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A l’occasion de la présidentielle 2024 aux Etats-Unis, «Libération» et la librairie le Comptoir des mots explorent le pays à travers 50 romans noirs. Cinq nouvelles étapes avec, notamment, Jim Thompson et Gillian Flynn.
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Avec Théodore Dillerin de la librairie le Comptoir des mots, dans le XXe arrondissement de Paris, l’équipe de Libé Polar a constitué une liste de 50 polars couvrant les 50 Etats d’Amérique. A la veille d’une présidentielle cruciale pour l’avenir des Etats-Unis et de la planète, il nous a paru important de mettre en avant un genre qui permet aujourd’hui de mieux comprendre le monde. Cette liste de polars est forcément subjective, il nous a fallu faire des choix drastiques, mais l’ensemble raconte formidablement bien les fractures de la société américaine, le racisme toujours présent, la montée de la violence, les inégalités sociales, mais aussi les paysages sublimes, les opportunités pour qui ose tenter sa chance, le rêve américain en somme, ou ce qu’il en reste.
Nebraska
Les petites vies de Sean Doolittle
Devenu vigile de nuit d’un supermarché après avoir frappé un collègue, Matthew Worth ternit l’image d’une lignée de flics s’étant illustrés de génération en génération. Largué par sa femme (partie avec son supérieur) et endossant le rôle du parfait loser réduit à remplir des sacs de courses, Matthew voit une occasion de redorer son blason en sortant Gwen, la caissière qu’il drague entre deux clients, des griffes de son petit ami violent. Seulement voilà, vouloir devenir un héros et le devenir relèvent de deux registres différents. Surtout quand, comme Matthew, on n’est pas le gars le plus futé du Nebraska. Enchaînant les mauvaises décisions, ce parfait antihéros va s’empêtrer dans une suite de situations aussi absurdes que dangereuses. Maniant le genre avec brio, Sean Doolittle peint des personnages menant une petite vie, n’osant même pas sérieusement s’imaginer quitter leur trou, et les malmène avec sadisme. On voit se mettre en branle un implacable engrenage qui dépasse rapidement ce qu’un type lambda peut gérer, le tout dans un humour noir qui n’est pas sans rappeler celui des frères Coen. Th.D.
Sean Doolittle, Savemore, traduit par Sophie Aslanides, Rivages Noir, 2010, 351 pp., 9,65 €.
Kansas
L’orphelin d’Earl Thompson
«Toutes les familles ont leurs problèmes», écrit en exergue Earl Thompson dans l’édition originale américaine de son premier roman, Un jardin de sable, citant Candy Mossler – femme du monde de Long Island accusée d’avoir trucidé son mari millionnaire dans l’une des affaires de meurtre les plus sensationnelles des années 60. On sait donc tout de suite qu’on a affaire à un sacré tordu d’auteur, vu qu’il serait difficile d’imaginer clan plus problématique que la famille MacDeramid dans ce roman. Mais c’est à hauteur de braguette que se situe le plus gros de ce pavé hors normes qui relate sur plus de 700 pages l’enfance un brin bousculée d’un orphelin élevé par ses grands-parents en bordure de Wichita, Kansas. Autant dire que cette enfance n’a rien d’un jardin japonais bien raclé. Si Thompson évoque bien en introduction les plaines à blé et la mortelle platitude de l’ethos chrétien, c’est à un Kansas post-agraire et soiffard qu’on a affaire – un Etat dans lequel durant la Prohibition les paroissiens hypocrites raffolaient tant du sirop Hadacol (15 % d’alcool) que les drugstores le servaient au comptoir dans un shot glass à whisky. Durant la Dépression, certaines sections de Wichita étaient aussi dangereuses que Chicago, et les grands-parents du roman finiront dans une caravane sur «Nigger Alley». Thompson, comme beaucoup d’auteurs américains de cette génération, a commencé à lire vraiment sur les vaisseaux de l’US Navy juste après la guerre, apprenant le journalisme à l’université du Missouri grâce à une bourse de la G.I. Bill. Un jardin de sable est un livre ouvertement épisodique, et certains épisodes sont plus désopilants ou atterrants que d’autres. Il aurait sans doute gagné à être élagué, même si on se laisse porter par le style conversationnel de Thompson, engageant et facile à lire, qui contraste avec l’invraisemblable violence de son roman. Ph.G.
Earl Thompson, Un jardin de sable, traduit par Jean-Charles Khalifa, éditions Monsieur Toussaint Louverture, 752 pp, 14 euros.
Oklahoma
L’Amérique miséreuse de Jim Thompson
Publié dans la Série noire pour la première fois sous le titre Deuil dans le coton en 1970, ce texte de Jim Thompson a bénéficié d’une nouvelle traduction effectuée par Hubert Tézenas (plus que bienvenue) en 2019 pour les éditions Rivages. Bien moins connu que son fameux Pottsville, la Cabane du métayer n’en est pas moins un titre important de cet auteur majeur du roman noir américain né en 1906 dans l’Oklahoma. C’est dans ce même Etat, carte postale de l’Amérique rurale, que Thompson situe son intrigue. Tommy Carver a 19 ans, il est plutôt futé et impulsif mais sans le sou, car fils d’un métayer fauché au service de Matthew Ontime, riche propriétaire terrien. Seulement voilà, en s’entichant de Donna, la fille de l’homme pour qui travaille son père, Tommy n’a pas choisi la facilité. Le drame guette et le remake de Roméo et Juliette au beau milieu des champs de coton n’est pas loin. Jim Thompson ausculte une Amérique miséreuse où les rapports de domination, qu’ils soient économiques ou raciaux, conduisent inévitablement au drame. En cela, il se pose en héritier légitime de Steinbeck : peintre d’une Amérique des campagnes où la puissance du texte dessine l’âpreté du quotidien de ceux qui y vivent. Un texte à (re) découvrir urgemment. Th.D.
Jim Thompson, la Cabane du métayer, traduit par Hubert Tézenas, Rivages Noir, 2019, 300 pp., 8€, (ebook : 7,99 €).
Iowa
Les suspects de Donald Harstad
Dans une ferme en périphérie d’une petite ville de l’Iowa, un corps est retrouvé, la suppliciée semble avoir été victime des pires sévices. Carl Houseman, le shérif de la localité, prend en charge cette affaire qui vient bousculer le quotidien paisible de cette région des Etats-Unis où il ne se passe jamais rien. Alors qu’il démarre son enquête, les meurtres se multiplient, orientant le shérif sur la piste de crimes rituels. Une course contre la montre s’enclenche alors pour trouver le coupable. «[Je] sortis de ma banque de données la liste des gens arrêtés pour trafic ou simple détention de stupéfiants. Depuis l’origine du projet, qui datait de dix-huit mois, j’avais réuni environ 400 noms. Dans un comté de 22 000 personnes. Je sélectionnai, dans ma liste, ceux qui avaient été appréhendés pour comportement violent. Plus que 300 noms. Même topo pour les personnes impliquées, de près ou de loin, dans des cambriolages. Restaient 75 candidats. J’introduisis le paramètre «intérêt pour les sciences occultes». Plus que treize […]. Treize suspects. Et pas de mobiles. Mais c’était mieux que rien.» Lui-même flic dans la police de l’Iowa durant plus de vingt ans, Donald Harstad s’est inspiré d’une affaire sur laquelle il a réellement travaillé, entremêlant sectes et satanisme. Ancré dans la réalité et rédigé dans un style syncopé, Onze jours nous glace jusqu’à la moelle. Th.D.
Donald Harstad, Onze jours, traduit par Serge Halff, Points, 2005, 280 pp., 7€.
Missouri
Les illusions de Gillian Flynn
Troisième roman de l’américaine Gillian Flynn, les Apparences est devenu en un éclair un best-seller mondial avant même d’être adapté au cinéma par David Fincher. Couple modèle, Amy et Nick n’ont pas réussi leur carrière à New York comme ils l’espéraient et sont contraints de repartir dans la petite ville natale de Nick, au cœur du Missouri. Histoire de recommencer à zéro sans y croire tout à fait. Un soir où Nick rentre chez lui, il constate, dans sa maison saccagée, que sa femme a disparu. Tantôt victime, tantôt suspect, le couple n’est jamais ce que le lecteur imagine. Et de retournements en surprises, le roman dévoile autre chose qu’une simple manipulation. En donnant la parole en alternance à ce couple parfait, Gillian Flynn joue sur toutes les gammes de l’illusion et du mensonge. Les Apparences est un très bon thriller qui fonctionne comme une mécanique de précision avec un soupçon de paranoïa pour accrocher les lecteurs et les obliger à douter en permanence. La tension ne retombe jamais. Jusqu’au dernier chapitre, joliment pervers et vraiment inattendu. Ch.F.
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