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Coincés dans le village du Muy, dont l’unique point d’accès a été endommagé par les fortes pluies du week-end, habitants et vacanciers prennent leur mal en patience.
Le pont est plié en deux. Son tablier, sa structure porteuse, forme désormais un V, craquelant le bitume aux extrémités et abaissant le niveau au centre. Il n’est plus possible de franchir la rivière du Couloubrier au Muy, dans le Var, tant le risque d’emportement est grand. Les intempéries du week-end, intenses et répétées, ont affaissé le pont, unique passage vers la résidence des Canebières. De l’autre côté de la rivière, 584 habitants sont coincés dans ce domaine privé de la commune. Une situation qui devrait durer jusqu’à l’installation d’une passerelle piétonne «dans un délai de 24 h à 48 h», selon la préfecture. En attendant, les habitants restent «prisonniers dans le paradis», image Malte, l’un des habitants isolés.
Le domaine des Canebières est un parc de résidences secondaires. Au cœur du massif des Maures, sous ses chênes et ses pins, la route forestière serpente vers des chalets en bois et des mobile homes dispersés sur 277 hectares. Il y a une épicerie et un bar. Il y a des vacanciers et 150 résidents à l’année. En temps normal, «l’accès au domaine ainsi qu’aux activités est strictement réservé aux propriétaires et ayants droit», dit le site internet. Il faut même noter son nom sur une feuille à l’entrée et passer devant un garde de sécurité privée pour entrer. Mais ce lundi 28 octobre au matin, personne ne passe. Le garde surveille le pont. Il a consigne d’appeler la gendarmerie en cas de franchissement.
«Peur d’une coupure d’eau ou d’électricité»
Malte a découvert les dégâts dimanche. De l’autre côté de la berge, «le béton craque», constate-t-il. Il est remonté dans sa résidence secondaire, qu’il occupe depuis deux jours seulement. Ce juge allemand de 51 ans comptait passer des vacances avec sa mère. Il se retrouve en marge du reste du monde. «On va attendre, se résout-il. Il n’y a rien à faire d’autre.» Malte est «heureux d’avoir fait les courses», il a «peur d’une coupure d’eau ou d’électricité» : «Ce serait le pire. On ne pourrait plus rester, estime-t-il. Mais pour le moment, il y a une grande solidarité. La baguette qu’on a achetée est terminée. Alors les voisins nous ont donné de la farine pour faire du pain.» Ça rappelle des souvenirs de confinement à sa maman. C’est ici qu’elle était déjà restée bloquée pendant la crise du Covid. C’était lors de sa dernière visite.
Le pont est quasi-centenaire. Privé, il n’est pas contrôlé par les services de l’Etat, son entretien étant à la charge des propriétaires. Quand il pleut très fort, le ruisseau se transforme en petit lac. Le pont est immergé. C’est habituel. Les riverains possèdent même une barque – sortie lors de la grande inondation de 2010 – et cinq jours de réserve en eau potable. Mais cette fois, «toute la terre et la berge sont parties», constate le gérant de la SCI, Richard Szczepanski, qui vit ici depuis cinquante ans. «Ce qui soutenait le tablier n’a pas tenu.» C’est ainsi que près de 600 personnes se retrouvent dans cette résidence de loisirs des années 60, qui n’aurait jamais dû se transformer en habitat à l’année. «On y est bien à l’été, moins l’hiver», dit la maire, Liliane Boyer. L’été, le ruisseau est à sec. Ce sont plutôt les feux de forêts qui préoccupent les habitants.
«Trois évacuations sanitaires ont été réalisées par hélicoptère»
«On est bloqués, bloqués, bloqués, répète Christiane, qui prend la situation avec moins de légèreté que Malte. Heureusement, quand on habite ici, on fait le plein de courses. J’ai un grand congélateur, un frigo. Sans savoir ce qui allait m’arriver, j’avais acheté 5 kilos de patates. Pour l’instant, j’ai de quoi manger et boire, relativise cette retraitée d’EDF de 76 ans. Comme on ne sait pas combien de temps ça va durer, au bout d’un moment, ça risque de commencer à poser problème.»
Les idées vont bon train autour du pont. Christiane suggère «un pont provisoire de l’armée». Un porteur de repas pour les personnes âgées et handicapées de la résidence, lui aussi bloqué devant le pont et dans l’incapacité de faire sa livraison, rêve d’une tyrolienne. Malte envisage «un passage à pied» quand l’eau sera moins furieuse. Son vol retour est programmé le 5 novembre. Certains ne peuvent pas attendre. «Trois évacuations sanitaires ont été réalisées par hélicoptère vers les établissements hospitaliers du secteur», annonce la préfecture. Trente personnes sont évacuées ce lundi sur une piste forestière par un véhicule militaire, surtout des vacanciers qui doivent retourner travailler.
«La majorité a fait le choix d’attendre sur place», expose la sous-préfète de Draguignan, Myriam Garcia, qui annonce une passerelle piétonne qui sera élargie pour la circulation routière – soit quatre buses avec une plateforme dessus. Pour le pont définitif, c’est une autre histoire. Entièrement à la charge de la copropriété, les devis s’élèvent «de 100 000 euros à beaucoup plus», dit Richard Szczepanski. Les réseaux d’eau et d’électricité passent sous le pont. Ils seront sécurisés par une autre voie et la supérette sera rouverte. Devant le pont, le garde prend régulièrement des photos. Entre deux clichés, à une heure d’intervalle, la faille s’est encore étirée.
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