Vieillir, c’est se rendre compte que son passé est devenu un paysage, par Emanuele Coccia

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Chronique «Points de vie»

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Plus on avance en âge et plus on comprend que ce que nous avons vécu ne nous concerne plus. C’est le problème de l’Europe : elle se montre incapable d’accepter d’être vieille.

C’est peut-être ce qu’on appelle la vieillesse. A cause de l’excès d’expériences que j’ai vécues, à cause des trahisons sans fin que j’ai infligées à mon destin, depuis quelques années, l’arrivée de souvenirs plus lointains produit en moi un sentiment étrange. La vie qui se jouait lorsque j’avais à peine 8 ou 10 ans ou celle de mon adolescence, celle en somme qui est la plus éloignée des formes et des manières qui peuplent mes journées aujourd’hui, m’apparaît comme l’existence d’un ami que j’ai perdu de vue. Il n’y a plus aucune forme d’intimité réelle. Ce n’est pas seulement l’effacement des souvenirs ou la perte des détails. C’est que la force ou la violence qui me poussait autrefois à ressentir de la honte ou de la fierté, une joie infinie ou du désespoir pour ce que j’avais vécu, s’est transformée en une sorte de curiosité pour une vie à laquelle je n’ai plus l’instinct de m’identifier. Ce n’est pas tant la difficulté de se souvenir : c’est le fait que cette vie ne semble pas m’appartenir, pas plus qu’elle n’appartient à quelqu’un d’autre. C’est comme si le passé était devenu un paysage, parfois ébréché ou écorné par le temps, parfois parfaitement intact, mais pas nécessairement le mien, tout comme les arbres, les rues, les maisons et les Parisiens que je vois en sortant de chez moi le matin ne sont pas les miens. Lorsqu’un souvenir me revient soudain à l’esprit, je peux éprouver de la curiosité et chercher à mieux le comprendre, mais très souvent je suis surtout envahi

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