Il s’est tenu coi pendant la plus grande partie de la rencontre entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky dans le bureau Ovale. Mais lorsque J.D. Vance est finalement intervenu, il a provoqué une altercation violente comme on en voit rarement devant les caméras. Dans ce qui ressemblait à une embuscade, il a exhorté l’Ukrainien à engager des pourparlers diplomatiques avec Vladimir Poutine. Volodymyr Zelensky a fait remarquer que son homologue russe ne tenait pas parole. J.D. Vance s’est alors emporté et l’a accusé d’être “irrespectueux”. “Au lieu d’essayer de discuter des causes de la guerre devant les médias américains, vous devriez remercier le président d’essayer de mettre fin au conflit,” a-t-il lancé. “Avez-vous une seule fois dit merci ?”
“Il est rare de voir le n° 2 se comporter de manière si agressive dans une réunion officielle”, observe Joel Goldstein, spécialiste de la vice-présidence à l’université de Saint-Louis (Missouri). Mais cette algarade publique lui a permis de se faire remarquer tout en montrant son soutien à Donald Trump, qu’il encense avec une flagornerie débridée. Jusque là un peu relégué derrière Elon Musk qui a accaparé toute l’attention médiatique, JD Vance cherche désespérement à se faire une place alors qu’Elon Musk accapare l’attention médiatique. Lors du premier conseil des ministres, fin février, c’est le patron de Tesla qui avait eu droit à toutes les louanges du président américain et aux questions des journalistes.
La fonction de vice-président, mal définie, est “la plus insignifiante jamais inventée”, avait déploré John Adams, le premier à occuper le poste, en 1789. L’adjoint du chef de l’Etat reste en général en coulisses, chargé des dossiers dont personne ne veut, et sa seule consigne est de ne pas faire de l’ombre à l’occupant de la Maison-Blanche. Mais, alors que Kamala Harris a peiné à exister pendant tout le mandat de Joe Biden, J.D. Vance se sert depuis son arrivée de sa position pour jouer les agents provocateurs. Ce quadragénaire barbu accro au Diet Mountain Dew, un soda caféiné, se répand sur les réseaux sociaux pour critiquer ses adversaires qu’il qualifie de “crétins” et d’”ordures”, mettre son grain de sel dans des débats et attiser les polémiques. “Les juges ne sont pas autorisés à contrôler le pouvoir légitime de l’exécutif”, soutient ce diplômé en droit après le blocage par les tribunaux d’un certain nombre de décrets.
Il a sidéré les Européens
Outre le quart d’heure humiliant qu’il a fait passer à Volodymyr Zelensky, le vice-président a sidéré les Européens lors de son discours à la conférence sur la sécurité de Munich en leur reprochant d’avoir abandonné les valeurs démocratiques et de censurer la liberté d’expression, et en les appelant à collaborer avec les partis d’extrême droite. Entendre Vance se présenter en chantre de la démocratie ne manque pas de sel. Il refuse en effet d’admettre que Donald Trump a perdu les élections en 2020 et milite pour une Amérique de plus en plus illibérale. Il continue à insulter les alliés : l’Ukraine, a-t-il dit, a besoin de meilleures garanties de sécurité que la présence de “20 000 soldats venus d’un pays quelconque qui n’a pas fait la guerre depuis trente ou quarante ans”. Il a ensuite pris des airs outragés pour dire qu’il était “absurdement malhonnête” de penser qu’il parlait de la France et du Royaume-Uni. Cela l’a rendu célèbre sur les réseaux sociaux. On ne compte plus les memes où on le représente négativement en poupon joufflu et capricieux ou, positivement, en gros dur, héros de l’Amérique.
“Ses débuts sont excellents. Il s’est affirmé sans éclipser Donald Trump, s’enthousiasme Brian Seitchik, un consultant républicain. Il est policé, s’exprime bien et apporte un poids intellectuel au trumpisme. Il pourrait devenir l’un des vice-présidents les plus importants depuis Dick Cheney sous George Bush.” J.D. Vance n’a pas toujours été ainsi. Il a grandi à Middletown, dans l’Ohio, dans un milieu très modeste, élevé par ses grands-parents. Son père a abandonné le foyer quand il était petit et sa mère, remariée de multiples fois était toxicomane. Après le lycée, il s’engage dans les marines et est envoyé en Irak comme membre du service de presse mais rentre très désillusionné par la stratégie américaine – “une blague totale”. Il fait des études de sciences politiques et de philosophie puis intègre Yale, la prestigieuse fac de droit où il rencontre sa femme, Usha, une brillante juriste fille d’immigrés indiens. Il est embauché à San Francisco par une firme de capital-risque dirigée par Peter Thiel, un libertarien de la Silicon Valley devenu “Maga” (“Make America great again”). Puis il revient à Cincinnati, où il achète une demeure historique dans un quartier huppé et crée un fonds d’investissement et une ONG spécialisée dans la lutte contre les opioïdes. Sans grand succès.
Un premier tournant a lieu en 2016, avec la publication de ses Mémoires. Hillbilly Elegie (Livre de Poche) raconte les vicissitudes – addictions, violences domestiques… – des Blancs pauvres de la Rust Belt. Comme beaucoup de conservateurs, il y voit moins la faute de la désindustrialisation que de l’Etat providence, qui en a fait des assistés. Le livre, sorti au moment de la première campagne de Donald Trump, devient un best-seller et est porté aux nues par la critique qui y voit une explication de la popularité du candidat républicain. A cette époque, J.D. Vance ne porte pas le milliardaire dans son cœur. A longueur d’interviews, il le traite d’”idiot”, le compare à Hitler, le juge “inapte” pour la Maison-Blanche…
“Je regrette de m’être trompé sur Trump”
Peu à peu toutefois, J.D. Vance vit une métamorphose radicale. Il se fait pousser la barbe, symbole de l’hypermasculinité en vogue dans les milieux conservateurs et se réinvente en trumpiste belliqueux et bravache. “Je me suis tellement focalisé sur l’élément stylistique, que j’en ai oublié que Trump proposait quelque chose de substantiellement différent en matière de politique étrangère, de commerce, d’immigration”, se justifie-t-il dans le New York Times. Est-ce un revirement sincère ou du pur cynisme comme l’assurent ses détracteurs ? Il brigue un siège de sénateur dans l’Ohio en 2022. Pendant sa campagne financée en partie par son ex-patron Peter Thiel, ce père de trois enfants tape sur le wokisme, les démocrates, et courtise sa nouvelle idole sur Fox News : “Je regrette de m’être trompé sur ce type”, avoue-t-il. “Je crois qu’il a été un bon président, […] le meilleur de mon existence.” Donald Trump n’est pas dupe. “J.D. me lèche le c… tellement il veut mon soutien”, résumera-t-il avec élégance avant de le lui accorder. Vance remporte le scrutin.
Lors de son court passage au Sénat, le jeune élu pousse à des projets de loi contre le port du masque, la discrimination positive dans les universités, les transgenres… Très isolationniste, il s’oppose surtout à l’aide militaire à Kiev. “Je vais être honnête avec vous, je me moque assez de ce qui peut arriver en Ukraine”, déclare-t-il dans une interview. Il continue à défendre avec un zèle farouche l’ex-président sur toutes les chaînes de télé, dénonce les procès dont il fait l’objet… La flatterie s’avère payante. Le républicain le choisit comme colistier, sous la pression de son fils aîné, Don Jr, qui est l’ami de Vance.
La campagne de ce dernier est truffée de controverses. Les démocrates se font un malin plaisir de dénicher ses propos sulfureux : les Etats-Unis sont contrôlés par “une bande de femmes à chat sans mômes et malheureuses”, a-t-il clamé un jour. Une autre fois, il a estimé que les adultes sans enfants devraient avoir moins de droit de vote. Il a propagé aussi la rumeur – fausse – selon laquelle les immigrés haïtiens de Springfield, dans l’Ohio, voleraient des animaux domestiques pour les manger.

Mais Vance, le champion de la cause “Maga”, a une autre casquette moins visible. Cet admirateur du philosophe français René Girard est la figure de proue du “conservatisme national”, un courant qui critique à la fois le laxisme de la culture de gauche et le libéralisme économique, responsables du déclin de l’Amérique. Contrairement à l’orthodoxie du Parti républicain, il prône le protectionnisme, une politique sociale centrée sur la famille et un interventionnisme étatique avec notamment des crédits d’impôts pour encourager les couples à avoir des enfants. Ce populisme économique va de pair avec une volonté d’éliminer les élites woke à la tête des institutions, dont les universités, à la façon de Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, et de les remplacer par des individus guidés par le “bien commun”. Une vision très imprégnée de catholicisme. J.D. Vance s’est converti en 2019. Après son enfance chaotique, il cherche une stabilité et un sens qu’il a trouvés, raconte-t-il, dans l’enseignement de l’Eglise, sa défense de la famille, d’une société morale… “J’ai vu de vrais recoupements entre mes aspirations et celles de l’Eglise,” écrit-il. Et tant pis si l’administration Trump s’intéresse surtout à réduire les impôts pour les riches et à expulser les sans-papiers. Des priorités aux antipodes de celles du pape.
Son autre modèle, c’est De Gaulle
Outre Orbán, son autre modèle, c’est Charles de Gaulle. Il l’admire pour avoir imposé une nouvelle Constitution et renforcé l’exécutif, relancé l’industrie et maintenu l’indépendance de la France au sein de l’Alliance atlantique. J.D. Vance est en effet un grand critique des traités et institutions internationales mis en place après la Seconde Guerre mondiale. Pour lui, le nouvel ordre mondial et le libre-échange ont servi à justifier un “projet politique” visant à transformer la Chine communiste en démocratie, explique-t-il dans une interview au magazine Politico. Kissinger et ses alliés étaient bien conscients des conséquences sur l’emploi, mais ils pensaient que “si la Chine devenait davantage comme nous, ça vaudrait le coup à long terme”. Finalement, ce projet n’a pas marché, estime-t-il, et a enrichi les “élites” sur le dos des ouvriers américains, qui ont souffert des délocalisations. Son opposition à l’aide à l’Ukraine relève du même constat. Plus qu’une lutte contre l’impérialisme russe, il voit la guerre comme un moyen pour l’establishment mondialiste de maintenir ses intérêts financiers. Lui, poursuit-il, milite pour un monde dans lequel les nations géreraient elles-mêmes leur sécurité et leur économie.
J.D. Vance a une vision particulièrement noire de l’Amérique actuelle, qu’il compare à la fin de la République romaine dans l’Antiquité. Et il est prêt à tout pour sauver le pays du naufrage. Il a ainsi déclaré qu’il aurait refusé de valider les élections de 2020 s’il avait été au pouvoir à cette époque, comme le voulait Donald Trump. Il a déjà remporté une victoire avec l’arrêt (finalement suspendu) de l’aide militaire à Kiev et espère imposer d’autres de ses idées. En attendant, entre deux tweets, il gère le dossier TikTok et s’occupe des relations avec le Congrès. Il a été dépêché pour convaincre les sénateurs républicains de voter en faveur des candidats les plus controversés, comme Robert Kennedy à la Santé ou Pete Hegseth à la Défense. Et il n’a pas hésité à employer la menace : “Rejeter leur confirmation, c’est rejeter l’idée que le président Trump décide de son gouvernement”, a-t-il tonné sur X.
Ces méthodes musclées ne lui ont pas attiré que des amis. On lui reproche son côté caméléon politique et lèche-botte. Juste avant l’investiture, il a affirmé que les individus responsables d’actes de violence pendant l’assaut du Capitole en 2021 “ne devraient pas être graciés”. Quelques jours plus tard, il a applaudi la décision de son patron de libérer tous les émeutiers condamnés pour avoir frappé des policiers. “Vance était considéré jadis comme un homme prévenant avec au moins un minimum d’intégrité, mais cette réputation n’existe plus depuis longtemps”, résume Marilou Johanek, une éditorialiste de l’Ohio Capital Journal. Est-ce pour ne pas froisser Elon Musk ? Au lieu de critiquer l’un des membres de son département de l’Efficacité gouvernementale limogé pour s’être vanté d’être raciste et avoir appelé à “normaliser la haine contre les Indiens”, l’époux d’Usha a fait pression pour le réintégrer dans l’équipe. Son argument ? Il ne pouvait pas laisser les médias “détruire la vie” de ce pauvre garçon.
Il se prépare pour les élections de 2028
Après cette ascension politique fulgurante, il se prépare maintenant pour les élections de 2028. Ce qui l’oblige à un exercice d’équilibriste périlleux. Il doit se mettre en avant sans s’aliéner Donald Trump afin de ne pas subir le sort de son prédécesseur, violemment attaqué par le président. Selon ce dernier, Mike Pence était coupable d’avoir refusé de bloquer la passation de pouvoir en 2021. Trump est allé jusqu’à soutenir ses partisans prêts à le pendre. Dans une interview récente, on lui a demandé s’il considérait Vance comme son successeur. “Non, a-t-il répondu, mais il est très capable.”
Pour Joel Goldstein, cela crée “une dynamique inhabituelle. En général, le n° 2 ne pense pas à briguer le bureau Ovale dès la fin du premier mandat. Dans le cas actuel, le président ne peut pas se représenter. J.D. Vance a donc trois ans pour se positionner avant les primaires, un temps très court.” Faut-il encore que les électeurs aient envie de voter pour un Trump bis… et que ce dernier accepte de passer la main. Depuis son arrivée au pouvoir, il a évoqué plusieurs fois l’idée d’un troisième mandat. En février, lors d’une grande conférence des conservateurs à Washington, Steve Bannon, son ex-conseiller, a encouragé la foule à passer outre à la Constitution. “Nous voulons Trump en 2028”, a-t-il clamé sous les vivats.
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