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C’est sans doute l’unique constat sur lequel Kamala Harris et Donald Trump s’accordent : il reste une semaine aux Américains pour sauver leur pays. Le sauver des «ennemis intérieurs» et de «l’invasion migratoire», rabâche le républicain, plus outrancier que jamais. Le sauver du «fascisme» et des «flammes de la haine et de la division», martèle la démocrate, désireuse d’incarner une génération et une nation prêtes, selon elle, à «tourner la page» de l’éreintante décennie Trump. Confrontés à ce choix antinomique, les électeurs semblent, à en croire les derniers sondages, littéralement coupés en deux. Alors que le monde a les yeux tournés vers les Etats-Unis, chaque camp n’a désormais qu’une obsession : convaincre ses soutiens d’aller voter. Car dans ce scrutin indécis comme rarement, chaque voix pourrait faire la différence.
Bons baisers de Manhattan
Trump, l’enfant du Queens ébahi par les lumières de Manhattan, était visiblement ému de faire dimanche 27 octobre, pour la première fois, un meeting au Madison Square Garden, enceinte légendaire du sport et du spectacle au cœur de New York. Pour tenter de donner un peu de glamour à cet événement aux relents du raout nazi tenu au même endroit en 1939, l’ex-First Lady Melania Trump, quasi invisible pendant toute la campagne, a fait une brève apparition. Pour le reste, les près de 20 000 spectateurs dévoués ont eu un droit à un spectacle tout en transe et en outrances, entre sorties racistes, sexistes et vulgaires, agenda d’extrême droite anti-migrants et anti-élites. Philippe Coste était sur place.
Journal de campagne précédent
Vous reprendrez bien une petite blague raciste
De la trentaine d’orateurs chargés de chauffer la foule au Madison Square Garden, le «comédien» et «humoriste» Tony Hinchcliffe a réussi à sortir du lot – et ce n’était pas une mince affaire. Il faut dire que le quadragénaire a balayé très large – Noirs, Latinos, Palestiniens, Juifs – pour s’assurer d’insulter tout le monde, à part les suprémacistes blancs. Sa tirade la plus virale a visé Porto Rico, le territoire américain des Caraïbes : «Il y a littéralement une île d’ordures flottantes au milieu de l’océan en ce moment. Je crois qu’elle s’appelle Porto Rico», a-t-il lancé, sous les rires de la foule.
“There’s a lot going on. I don’t know if you know this but there’s literally a floating island of garbage in the middle of the ocean right now. I think it’s called Puerto Rico” pic.twitter.com/IXbXqDijyU
— Acyn (@Acyn) October 27, 2024
Ce racisme décomplexé a choqué, à commencer par les principaux concernés. Il a aussi surpris, tant la campagne Trump cherche à grappiller des voix chez les latinos. Et si les habitants de Porto Rico ne votent pas à l’élection présidentielle, plusieurs millions d’entre eux vivent et votent sur le territoire continental des Etats-Unis, notamment dans l’Etat crucial de Pennsylvanie. «Cette blague ne reflète pas les opinions du président Trump ou de sa campagne», a indiqué l’équipe de campagne, visiblement inquiète des retombées. Hinchcliffe, lui, a accusé ses détracteurs de n’avoir «aucun sens de l’humour» et ajouté : «J’aime Porto Rico et j’y passe mes vacances.» Pas certain qu’il y passe les prochaines.
«Il y a de la joie dans ce combat»
Eglise, barbier, librairie afro-américaine, restaurant portoricain, échange avec des enfants basketteurs et, pour finir, meeting dans un complexe sportif : Kamala Harris a vécu un dimanche chargé à Philadelphie, berceau de la démocratie américaine et plus grande ville du plus crucial des «swing states». Déterminée à marquer le contraste avec la noirceur de son rival, la vice-présidente revendique la bonne humeur comme arme politique. «Nous devons tracer une nouvelle voie. Et oui, nous serons joyeux dans ce processus. Oui, nous aimons rire. Oui, nous savons que lorsque vous vous souciez des gens et que vous comprenez ce pour quoi vous vous battez, il y a de la joie dans ce combat», martèle-t-elle devant une foule très féminine.
Au premier rang, collée à la barrière de sécurité, sa fille de 4 ans, Daisy, dans les bras, Ellen Pierson transpire cette joie. D’être là, de combattre pour ce qu’elle croit juste. «Je lutte pour notre pays et ma fille est l’un de mes moteurs», dit la mère de famille, casquette violette SEIU, le grand syndicat du tertiaire, sur la tête. A plusieurs reprises, Daisy perroquette de sa petite voix la foule qui scande «We’re not going back» («On ne retournera pas en arrière»), déclenchant l’hilarité autour d’elle. Son discours terminé, Kamala Harris serre des mains, enchaîne les selfies. Elle s’arrête à hauteur d’Ellen, échange quelques mots avec elle, enlace Daisy. «Elle m’a remercié pour le soutien de notre syndicat. Je lui ai répondu qu’elle nous rendait fiers. Ce n’est pas une élection comme les autres. On se bat pour la survie de notre démocratie et la défaite est interdite.»
Dans l’Arizona, un effet avortement pour Kamala Harris ?
Dix Etats, cette année, tiennent des référendums sur l’avortement, mais c’est en Arizona que la démarche paraît la plus à même de peser sur le scrutin présidentiel. La proposition 139, soumise à référendum sur le même bulletin de vote, inscrirait l’accès à l’IVG comme un «droit fondamental» dans la Constitution de l’Arizona. La campagne Harris compte sur un vaste élan en faveur de l’amendement pour doper la participation et ses chances dans cet Etat pivot, qui penche le plus souvent à droite mais que Joe Biden avait remporté sur le fil en 2020. «C’est un choix qui doit appartenir à chaque femme, sans que le gouvernement s’en mêle», insiste la jeune sénatrice progressiste Anna Hernandez, qui a constaté une large adhésion à la «Prop 139», y compris au-delà des électeurs démocrates. «Je suis optimiste, les gens se montrent déterminés, engagés sur cette question. Beaucoup s’inscrivent sur les listes ou demandent leur bulletin de vote pour cette seule raison», a-t-elle confié à notre envoyé spécial en Arizona, Julien Gester.
Et si on expulsait (aussi) les Américains ?
S’il est élu, Trump promet la plus grande vague d’expulsions de l’histoire des Etats-Unis. Un plan qui menacerait des millions de familles dont les parents sont en situation irrégulière mais les enfants citoyens américains. Comment faire ? Journaliste à l’émission 60 Minutes, Cecilia Vega a posé la question à Thomas Homan, ex-patron d’ICE, l’agence fédérale de contrôle de l’immigration et principal conseiller de Trump sur le sujet. «Est-il possible de procéder à des expulsions massives sans séparer la famille ?» lui a-t-elle demandé. La réponse est aussi claire que glaçante : «Bien sûr. Les familles peuvent être expulsées ensemble.» Une «solution» totalement illégale, un citoyen américain ne pouvant pas être expulsé de son propre pays.
Trois journaux, deux ambiances
Sur une pleine page et en gros caractères, le New York Times a étalé dimanche 27 octobre son soutien à Kamala Harris en torpillant son rival : «Donald Trump dit qu’il poursuivra ses ennemis en justice, ordonnera des déportations de masse, utilisera des soldats contre les citoyens, fera de la politique avec les catastrophes, abandonnera ses alliés… Croyez-le.» A l’inverse, le Washington Post et le Los Angeles Times, soutiens habituels des démocrates, ont annoncé ne pas prendre position. Jugées «lâches» et «honteuses» dans et en dehors des rédactions – 200 000 lecteurs ont déjà, selon la radio publique NPR, résilié leur abonnement au Post, soit environ 8% de leur 2,5 millions d’abonnés payants -, ces décisions ne tiennent pas du hasard. Les deux journaux sont possédés par des milliardaires, le fondateur d’Amazon Jeff Bezos (Washington Post) et le chirurgien Patrick Soon-Shiong (LA Times), qui ont «tous les deux intérêt à s’immiscer dans les bonnes grâces de Donald Trump», analyse Sébastien Mort, spécialiste des médias américains. Lire son interview ici.
La masterclass de Michelle Obama
Si vous ne devez regarder qu’un seul discours de cette folle campagne électorale, vous seriez bien avisé de choisir celui prononcé samedi 26 octobre dans le Michigan par Michelle Obama (ici en intégralité sur YouTube). En une quarantaine de minutes, l’ancienne First Lady a rappelé qu’elle était l’une des meilleures oratrices du Parti démocrate. Puissante, inspirante, chirurgicale pour démolir Donald Trump et magistrale dans sa façon de parler de l’avortement et des droits reproductifs, interpellant les hommes tentés par un vote Trump sur leur complicité. «Si nous ne gagnons pas cette élection, votre femme, votre fille, votre mère, nous toutes en tant que femmes, deviendrons des dommages collatéraux de votre rage, a-t-elle prévenu. Alors, êtes-vous prêts, en tant qu’hommes, à regarder dans les yeux les femmes et les enfants que vous aimez et à leur dire que vous avez soutenu cet assaut contre notre sécurité ?»
Michelle Obama: If we don’t get this election right, your wife, your daughter, your mother, we as women will become collateral damage to your rage. So are you as men prepared to look into the eyes of the women you love and tell them you supported this assault? pic.twitter.com/ipPpIeoRtw
— Acyn (@Acyn) October 26, 2024
La victoire ou la victoire
Selon un sondage publié lundi 28 octobre par CNN, une large majorité d’Américains pense que si Donald Trump est battu le 5 novembre, il ne reconnaîtra pas défaite. Seuls 30 % des électeurs inscrits pensent qu’il acceptera les résultats du scrutin s’il perd, tandis que 73 % estiment que Kamala Harris en fera autant. 88 % des électeurs considèrent que le candidat battu a l’obligation de reconnaître sa défaite une fois les résultats certifiés dans chaque Etat. 12 % estiment le contraire, mais sur ce point, le fossé partisan est béant : cela concerne 20 % des partisans de Trump contre 3 % des soutiens de Harris. Selon un document du renseignement américain révélé lundi par NBC, les extrémistes nationaux, nourris par des théories du complot autour de l’élection et d’une fraude généralisée, constituent la menace de violence la plus probable lors des élections. Parmi les cibles potentielles identifiées par les renseignements : les candidats, les élus, le personnel électoral, les journalistes ou les juges impliqués dans les affaires électorales.
En Caroline du Nord, la ségrégation par le vote
Focalisés sur un duel présidentiel aux enjeux existentiels, on n’aura pas beaucoup parlé au fil de la campagne de la bataille cruciale pour le contrôle du Congrès. Le Sénat pourrait échapper aux démocrates, qui espèrent à l’inverse ravir la Chambre des représentants aux républicains. Jamais à court d’idées pour pervertir la démocratie, notamment grâce aux tribunaux, ces derniers font tout pour garder l’avantage. En Caroline du Nord, cela passe par un charcutage électoral qui, d’un simple coup de crayon, leur garantit a minima trois sièges de plus. Et voilà comment Greensboro, bastion noir, ville emblématique de la lutte contre les droits civiques, se retrouvera bientôt avec une députée d’extrême droite de 81 ans, trumpiste convaincue. Notre reportage à lire ici.
Et pendant ce temps, Joe Biden…
Il rêvait de voir son nom dessus mais c’est bien celui de Kamala Harris qui y figure. Lundi, Joe Biden a voté par anticipation à New Castle, dans le Delaware, où il possède sa résidence privée. Et s’est dit «fier», sur son compte X, d’avoir voté pour Kamala Harris et Tim Walz. A 81 ans, le vétéran de la politique américaine vit une fin de mandat et de carrière douloureuse, largement tenu à l’écart de la campagne par sa vice-présidente, qui chercher à se démarquer de ce président impopulaire.
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