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Patrimoine
L’entreprise de locations de courte durée entend proposer à ses clients de participer à une reconstitution des spectacles de l’empire romain, en contrepartie d’une enveloppe de 1,5 million d’euros. Nombre de scientifiques, habitants et politiques s’y opposent.
«Voilà comment Airbnb tue l’histoire et avilit la culture», se désespère Tomaso Montanari, historien de l’art et universitaire dans le journal italien Fanpage It. Le chercheur déplore le projet de l’entreprise de l’entreprise américaine d’investir le Colisée pour proposer à des clients une soirée entre gladiateurs en mai prochain. Depuis son annonce le 13 novembre dernier, l’événement est au cœur de débats houleux. Nombre de chercheurs et de responsables politiques italiens, ainsi que des habitants de Rome, s’opposent à sa tenue.
Sur son site internet, la société de locations de courte durée propose de se glisser dans la peau d’un combattant romain le temps d’une nuit. Déguisés en «thrace» ou «mirmillon», les participants pourraient à cette occasion déambuler dans l’enceinte du monument, munis de torches, y dégusteraient du raisin et des amandes et surtout, se battraient jusqu’à l’aube. Le 27 novembre, l’entreprise a prévu de sélectionner seize personnes pour prendre part à l’événement prévu au mois de mai prochain, en partenariat avec Paramount, producteur du film Gladiator II.
«Marchandisation et de consommation de la culture»
Le parc archéologique du Colisée a signé l’accord autorisant la venue d’Airbnb, et l’entreprise américaine lui a réglé en contrepartie un don d’1,5 million de dollars au profit du musée du lieu historique, selon le journal italien la Repubblica. Alfonsina Russo la directrice de l’institution historique défend «une reconstitution minutieuse et scientifique des lieux», dans les pages du Corriere Della Sera, sans toutefois évoquer l’argument économique.
Le conseiller à la culture du maire de Rome, l’eurodéputé écologiste Massimiliano Smeriglio, s’oppose pour sa part à un «principe de marchandisation et de consommation de la culture», contraire à sa volonté de rendre le patrimoine accessible à tous. «Nous ne pouvons pas transformer l’un des monuments les plus importants du monde en parc à thème», martèle-t-il, lui aussi dans les colonnes du Corriere Della Sera, demandant dans une lettre au PDG d’Airbnb d’abandonner le projet.
L’association des habitants du centre historique de Rome, par la voix de leur représentante Viviana Piccirilli Di Capua, dénonce dans le même article une «offense contre le patrimoine de l’Unesco», et déplore qu’Airbnb en soit l’organisateur, une entreprise qui contribue «à bouleverser l’histoire et la vie quotidienne des habitants du centre historique de Rome et pas seulement.»
Le géant américain de la location est sous le feu des critiques dans le monde entier pour son rôle dans le surtourisme et son activité qui prive les habitants de logement dans de nombreuses métropoles. Pour l’historien Tomaso Montanari, c’est «comme si le secteur forestier avait une association de pyromanes qui parrainait l’entretien d’une forêt». Le chercheur estime que l’entreprise «détruit le tissu civil, social et humain de nos villes historiques».
Airbnb dans le viseur du gouvernement italien
Tout en déplorant l’événement prévu au Colisée, Michela Cicculli et Alessandro Luparelli, conseillers de la municipalité de Rome et membres de la Gauche écologiste, estiment qu’il faudrait plutôt «mettre un terme à l’essor des logements transformés en maisons de vacances et en chambres d’hôtes». Aucune loi ne règlemente encore les pratiques d’Airbnb en Italie.
Les maires de dix grandes villes, dont Milan et Naples, ont noué une alliance «pour exercer collectivement une pression politique afin qu’une loi nationale réglemente enfin ces plateformes», détaillait Emily Clancy, l’adjointe au maire de Bologne en mai 2023 dans Libération. En réponse, le ministère italien du tourisme du gouvernement de la cheffe d’extrême droite Giorgia Meloni s’est saisi du dossier, annonçant quelques mesures au début de l’année 2024 : une augmentation des taxes, un renforcement des normes de sécurité pour les hébergements et l’introduction d’un numéro d’identification national (CIN) afin de recenser et mieux contrôler les locations.
Ce n’est pas la première fois qu’Airbnb investit un lieu patrimonial et culturel. En France, l’entreprise américaine a déjà privatisé le Palais Garnier, le Musée d’Orsay ou encore le Louvres pour des expériences réservées à une poignée de clients.
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