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Que représentent quelques pneus dégonflés au regard de l’urgence environnementale et des 40 000 morts prématurées causées chaque année en France par la pollution atmosphérique ? En s’attaquant aux «sport utility vehicle», ces mastodontes qui fleurissent dans les rues, les «dégonfleurs de SUV» défraient la chronique régulièrement. Pour combattre ces voitures ultra-polluantes, qui ont représenté plus de 20 % de la croissance des émissions mondiales entre 2022 et 2023, des militants écologistes n’hésitent plus à dégonfler des pneus, quitte à passer devant les tribunaux pour répondre leurs actes.
Jean-Michel (1), 35 ans, est l’un de ceux-là. Profitant de cette audience pour tenir une tribune en faveur de l’environnement, il a comparu mercredi 24 octobre au tribunal de police de Paris, le premier procès du genre, qui s’est déroulé sans partie civile. Les faits remontent à la soirée du 25 juillet 2022, lorsque l’activiste est surpris par la police, agenouillé devant une Jeep blanche, dans le XIe arrondissement de la capitale. Sur lui, les forces de l’ordre retrouveront des lentilles, que les militants placent dans les valves des pneus pour les dégonfler. Porche, Audi, Mercedes, Tesla… En tout, sept SUV auront été «désarmés» cette nuit-là.
«J’ai revendiqué d’avoir fait partie de ce groupe de dégonfleurs, explique Jean-Michel. Mais j’ai tenu à expliquer pourquoi cette action était nécessaire.» D’abord, retrace-t-il, la saison estivale 2022 a été qualifiée par Météo France comme «l’été de tous les extrêmes». «Le 25 juillet, nous étions au treizième jour d’une canicule qui a fait 10 000 surmortalités. Et ça, c’est un avant-goût de ce que l’avenir nous réserve», tance le militant.
1 milliard de tonnes de CO2 par an
En rappelant que le pays se prépare à un réchauffement de + 4 °C d’ici la fin du siècle, Jean-Michel parle de «menace imminente». «On l’a vu avec la tempête dans la vallée de la Roya ou, plus récemment, avec les inondations dans le Pas-de–Calais cet hiver : nos vies sont en danger sur le territoire national, physiquement et économiquement.» L’activiste estime que l’été 2022 correspond également à une période de blocage politique de l’action environnementale alors même que, quelques mois plus tôt, l’Etat a été condamné pour inaction climatique.
Si Jean-Michel parle climat, c’est parce que les véhicules qu’il honnit émettent environ 20 % de plus de CO2 qu’une voiture moyenne, l’ensemble des SUV thermiques à travers le monde étant responsable d’1 milliard de tonnes de CO2 par an, soit 2,5 fois les émissions de la France. Pire, les constructeurs exercent un «véritable matraquage marketing» pour vendre ces voitures, selon le rapport «Stop à la Pub Automobile – La voiture à l’assaut de notre imaginaire» publié mi-octobre par l’association Résistance à l’agression publicitaire. De quoi compromettre les objectifs climatiques de la France pour 2030, pointe le collectif.
Pour Jean-Michel, le dégonflage des pneus est donc une «action légitime» et «proportionnée» qu’il qualifie de «contre–pouvoir». «On ne dégonfle pas les pneus des voitures des personnes handicapées ou des professionnels de santé. Et on laisse un message pour prévenir le conducteur. Je ne suis pas fier d’avoir causé du dommage à autrui mais on a mis le débat sur la table», affirme-t-il. Et de rappeler que la mairie de Paris a récemment légiféré pour taxer le stationnement de ces véhicules XXL dans la capitale.
«Retirer l’air d’un pneu sans causer de préjudice, ce n’est pas de la dégradation», a plaidé de son côté l’avocate de la défense Hanna Rajbenbach. De plus, explique-t-elle à Libé, elle a invoqué la liberté d’expression et l’état de nécessité, deux notions retenues lors de précédents procès liés à des actions en faveur de l’environnement. «Ces arguments ont été balayés par le juge, qui a considéré qu’il y avait d’autres manières de faire pour alerter», précise l’avocate.
Vandalisme
Jean-Michel affirme ne rien regretter mais il reconnaît avoir été «troublé» lorsque le procureur lui a asséné que ce type d’action était contre-productive pour rallier le public à sa cause. «Il m’a dit que dégonfler des pneus de SUV, c’était associer l’environnement au vandalisme et que cela rendait l’écologie impopulaire», rapporte le militant. Le procureur, tout en reconnaissant l’urgence environnementale, a tout de même requis 400 euros d’amende. Le président du tribunal a finalement choisi de la rabaisser à 300 euros.
Alors qu’il encourait jusqu’à 1 500 euros d’amende, Jean-Michel fera appel de cette décision. «C’est très important qu’on réussisse à convaincre les juges que nos actions sont justes. Aujourd’hui, le militantisme écologique se fait de plus en plus réprimer, alors nous devons nous donner des moyens de résistance, à travers des relaxes qui pourront faire jurisprudence», explique l’activiste. Hanna Rajbenbach abonde, jugeant que cette condamnation est «le signe que la répression est bien présente». Elle l’assure, la relaxe, était «fondée juridiquement». Jean-Michel, lui, sera de nouveau devant les tribunaux début novembre, cette fois-ci pour avoir bloqué une route avec le collectif Dernière Rénovation.
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