Manifestation géante contre la corruption en Serbie : «Ce 15 mars marque le début de la fin du régime»

Manifestation géante contre la corruption en Serbie : «Ce 15 mars marque le début de la fin du régime»

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Bien avant la fin de l’après-midi, ce samedi 15 mars, il n’y avait déjà plus assez d’espace devant le Parlement serbe pour accueillir le flot de manifestants parti des quatre coins de Belgrade dans la matinée. Joyeux, bruyants et déterminés, les cortèges d’amis, de collègues et de familles se sont lentement redirigés vers les principales places de la capitale de la Serbie, rapidement bondées à leur tour. A la manœuvre, comme pour chaque manifestation depuis plus de quatre mois, les étudiants ont donné de la voix, du sifflet et du vuvuzela, au milieu d’une nuée de pancartes et de drapeaux serbes.

«C’est l’un des jours les plus importants de notre pays, assure Ana, 27 ans, étudiante en architecture. Depuis des semaines, on se bat pour notre avenir, pas seulement le nôtre en tant que jeunes, mais celui de tout le monde. Pour qu’on puisse vivre dans un Etat de droit, en paix, et en sécurité, et qu’on ne soit plus obligé de partir vivre à l’étranger. On ne veut plus subir la corruption ni le manque de liberté.»

Un peu partout dans le centre-ville, des stands proposent eau et nourriture gratuite, et des commerçants offrent spontanément leur aide. Vendredi déjà, Belgrade bruissait du soulèvement à venir : selon le ministère de l’Intérieur, ils étaient plus de 30 000 à accueillir en criant et en dansant des manifestants venus de toute la Serbie, à pied, à vélo, à moto ou en tracteur. En fin de journée samedi, le ministère a fait état de 107 000 personnes réunies dans la journée.

Le blocage des trains et de plusieurs axes routiers, désespérément mis en place la veille par les autorités, n’aura pas empêché cette marée humaine de déferler autour des bâtiments officiels. Aux cris répétés de «Pompez», un slogan rendant hommage à la persévérance de ce mouvement profondément horizontal et démocratique, les manifestants font bel et bien trembler le pouvoir. Beaucoup font référence à la manifestation du 5 octobre 2000 qui provoqua la chute du président guerrier Slobodan Milosevic. A Belgrade, l’atmosphère de ce début de printemps a quelque chose de pré-révolutionnaire.

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Etudiants de 21 et 27 ans, Adrijana et Martin brandissent des pancartes avec le président Aleksandar Vucic, et la présidente de l’Assemblée, Ana Brnabic, grimés en Louis XVI et Marie-Antoinette… «S’ils ne partent pas aujourd’hui, ils partiront demain, rigole la jeune femme. Ils sont encore très attachés à leur fauteuil mais ce 15 mars marque le début de la fin pour leur régime.» Deux fois dans la journée, les dizaines de milliers de personnes rassemblées se sont tues pour 15 minutes de silence : cette mobilisation était, comme les précédentes, dédiée aux 15 personnes tuées dans la catastrophe de la gare, tout juste rénovée, de Novi Sad le 1er novembre dernier. La tragédie est devenue pour les manifestants le symbole de la corruption meurtrière du Parti progressiste (SNS), au pouvoir depuis treize ans.

Dans un pays où les principaux médias sont contrôlés d’une main de fer par le pouvoir, l’inventivité et la résolution des étudiants remportent les suffrages de l’opinion. Leurs multiples blocages et leurs marches à travers les villes de province ont réveillé une large frange de la population, jusque-là politiquement résignée. «Le pouvoir est tellement autoritaire, cela fait des années que j’avais perdu l’espoir de voir la lumière au bout du tunnel, souffle Vesna, 62 ans, au bord des larmes. La jeunesse s’est levée, et grâce à elle, nous pourrons bientôt profiter du soleil.»

Si l’ambiance est à la révolte festive, les inquiétudes pointent tout de même sur la réaction d’un pouvoir sur la défensive, admirateur de Vladimir Poutine et de Donald Trump. Beaucoup craignent des incidents provoqués par des agents provocateurs. Ces derniers jours, le président Vucic a musclé son discours, accusant les étudiants de vouloir la violence et de préparer une «révolution de couleur». Dans le «parc des Pionniers» situé juste en face du Parlement, des tentes ont été installées, protégées par des tracteurs sans plaques minéralogiques. Les rares médias indépendants serbes y ont noté la présence de hooligans tout comme d’anciens membres de la JSO, une organisation paramilitaire qui sema la terreur lors des guerres des années 90. Sur les réseaux sociaux, les étudiants font état de sacs de pierre étrangement déposés ici ou là dans la ville. Des canons à eau ont également été repérés.

Ce climat de tension que semble vouloir instaurer Vucic Président est largement rejeté par des manifestants qui veulent garder le sourire. «Cela ne me fait absolument pas peur, s’amuse Jelena en brandissant un panneau avec des mains ensanglantées. Je suis persuadé que les gens ont changé. Ils ne tombent plus dans le piège de la peur. La mentalité a changé, ils croient plus à notre force en tant que peuple uni que dans les déclarations du pouvoir.» Dans cette foule immense qui s’essouffle dans les sifflets, tout le monde en est persuadé : ce 15 mars marque un tournant dans l’histoire de la Serbie.

Libération

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