«Oui, nous pouvons le dire », la vision politique de Donald Trump est celle du fascisme, a estimé Kamala Harris le 15 octobre. La vice-présidente des Etats-Unis répondait à une star de la radio, Charlamagne Tha God, et sa déclaration n’est pas passée inaperçue. Dès le lendemain, le journal britannique The Guardian estimait, estimant que cette sortie marquait une « nouvelle ère » de la campagne présidentielle.
De son côté, le New York Times a jugé qu’elle « ouvrait les vannes » aux démocrates, qui s’autorisent désormais à utiliser ce qualificatif pour le milliardaire en course pour la Maison-Blanche. Ce mercredi soir, Kamala Harris a réitéré ses propos et ajouté que son adversaire était avide d’un « pouvoir absolu ». De nombreux militaires se sont, eux aussi, mis à utiliser ce terme. C’est le cas du général Mark Milley, cité par le journaliste aguerri Bob Woodward dans son dernier livre War, qui aurait traité Donald Trump de « fasciste jusqu’à la moelle ».
Le chapeau melon du XXIe siècle
Les accusations de fascisme se succèdent donc, mais « il y a deux caractéristiques du fascisme qui ne correspondent pas à Donald Trump. D’abord, la volonté expansionniste, car il prône plutôt un retour à l’isolationnisme. Puis, la planification de l’économie, car il tend plutôt vers le laisser-faire de ce côté », analyse Marion Lefebvre, maîtresse de conférences en civilisation des Etats-Unis à l’Université polytechnique des Hauts-de-France.
« Il est évident que le fascisme ne reviendra pas exactement sous la même forme que dans les années 1930. Comme le disait Orwell : “Lorsque les fascistes reviendront, ils auront le parapluie bien roulé sous le bras et le chapeau melon” », une allusion au fait que le fascisme peut prendre différentes formes, réagit Ugo Palheta, sociologue et auteur de La nouvelle internationale fasciste (2022).
Le « culte de la personnalité »
Un siècle après l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en Allemagne, le fascisme peut donc s’être réinventé. Après tout, si le dictateur italien Benito Mussolini « rédigeait des éditos dans son journal [Il Popolo d’Italia] et donnait des discours depuis le balcon du Palais de Venise à Rome, Donald Trump, lui, écrit des tweets sur X, illustre Ugo Palheta. Mais est-ce que cela change grand-chose à l’affaire ? ». Pour Marion Lefebvre, la question du bien-fondé du terme « fasciste » pour Donald Trump est une « querelle d’universitaires ». Car le républicain coche de nombreuses cases d’une vision politique fasciste.
« Le culte de la personnalité correspond, analyse Marion Lefebvre. Avec leurs casquettes “Maga”, les supporters de Trump sont reconnaissables et certains se font même tatouer son visage, ce n’est pas classique dans une relation à un politique. » Rien ne semble en effet entacher l’amour de ses supporters, malgré ses déboires judiciaires ou ses dérapages verbaux.
Le « trope nazi » de Trump
La rhétorique de Donald Trump à l’encontre des minorités est aussi de plus en plus violente. Le républicain a ainsi accusé les migrants « d’empoisonner le sang » des Etats-Unis, estimant que « les meurtres » sont « dans leurs gênes ». « C’est une phrase utilisée par Hitler dans Mein Kampf ! Ces déclarations dépassent largement le seuil de l’invective », s’indigne Denis Lacorne, directeur de recherche émérite à Sciences Po et spécialiste de l’histoire des Etats-Unis.
« Ce nationalisme radical a une dimension épuratrice. C’est un trope * nazi, même Mussolini ne tenait pas ce genre de discours racialiste », rappelle Ugo Palheta, pour qui il s’agit de l’un des critères faisant de Donald Trump « un dirigeant néofasciste ». « L’une des choses qui caractérise le fascisme, c’est l’union d’un groupe en excluant des minorités. Pour Adolf Hitler, c’était la haine des juifs. Pour Donald Trump, c’est la haine des musulmans et des Mexicains », abonde Marion Lefebvre.
« Sera-t-il capable d’abandonner le pouvoir ? »
Enfin, selon Ugo Palheta, l’assaut du Capitole en janvier 2021 a été décisif. « Donald Trump a une responsabilité directe dans cet assaut. Et son mode opératoire, qui a mobilisé des milliers de personnes, était proprement fasciste », assure-t-il. Mais, tempère Denis Lacorne, Donald Trump ne dispose pas (du moins pour le moment) de milices privées comme la SS d’Adolf Hitler. « Les quelques cinglés qui ont pris d’assaut le Capitole ne peuvent pas être comparés aux milices de l’époque de Hitler ou de Mussolini. Peut-être Donald Trump rêve-t-il d’avoir des généraux à sa botte comme Hitler en son temps, mais il n’a pas franchi ce pas. En tout cas pour le moment », analyse Denis Lacorne.
A deux semaines du scrutin présidentiel, le fait que les démocrates associent le républicain au fascisme est loin d’être anodin. Toutefois, si ces accusations ont certainement des visées électoralistes, de nombreux observateurs s’inquiètent sincèrement du second mandat que Donald Trump pourrait conduire. « S’il est élu, il sait qu’il ne pourra plus l’être à l’issue de son second mandat, selon la Constitution américaine *. Mais sera-t-il capable d’abandonner le pouvoir ? », s’interroge Marion Lefebvre.
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« Le fait qu’il ait cherché à mobiliser pour annuler la précédente élection donne un mauvais signal, ajoute Ugo Palheta. Donald Trump est assoiffé de pouvoir et aspire à un type de pouvoir plutôt dictatorial. » Denis Lacorne renchérit, évoquant un leader « autoritaire » qui « menace l’ordre républicain d’une façon très inquiétante ». « Si aujourd’hui, il n’est pas fasciste dans son comportement, il est sans conteste fasciste dans ses idées. »
* Le trope est une figure rhétorique
** Depuis la moitié du XXe siècle, un président américain ne peut effectuer plus de deux mandats au cours de son existence, qu’ils soient consécutifs ou non.
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