout ce que les Européens ont pu voir de la part d’un politicien américain, probablement de toute leur histoire. Ce président voit clairement les Européens comme un groupe de nations qu’on peut bousculer, qu’on peut dominer, et qu’il ne juge pas dignes d’être prises au sérieux, que ce soit sur les questions d’alliance au sein de l’Otan ou sur les enjeux sécuritaires en général.
Il est clair que l’Amérique a abandonné son rôle traditionnel de leader dans les efforts visant à consolider et étendre la démocratie libérale dans le monde. Il me semble évident que ce rôle restera à l’abandon tant que Donald Trump sera au pouvoir. Et cela met une pression d’autant plus forte sur les Européens d’un point de vue sécuritaire, mais aussi pour reprendre le flambeau de la démocratie libérale sur la scène internationale. Ceux d’entre nous qui croyons encore au projet démocratique libéral aux Etats-Unis nous tournons désormais vers Paris, Bruxelles, Ottawa et d’autres capitales pour y chercher un leadership en la matière. Et jusqu’à présent, j’ai été agréablement surpris de voir que les Européens commençaient, du moins en apparence, à revendiquer ce leadership.
Trump peut-il faire plier Zelensky et le pousser à conclure n’importe quel accord avec la Russie ou même le chasser de la présidence ukrainienne ?
Nous l’avons vu ces derniers jours avec la suspension de l’aide militaire et l’arrêt du partage des renseignements. Il y a de nombreuses autres actions qu’il peut continuer à mener, que ce soit pour étouffer les ressources ukrainiennes ou même aller jusqu’à faire pression sur les alliés européens afin qu’ils n’aident pas l’Ukraine. Je ne sais pas quelle sera la prochaine étape, mais il semble désormais clair que la vision de l’administration Trump en Ukraine converge avec celle de la Russie. Et cela inclut l’élimination de Zelensky en tant que leader, que ce soit par son exil ou une défaite électorale. Un accord de cessez-le-feu prétendument négocié en Ukraine serait continuellement violé par les Russes, encore et encore, sans aucune réaction des Etats-Unis. Et, à terme – peut-être pas immédiatement, mais progressivement –, cela aboutirait à la mise en place d’un régime prorusse à Kiev, favorable à l’autocratie et à la kleptocratie.
Cela ne signifie pas nécessairement que des troupes russes défileront dans Kiev, comme Poutine l’avait imaginé il y a quelques années. Mais un scénario possible, et qui semble séduisant pour Trump et peut-être même pour Poutine à ce stade, est celui que nous avons vu se dérouler en Géorgie ces derniers mois : une élection extrêmement contestée qui a porté au pouvoir un régime oligarchique prorusse et pro-Kremlin. Bien sûr, les manifestations publiques se poursuivent, et il existe un large soutien populaire en faveur de l’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne et à l’Otan. Mais le régime en place n’a aucune intention d’aller dans ce sens. Et je ne serais pas surpris que ce soit précisément le modèle que l’on commence à voir émerger en Ukraine à l’avenir, car c’est ce que certains souhaitent.
Maintenant, la question est de savoir combien de temps cela prendra. Pour la Géorgie, cela fait déjà dix-sept ans depuis l’invasion russe, et aujourd’hui un régime prorusse est en train de s’ancrer au pouvoir. Or, Poutine ne va pas en rajeunissant. Est-il prêt à attendre aussi longtemps pour voir la même chose se produire en Ukraine ? Je ne pense pas.
Certains politiques français estiment que Vladimir Poutine n’est pas la “principale” menace pour la France. Ils ne pensent pas non plus qu’il attaquera la Moldavie ou la Roumanie… Qu’en pensez-vous ?
Il est très clair que son objectif ne se limite pas à rétablir un régime pro-Kremlin à Kiev. Et encore une fois, cela n’implique pas nécessairement des troupes russes au sol dans la capitale ukrainienne. Poutine a clairement exprimé son désir d’être la puissance militaire dominante sur le continent européen. Et cela passe par plusieurs éléments : faire reculer l’Otan jusqu’à ses frontières du milieu des années 1990, voire la dissolution de l’Otan elle-même. Mais cela ne signifie pas forcément des invasions directes de pays comme la Pologne, et encore moins de pays comme la France. Il s’agit plutôt d’être reconnu comme la principale puissance militaire en Europe.
Pour Trump, il s’agit de vendre la politique américaine au plus offrant
Les ambitions de Poutine vont bien au-delà de l’Ukraine. Il y a par exemple des éléments spécifiques à la Moldavie qui, à mon avis, en font une cible bien plus attrayante. Les autorités roumaines ont arrêté il y a quelques jours plusieurs ressortissants qui préparaient un coup d’Etat à Bucarest, ce qui correspond au schéma que nous avons déjà observé en Moldavie ou au Monténégro. Sans même parler des voix pro-Kremlin en Hongrie, en Serbie et ailleurs. J’espère sincèrement que chaque décideur politique à Paris comprend la menace que représente une dictature revancharde comme celle de Poutine.
Que comprenez-vous de l’insaississable relation entre Donald Trump et Vladimir Poutine ?
C’est une excellente question, et j’espère vivre assez longtemps pour voir les archives s’ouvrir, tant aux Etats-Unis qu’en Russie, afin de pouvoir enfin analyser en profondeur comment cette relation s’est développée et ce qui la motive réellement. D’un côté, il y a clairement une affinité idéologique entre Trump et la Russie. Je pense qu’au fond, Trump aime Poutine. Il apprécie le modèle que Poutine s’est construit. Il aime la manière dont ce modèle lui a permis de s’enrichir tout en restant au pouvoir à perpétuité. Et cela ne concerne pas uniquement la Russie. Trump éprouve la même fascination pour d’autres dictateurs et autocrates, qu’il s’agisse de la Hongrie, de la Turquie ou encore de la Corée du Nord. La liste est longue.
Mais au-delà de l’idéologie et de la quête de richesse, il y a d’autres éléments en jeu. C’est un sujet que j’ai abordé dans plusieurs de mes livres. Il existe un réseau transnational d’oligarques, dont le centre se trouve en grande partie à Moscou, mais qui ne se limite pas à la Russie. Il y a encore un certain nombre d’oligarques ukrainiens qui aimeraient voir Zelensky renversé, afin de continuer à piller l’Ukraine et d’éliminer toute forme de démocratie dans ce pays. Et depuis une dizaine d’années, ils ont réussi à infiltrer le cercle rapproché de Trump. Ils l’ont fait avec l’aide d’un certain nombre de personnalités américaines comme Paul Manafort, qui a été le premier directeur de campagne de Donald Trump, Michael Flynn, qui a été son premier conseiller à la sécurité nationale, et plusieurs membres de son cercle restreint qui font du lobbying pour défendre les intérêts de ces oligarques, ainsi que ceux du Kremlin, au détriment de Zelensky, de l’Otan, et des intérêts fondamentaux de la sécurité nationale américaine. Il s’agit d’un véritable réseau d’influence, qui s’étend jusqu’à Paris, Budapest, Bruxelles et même Londres. Mais c’est aux Etats-Unis que ce réseau a trouvé un terreau fertile, en s’épanouissant dans l’entourage de Trump. Et je pense que cela explique en grande partie ses préférences politiques et ses décisions concernant l’Ukraine et la Russie.
A vous entendre, on pourrait croire que Moscou a désormais un pied à la Maison-Blanche…
Oui. De la même manière que je dirais que l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont un pied à la Maison-Blanche. Et certainement aussi un pays comme le Qatar. Une partie de cela est structurelle, mais beaucoup de choses tiennent à Donald Trump lui-même. C’est un président qui non seulement a démoli toutes les politiques américaines de lutte contre la corruption, mais qui a en plus lancé cette nouvelle cryptomonnaie, un memecoin TRUMP, que n’importe qui dans le monde peut utiliser pour le financer directement. Rendez-vous compte, un moyen de financer directement un président américain, nous n’avons jamais vu ça dans l’histoire américaine ! Et bien sûr, c’est aussi un président qui a une entreprise privée que sa famille continue de gérer, laquelle a dit qu’elle ferait des affaires avec n’importe quel pays, n’importe quel régime. Il s’agit de vendre la politique américaine, en particulier la politique étrangère, au plus offrant. C’est l’élimination de toute distinction entre les intérêts des Etats-Unis et les intérêts financiers personnels de Trump.
Les institutions américaines sont-elles assez solides pour faire office de rempart face aux manœuvres de Trump ? Les démocrates paraissent bien inaudibles…
Nous sommes seulement sept semaines après l’entrée en fonction de la nouvelle administration, soit en plein dans la fameuse “lune de miel” que tout président connaît après son arrivée à la Maison-Blanche. En général, cette période de grâce dure environ cent jours. Celle du président Biden a semblé durer environ six mois, jusqu’au retrait d’Afghanistan. Donc, je pense qu’en ce moment, c’est le moment où Donald Trump est structurellement le plus puissant. Quant aux démocrates, ils ont perdu la présidence, le Sénat, la Chambre des représentants…. C’était une défaite nette, sur toute la ligne. Donc, je ne suis pas vraiment surpris qu’ils ne se soient pas encore réorganisés pour essayer de définir la meilleure stratégie d’attaque. Mais les élections de mi-mandat de 2026 arriveront très vite. Et je suis extrêmement optimiste quant au fait que les démocrates y obtiendront de très bons résultats. Une fois que ce sera fait, ils commenceront à lancer de nouvelles enquêtes. Rien ne se fera vraiment en matière de politique publique, mais on aura une meilleure idée de la façon dont Donald Trump a vendu le pays à des puissances étrangères. Ce qui fera chuter encore et encore sa popularité.
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