Une « pink bomb » (une bombe écologique et sociale) en Gironde ? L’entreprise Pure Salmon prévoit la construction d’une gigantesque ferme d’élevage intensif de saumons au Verdon-sur-Mer. Et celle qui produirait 10.000 tonnes de poissons par an pourrait avoir une incidence sur une réserve d’eau potable souterraine. Telle est l’inquiétude soulevée par la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) de Nouvelle-Aquitaine dans son avis en date du 7 octobre.
Pure Salmon, financée par un fonds singapourien, veut commencer la commercialisation de ses premiers saumons, frais et fumés, en 2029. Elle veut s’installer sur un site industriel de 14 hectares, appartenant au port de Bordeaux et situé au sein du parc naturel régional du Médoc. Pour alimenter les bassins de sa méga usine, la société prévoit de pomper 6.500 m3 par jour dans une nappe plio-quaternaire d’eau saumâtre. « Un enjeu particulièrement fort du dossier concerne la préservation de la nappe de l’éocène [présente sous la nappe plio-quaternaire et constituant une ressource pour l’alimentation en eau potable], tant sur le volet quantitatif que qualitatif [notamment en évitant d’aggraver les entrées salines dans cette nappe] », pointe la MRAe dans son rapport.
« La suite du projet va dépendre du niveau d’alerte »
« A cet endroit-là, l’éocène est poreux, rétorque Paul Milliotis, président du conseil d’administration de Pure Salmon France, les eaux de l’océan et de l’estuaire s’y infiltrent. Donc, de toute manière, on ne peut pas dire que l’eau y soit propre ou potable : elle est saline et on l’a prouvé. Mais, évidemment, il ne faut pas qu’il y ait d’impact néanmoins. » De son côté, l’autorité environnementale demande que le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) évalue le risque d’incidence sur la nappe de l’éocène, qu’elle considère bien comme potable. « La suite du projet va dépendre du niveau d’alerte du BRGM », avance alors Nicolas Thierry, député girondin EELV.
Rien ne semble cependant entraver la communication optimiste de Pure Salmon qui déclare par la voix de son président : « nous sommes très confiants, cela devrait confirmer ce qu’a dit la commission locale de l’eau (CLE) Sage en juin, à savoir qu’il n’y avait pas d’interaction entre la nappe dans laquelle nous pompons, semi-superficielle à 40 mètres de profondeur, et les nappes profondes. »
La consommation en eau d’une ville de 43.000 habitants
Reste que la MRAe pointe également les volumes très importants d’eau pompés (6.500 m3 d’eau), équivalent à la consommation d’une ville de 43.000 habitants et demande à la société de travailler à des alternatives plus économes en eau. « Cette mise en perspective, alors que l’eau que je pompe est saumâtre, c’est-à-dire complètement inutilisable par l’homme et pour l’agriculture, n’est, selon moi, pas forcément très pertinente », tranche le président du conseil d’administration de Pure Salmon France.
Persuadée que son projet est irréprochable, Pure Salmon va même plus loin en avançant que « c’est une eau saumâtre renouvelable à l’infini, car il s’agit de l’eau d’infiltration de mer et de l’estuaire. « Autrement dit, c’est une eau disponible autant qu’on veut », précise Paul Milliotis.
L’autorité environnementale pointe, elle, des insuffisances dans les études actuelles et demande l’avis des experts du BRGM. « C’est aux hydrologues de répondre mais, à force de pompage excessif, on peut se demander s’il peut y avoir un impact sur la nappe éocène, affirme le député Nicolas Thierry. On ne peut pas dire que ce prélèvement de 6.500 m3 est neutre. »
« Le problème de l’eau n’existe pas », assure Pure Salmon
« Le problème de l’eau n’existe pas car on ne prive personne d’eau et on a aucun impact sur aucune nappe, c’est ce que prouvent nos enquêtes », garantit encore Paul Milliotis, précisant que Pure Salmon rejettera le même volume (6.500 m3) d’une eau impeccablement nettoyée, grâce à son système RAS (pour « recirculating aquaculture systems »). Le président du conseil d’administration assure également qu’avec le RAS jamais aucune maladie ne survient dans les élevages du groupe, alors que la MRAe lui demande d’envisager les traitements éventuels de ses poissons et les risques afférents pour la contamination des eaux.
De son côté, Nicolas Thierry souligne que le chiffre concernant les prélèvements en eau a fortement évolué depuis le lancement du super projet, passant de 1.500 à 6.500 m3 par jour. « Pour moi, ce projet incarne une logique où l’économie prime coûte que coûte sur la préservation de l’environnement », lance-t-il, avant d’alerter sur le risque de « reproduire les pires pratiques » au mépris du bien-être animal avec ce projet industriel. « On nous reproche la taille du projet mais sans cette ampleur, il serait impossible de dépenser 30 millions d’euros dans un système de filtration d’eau performant et de qualité, répond sur ce point le directeur général de Pure Salmon France. Il faut comprendre qu’on a une ferme d’élevage de saumons adossée à une usine de filtration d’eau. »
La très attendue expertise du BRGM devrait intervenir fin décembre pour un début d’enquête publique vers fin janvier 2025 et une éventuelle autorisation du préfet à l’été 2025. S’il y a des risques avérés, même modérés, Nicolas Thierry espère que les autorités en prendront toute la mesure.
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