Pour le PDG d’Aluminium Dunkerque, usine la plus consommatrice de France, «l’électricité, c’est une matière première pour nous»

Pour le PDG d’Aluminium Dunkerque, usine la plus consommatrice de France, «l’électricité, c’est une matière première pour nous»

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Climat Libé Tour : interview

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Guillaume de Goÿs, qui dirige le plus grand producteur d’aluminium, métal stratégique pour la transition énergétique, est aux avant-postes des questions énergétiques et de souveraineté, qui traversent toute l’industrie et ses travailleurs.

Parce qu’il permet d’alléger les voitures électriques, construire des échafaudages et les cadres des panneaux photovoltaïques ou encore remplacer le cuivre, l’aluminium est une ressource stratégique dans la transition énergétique. Leader européen de la production de ce métal, l’usine Aluminium Dunkerque est la plus consommatrice d’électricité en France : l’équivalent de toute la métropole de Marseille. Le PDG de la société, Guillaume de Goÿs, revient sur l’importance des questions énergétiques et de souveraineté industrielle.

Comment gère-t-on l’entreprise qui consomme le plus d’électricité en France ?

L’électricité, c’est une matière première pour nous. On en utilise en moyenne 13,5 MWh pour produire une tonne d’aluminium [pour plus de 300 000 tonnes par an, ndlr]. On la gère en s’assurant un approvisionnement énergétique compétitif, prévisible et de long terme. Une dizaine de personnes [sur 720 employés] sont dédiées en permanence à notre approvisionnement en électricité. C’est essentiel car si jamais nous le perdons, nos cuves d’électrolyse refroidissent et nous pouvons les perdre. Cela nous est arrivé une seule fois dans notre histoire, en 2018 : quatre heures d’interruption ont entraîné la perte d’un tiers de nos cuves et plusieurs dizaines de millions d’euros.

Les prix de l’électricité jouent un rôle fondamental dans vos équilibres économiques. Quelles leçons avez-vous tirées de la crise des prix de l’énergie ?

Le prix de l’aluminium n’est pas fixé par nous mais déterminé par les cours de la Bourse de Londres. Or nos concurrents directs, en Norvège, Islande, Canada ou au Moyen-Orient, ont accès à un prix de l’électricité très compétitif. La crise de l’énergie nous a confortés dans le fait qu’Aluminium Dunkerque ne peut pas vivre durablement avec une électricité achetée à court terme. Lors des hivers 2022 et 2023, toute la production qui n’était pas protégée par l’Arenh [l’électricité nucléaire vendue par EDF à un prix bas, ndlr] a dû être arrêtée en raison de ces fluctuations, soit 30 %. Sinon nous aurions produit à perte cette partie de la production.

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Comme beaucoup d’autres entreprises, nous discutons depuis plusieurs années avec EDF pour trouver un contrat à long terme. Nous n’avons pas encore abouti, mais il le faudra pour donner des perspectives à Aluminium Dunkerque et engager nos projets de décarbonation, d’économie circulaire ou encore de recyclage.

Au-delà d’une forme de marketing vert, l’énergie décarbonée française est-elle un atout ?

Aluminium Dunkerque émet directement 450 000 de tonnes de CO2 par an. Nous avons comme objectif de réduire ces chiffres de 30 % d’ici 2030 et 70 % en 2050, ce qui nous permettrait de respecter l’accord de Paris. L’électricité décarbonée est donc un atout important. Mais si nos concurrents du Moyen-Orient produisent leur aluminium avec du gaz, donc carboné, ceux originaires de Norvège, d’Islande et du Canada utilisent de l’énergie essentiellement hydraulique et géothermique, donc décarbonée. L’électricité française nous met dans le peloton des 10 % à 15 % meilleurs fournisseurs au monde en termes d’empreinte carbone de notre aluminium, mais nous n’avons pas d’avantages particuliers sur nos concurrents nord-européens.

La question de la souveraineté industrielle est revenue sur la table avec la crise de l’approvisionnement post-Covid, un thème renforcé par les récents rapports de Mario Draghi et Enrico Letta. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

Avec le Green Deal, l’UE a mis en place un système pour être le premier continent à se décarboner de façon volontaire pour atténuer le changement climatique. Et nous n’avons aucune objection à ce cadre si ce n’est qu’il ne faut pas que cette politique induise une poursuite de la désindustrialisation de l’Europe. Si le cadre devient trop contraignant, que les prix ne sont plus compétitifs, les entreprises européennes vont fermer les unes après les autres, les consommateurs vont acheter en dehors du continent, des produits plus carbonés que ceux produits ici. Les rapports Draghi et Letta expliquent qu’il faut garder voire développer nos industries et qu’on les aide à se décarboner.

Et au-delà des questions d’empreinte carbone ?

Un autre rapport, signé Olivier Lluansi [ancien conseiller industrie et énergie de François Hollande, ndlr], montre que les industries permettent une cohésion dans les territoires, car une usine dans une ville moyenne crée de nombreux emplois et sous-traitants, aussi de la valeur qui peut être redistribuée. Et puis, d’un point de vue strictement économique, tant que les échanges internationaux vont bien, même si vous avez désindustrialisé, vous pouvez importer les produits que vous voulez, et donc cela peut aller. Mais lorsque, en raison d’une guerre, d’une pandémie, d’un bateau coincé dans le canal de Suez ou d’un président important qui veut recentrer les choses sur son pays, le marché mondial est mis à mal, cela peut mal tourner pour les régions qui se sont désindustrialisées. Or quand une industrie très lourde, comme la métallurgie ou la chimie de base, disparaît, cela ne peut pas se recréer avant des années. Si on souhaitait reconstruire Aluminium Dunkerque aujourd’hui, cela coûterait près de 3 milliards d’euros. Qui va investir cette somme dans une industrie de base s’il n’y a pas de visibilité, de prix de l’électricité compétitifs ? Personne. Il faut donc protéger et développer ces industries-là pour maintenir les chaînes de valeur.

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Plus localement, comment se passent les relations et échanges avec les autres industriels à Dunkerque ?

Quand je m’y suis installé en 2014, on sentait alors encore le déclin industriel, il y avait du chômage. Mais en dix ans j’ai vu les choses changer. Les Dunkerquois comme leurs entreprises ont réussi à renverser la dynamique. Et nous avons par ailleurs appris à travailler ensemble. Sur la capture de carbone, nous avons mutualisé les infrastructures avec d’autres industriels ; nous réfléchissons aussi à une économie circulaire sur l’aluminium que nous allons recycler dès mars 2025 ; et nous parlons même de boucles de chaleur entre industriels. Nous avons beaucoup de chance d’être à Dunkerque.

Libération

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