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Dix ans après le début de son combat judiciaire, devenu emblématique et très suivi par les défenseurs de l’environnement, l’agriculteur péruvien Saul Luciano Lliuya est venu assister ce lundi 17 mars au tribunal de Hamm, en Allemagne, à l’audience qui y a lieu jusqu’à mercredi dans le cadre de son procès contre RWE, l’un des principaux groupes énergétiques d’Allemagne.
Soutenu par l’ONG Germanwatch, cet agriculteur qui élève poulets et moutons et cultive maïs et quinoa à Huaraz, dans l’ouest du Pérou, affirme que sa maison est menacée par la fonte des glaciers des Andes, qui ont déjà fait «remonter dangereusement à plusieurs reprises» le niveau du lac Palcacocha situé au-dessus de sa ville.
«Les glaciers sont en train de fondre, de disparaître petit à petit», a dit l’agriculteur de 44 ans, père de deux enfants, lundi avant l’audience devant un décor en carton représentant des glaciers, qu’une cinquantaine de militants ont installé devant le tribunal. «Certains lacs comme celui de Palcacocha sont devenus un risque pour moi et pour plus de 50 000 personnes qui vivent dans cette zone», a-t-il ajouté.
Saul Luciano Lliuya et Germanwatch demandent à RWE de participer symboliquement aux travaux pour réduire le niveau d’eau du lac. Motif : bien qu’il n’y ait aucune centrale au Pérou, le conglomérat fait partie des trois plus grands émetteurs de gaz à effets de serre en Europe, et est responsable de 0,47 % des émissions mondiales, selon un rapport. Les plaignants exigent donc de RWE une quote-part correspondante de 17 000 euros aux 3,5 millions d’euros de travaux.
Fin 2017, l’agriculteur avait obtenu un premier succès lorsque sa requête avait été jugée recevable en appel, après avoir été retoquée en première instance. Cette décision avait suscité l’espoir des militants de l’environnement d’en faire un cas précurseur de «justice climatique mondiale», concept politique selon lequel le Nord pollueur doit dédommager les pays du Sud victimes de la pollution. Comme l’a déjà raconté Libération, la bataille de l’agriculteur contre l’énergéticien avait commencé en 2015. Après avoir rencontré l’année précédente, lors de la COP20 à Lima, des membres de l’ONG allemande, qui lui avaient apporté un appui juridique, le père de deux enfants avait attaqué le groupe RWE devant la justice allemande. Depuis, la procédure a avancé lentement, ralentie notamment par la pandémie de Covid-19. En 2022, neuf experts mandatés par le tribunal se sont rendus au Pérou observer la situation. «Je n’aurais jamais pensé que cela prendrait autant de temps», a déclaré avant le procès Saul Luciano Lliuya, qui a déposé plainte il y a près de dix ans.
De son côté, l’énergéticien juge la requête «juridiquement inadmissible». Le plaignant «tente de créer un précédent selon lequel chaque émetteur individuel de gaz à effet de serre en Allemagne pourrait être tenu légalement responsable des effets du changement climatique dans le monde», estime le groupe d’Essen (ouest) dans une déclaration à l’AFP. Or, il n’est «pas possible d’attribuer juridiquement les effets spécifiques d’un changement climatique à un seul émetteur», souligne RWE, qui exploite en Allemagne plusieurs mines de lignite, un minerai très polluant.
Le groupe soutient notamment qu’il a toujours respecté les réglementations nationales sur les émissions de gaz à effet de serre et s’est fixé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040. RWE s’est notamment engagé à cesser la production d’électricité au charbon d’ici à 2030 dans le bassin rhénan, tout en investissant massivement dans l’éolien et le solaire.
Avec cette procédure, Germanwatch dit vouloir faire «pression» pour forcer les responsables politiques «à agir et à dire que, oui, les grands émetteurs sur cette planète doivent finalement contribuer sur le principe de pollueur-payeur», a rappelé lundi Christoph Bals, directeur politique de l’ONG.
Le tribunal doit d’abord évaluer le risque de crue pour la maison de l’agriculteur. Si celui-ci est considéré comme sérieux, il examinera ensuite dans quelle mesure le changement climatique et les émissions de RWE contribuent à une potentielle inondation.
Les litiges contre les gouvernements et sociétés polluantes se multiplient ces dernières années. «Plus de 80 affaires ont déjà été déposées contre les principaux producteurs de carbone, et ce nombre a triplé chaque année depuis l’Accord de Paris» en 2015, souligne Joana Setzer, chargée de recherche à la London School of Economics.
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