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Question posée par Minimy le 14/10/2024
En ce début de semaine, plusieurs comptes du réseau social X ont attiré l’attention sur l’existence de sites internet proposant, pour quelques euros, de générer de faux arrêts maladie.
Le compte «Papa chasseur» a ainsi démontré, ce lundi 14 octobre, à quel point il était aisé d’obtenir un faux arrêt en ligne sans être malade, ni consulter de médecin. L’internaute, dans une série de tweets, montre les quelques étapes lui ayant permis, au bout de quelques questions, de choisir lui-même les dates de son arrêt. Et d’ironiser : «Je vais m’autoprescrire un arrêt de sept jours à partir de demain. Pour un putain de rhume sans aucun symptôme.» Le «thread» largement repris, commenté, et partagé (notamment par une partie de la droite, prompte à extrapoler l’existence d’un système de fraude généralisée) a aussi poussé plusieurs internautes, dont certains journalistes, à tenter l’expérience. «Je trouvais ce thread trop gros pour être vrai. J’ai testé. Pour 9 euros, j’ai été arrêté en cinq minutes par une docteure parisienne, pour ma grossesse (fièvre, nausées). Je pouvais payer un peu plus pour prendre des vacances. Je suis la commande 14162», raconte ainsi un journaliste affilié au site Numerama.
Plusieurs plateformes bloquées depuis 2020
L’existence de tels sites est connue depuis de l’assurance maladie. En 2020, deux de ces plateformes avaient été interdites par la justice française, suivi par quelques autres, dont un à l’été 2024. Comme nous le précise la Cnam, les plateformes étant souvent domiciliées à l’étranger, l’interdiction se matérialise généralement par un blocage d’accès à l’URL.
Ces sites frauduleux ont souvent l’aspect de n’importe quelle plateforme médicale moderne. L’un d’entre eux annonce sur sa page d’accueil : «Pour une pause assurée, remplissez un court formulaire et recevez en trois minutes votre arrêt de travail à transmettre à votre employeur.» Contredisant la page d’accueil, la rubrique «conditions d’utilisations» précise toutefois que «les arrêts de travail générés par ce site ne peuvent pas être utilisés pour justifier une absence auprès d’un employeur, ni transmis à la CPAM […] dans le but d’obtenir des droits à des prestations sociales ou des indemnisations. Ces documents n’ont aucune validité légale et ne peuvent en aucun cas servir à obtenir un arrêt de travail officiel». A quoi servent, alors, les faux arrêts maladie générés ? Le site développe un argumentaire tortueux : «Les documents générés par ce site sont fournis uniquement à titre démonstratif. Ils sont créés automatiquement et ne doivent en aucun cas être considérés comme des documents légaux ou officiels.»
Plus loin, on apprend que les informations qui figurent sur les documents, «telles que le nom du médecin, [son] adresse, et la signature, sont fournies uniquement à titre indicatif et sont totalement fictives». Totalement ? Vraisemblablement pas, puisque la plateforme précise que «le médecin mentionné n’a pas donné son consentement pour que ses informations soient utilisées, et la signature affichée sur les documents n’est pas celle du médecin réel». Ce qui suppose bien l’usurpation de l’identité de praticiens réels – probablement dans le but de crédibiliser les documents produits, en cas de contrôle.
Partant d’un des faux arrêts maladie récemment obtenu par un internaute, CheckNews a ainsi tenté de contacter le médecin, affiché comme le signataire du document, et son établissement de rattachement. Ce dernier, un centre de santé privé, note que le praticien a déménagé «en 2022», suggérant que les plateformes frauduleuses emploient des bases de données bien réelles pour générer les documents.
Tous les sites ne procèdent pas ainsi. Un autre site, édité par une entreprise basée au Pakistan, prétend lui travailler avec «[des] médecins habilités à délivrer un certificat d’incapacité de travail SANS consultation médicale, [qui] opèrent au niveau international». Tout en prévenant les clients que certains employeurs pourraient s’interroger de voir les arrêts signés par des praticiens qui opèrent hors de France.
Cette même plateforme met d’ailleurs plusieurs fois l’usager en garde contre le risque de se faire prendre par l’employeur. Le formulaire permettant de générer l’arrêt interroge ainsi : «Votre employeur est-il insatisfait de votre travail, méfiant ou a déjà contesté des attestations ?» Une réponse positive interrompt la procédure, l’usager étant invité à réaliser une vraie consultation médicale. A l’inverse, il ne faut plus que quelques clics pour parvenir à une page de paiement. Dans sa section «questions fréquentes», le propriétaire du site donne également ce conseil : «Attention, tu dois demander IMMÉDIATEMENT à ton employeur d’accepter la déclaration de maladie, surtout s’il est méfiant. Tu pourrais par exemple lui écrire : “Voici ma déclaration de maladie en PDF. Est-ce que ça va comme ça ?” S’il ne l’accepte pas rapidement, annule sans frais.»
Gare à ceux qui voudraient l’arrêt et l’indemnisation de l’arrêt
Que peuvent réellement espérer les utilisateurs de telles plateformes ? Plusieurs cas de figure se posent, qui différeront selon les politiques de ressources humaines des entreprises. Dans le cas d’un arrêt inférieur ou égal au délai de carence de l’assurance maladie, c’est-à-dire de moins de trois jours, l’employeur informé d’un arrêt de travail n’attend aucun retour de l’administration. Pour quelques euros déboursés pour son faux certificat, le fraudeur obtient l’équivalent d’un congé sans solde, pris au débotté sans négociation avec l’employeur. Mais dans l’hypothèse où l’entreprise pratique un maintien de salaire, total ou partiel, durant le délai de carence, l’employeur est donc la principale victime du subterfuge.
La situation peut se compliquer lorsque l’arrêt frauduleux couvre une durée supérieure à trois jours. Dans le cas où le document factice n’est transmis qu’à l’employeur, tout va encore dépendre de la politique de l’entreprise. Un certain nombre d’employeurs ne pratiquent pas d’avance sur indemnités journalières. Dans cette situation, il s’attend à ce que les jours d’absence pour arrêt maladie soient directement indemnisés par la Cnam, et il ne paye le salarié qu’au prorata de ses jours travaillés. Si le fraudeur ne sollicite pas la Cnam, la situation est une nouvelle fois peu ou prou équivalente à celle d’un «congé sans solde» obtenu par tromperie.
Mais beaucoup d’employeurs optent pour l’avance d’indemnités journalières aux salariés malades : les jours d’arrêt maladie au-delà des trois jours de carence sont versés, au jour de paye habituel, par l’entreprise… qui s’attend à recevoir les indemnités journalières correspondantes de la Cnam. Or si celle-ci n’a pas été sollicitée, l’employeur ne recevra rien. Il se retournera alors vers l’employé, pour lui demander de transmettre la copie de l’arrêt à l’assurance maladie. Selon le responsable des ressources humaines de Libération : «Faute de recevoir des fonds de l’administration, l’employeur sera fondé à déduire d’un futur bulletin de salaire les sommes avancées.»
Gare à ceux qui tenteraient de berner l’administration. Cette dernière est au fait de l’existence de ces sites frauduleux. «Il y a tout un faisceau d’indices qui permet de détecter les documents factices, nous explique l’assurance maladie. A titre d’exemple, certains noms de médecin dont l’identité est usurpée. Mais il y a beaucoup d’autres points de vigilance. En cas de doute sur une usurpation d’identité, nous pouvons appeler les médecins pour vérifier qu’ils sont bien à l’origine de l’arrêt.»
De fait, comme le note le journal médical Egora, un site frauduleux récemment fermé prenait soin d’expliquer à ses usagers que «l’arrêt maladie [qui a été] accordé ne vous permet pas, en règle générale, d’être indemnisé par votre caisse de sécurité sociale en raison du délai de carence. Par conséquent, il n’est pas utile que vous envoyiez le volet du certificat d’arrêt de travail destiné à la CPAM»… Une autre façon d’inviter à ne pas trop attirer l’attention sur le bout de papier bidon.
«Kits clés en main»
Les statistiques de la Cnam sur les tentatives d’escroqueries aux arrêts de travail regroupent une grande variété de pratiques. La problématique de la sollicitation d’indemnités indues se double parfois d’une tentative de majorer le montant, en fournissant de faux bulletins de salaire. Puisque l’indemnité journalière équivaut à la moitié du salaire journalier de base, des petits malins tentent le tout pour le tout. Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre des tentatives d’escroquerie, la Cnam estime que les faux arrêts de travail ont représenté, pour 2023 «un préjudice financier de 7,7 millions d’euros» (sur un total de fraude détecté de 466 millions sur la même année 2023), avec 1 700 dossiers de fraudes (contre 5 millions d’euros en 2022 et 1 000 dossiers en 2022). En un an, le préjudice moyen par dossier est passé de 3 900 à 4 300 euros, tant en raison de l’apparition sur les réseaux sociaux d’offres de «kits clés en main» (avec faux arrêts et faux bulletins), mais également «des allongements de la durée des faux arrêts.»
En 2023, l’assurance maladie a engagé «près de 1 150 suites contentieuses dans des dossiers de faux arrêts de travail, dont 830 pénalités financières, 114 plaintes pénales et 56 signalements au procureur». La Cnam travaille actuellement à une modification des arrêts «papier», les fameux Cerfa, avec l’inclusion d’éléments infalsifiables (possiblement un hologramme) pour empêcher toute usurpation. Le recours, sur l’année 2024, à 60 cyberenquêteurs disposant de prérogatives de police judiciaire était également annoncé. Ils auront pour tâche de «mener des opérations d’infiltration et d’investigation dans le champ du numérique».
Côté risques encourus par le fraudeur, la Cnam nous précise qu’elle est en droit d’obtenir de lui «jusqu’à trois fois les indemnités qui lui ont été indûment versées». S’agissant de «faux et usage de faux», la fraude peut en outre être punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende en cas de poursuite pénale.
Toute l’offre dématérialisée autour de l’obtention d’arrêts maladie n’est pas nécessairement illégale. Certains médecins assurant des téléconsultations mettent volontiers en avant le fait qu’ils peuvent délivrer de tels arrêts… Tout en rappelant aux patients que, depuis le 27 février 2024, la durée maximale d’un arrêt de travail prescrit à l’issue de consultations en ligne «est limitée à trois jours», dès lors que le prescripteur n’est pas le médecin traitant du patient. Comme le rappelle le site de l’assurance maladie, au-delà de trois jours, les arrêts prescrits en téléconsultation «ne sont pas indemnisés». Si un patient a besoin d’un repos plus long, «il nécessite un examen physique qui doit se faire en présentiel». S’il s’agit d’une prolongation d’arrêt de travail, «la limite des trois jours s’applique également sauf si le patient peut prouver qu’il lui a été impossible de consulter en cabinet un professionnel médical compétent».
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