«Les Loups», dans le bestiaire du temps

Dans l’histoire du château de Saint-Alban (Lozère), on trouve de l’extraordinaire. Non seulement, transformé en asile puis en hôpital psychiatrique, il a été un des hauts lieux de l’élaboration d’une psychothérapie nouvelle, dite institutionnelle, à partir de 1940, sous l’impulsion du psychiatre espagnol en exil François Tosquelles, où les patients, plutôt que d’être enfermés, participaient à la vie collective… Mais encore, au XVIIIe siècle, une bête mythique et réelle (ou plusieurs) rôdait dans les forêts du Gévaudan environnant et tuait les enfants : pour l’arrêter, des chasses s’organisaient à partir du château…

Découvrant que les fous de la première histoire extraordinaire jouaient chaque année, au club de l’hôpital, une pièce de théâtre inspirée de la seconde – la traque de la Bête –, la cinéaste Isabelle Prim (autrice de fictions hybrides comme la Rouge et la Noire et le Souffleur de l’affaire) en a tiré les Loups. Soit la reconstitution gigogne de ces histoires qui se rejouent les unes les autres, par la bande, à plusieurs bandes, meutes ou troupes : avec entre autres les bêtes de scènes Raphaël Thiéry, Charlotte Clamens, Marc Susini, et même Silvia Lippi – la psychanalyste féministe coautrice du manifeste Sœurs, qui joue ici le rôle de Tosquelles, ou plutôt une version parallèle du grand homme réécrite par le son de ses hauts talons sur les planches. Monté de bric (collage) et de broc (hanté), comme on monte un film (par addition et soustraction de matière) ou une pièce (par multiplication de lignes d’erre), les Loups est le spectacle d’une pensée, celle d’un ciné-monstre, légendaire et familier comme la bête, et pouvant accueillir, dans sa forme inventive, un peu le tout-garou qui sort de l’ordinaire en direction des bois…