William Theviot, les leçons du pianiste

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Le handicap au quotidiendossier

Diagnostiqué du syndrome d’Asperger il y a une douzaine d’années, le concertiste de 31 ans cherche, récital après récital, à sensibiliser le public au manque d’inclusion des artistes handicapés dans le monde de la musique. Et prépare le lancement d’une fondation pour poursuivre son combat.

Contrairement à son habitude, William Theviot ne parlera pas à son auditoire avant de jouer. Ce 6 novembre, le concertiste de 31 ans ne s’en sent pas capable. Dans le silence, il ordonne méticuleusement ses partitions. Sa bonhomie et son sourire enfantin ont disparu. Les premières notes du Désir, de Saint-Preux, résonnent dans le hall du Rocher de Palmer, célèbre salle de concert de Cenon (Gironde). D’un coup, la petite foule venue célébrer l’ouverture du festival Hors-Jeu/En Jeu se tait et regarde intensément le pianiste.

Veste de costume bleue, cheveux tirés en arrière et pattes taillées à mi-joues, le jeune homme laisse sa tête se balancer au rythme des notes qui s’échappent avec vigueur de son instrument. William Theviot est «pianiste», «concertiste» et «autiste». Il l’a écrit en couverture de son ouvrage autoédité intitulé Journal d’un Asperger. Un an dans ma bulle de verre, posé sur le rebord de son instrument.

Diagnostiqué à 19 ans comme porteur d’un handicap invisible nécessitant un haut niveau de soutien, le musicien est «incapable de vivre seul», confie sa mère Aldjia. Il habite donc toujours avec ses parents à Mérignac, où il a grandi. Son père, ancien professeur de mathématiques, et sa mère, esthéticienne devenue femme au foyer, l’accompagnent quotidiennement, pour les courses comme pour les concerts.

«Il faut tout faire soi-même»

Dès l’enfance, fasciné par le cinéma muet et bercé par les gammes de ses sœurs inscrites au conservatoire municipal, William s’éprend des sonorités du piano. A 7 ans, il se lance dans l’apprentissage méthodique du solfège et du clavier. Une alternative à la communication verbale. A 11 ans, il intègre le conservatoire de Bordeaux et commence à suivre le collège à domicile, avant d’entrer au lycée Camille-Jullian de Bordeaux, en classe musicale. Mais sur les bancs des salles de cours ou de musique, il se sent à l’écart. Son discours est «trop libre», ses réactions sont «émotionnellement atypiques» pour les autres élèves. Il souffre des discriminations qu’il subit à cause d’un handicap dont il n’a pas encore connaissance.

Mais pour l’heure, dans le hall de la salle de concert de Cenon, William Theviot enchaîne avec virtuosité les compositions de ses artistes romantiques favoris. Du Liebestraum n° 3, de Franz Liszt, ses doigts passent à la seconde Valse du 64e opus, de Frédéric Chopin, avant de s’emparer de la Sonate pour piano, d’Edvard Grieg. Pourtant, pour lui comme pour de nombreux artistes handicapés, il est impossible de «vivre professionnellement» de ses récitals. «Quand on est artiste autiste, on n’a pas d’agent, confirme Aldjia. Il faut tout faire soi-même. Trouver les lieux de concerts, louer les pianos…»

Livré à lui-même, William Theviot décide donc de pousser les portes, de créer les rencontres, de défendre spontanément sa cause. S’étant construit une certaine notoriété au niveau local, il enchaîne les concerts, qu’il ponctue de conférences pour sensibiliser le public à son combat. Avec sa naïveté pugnace, il interpelle, en juin 2022, l’ex-ministre de la Culture Rima Abdul Malak dans les rues bordelaises, ce qui lui permet de porter son discours jusqu’à la rue Valois. En mars 2023, il interrompt carrément les Victoires de la musique classique pour «essayer de parler de la maltraitance des personnes handicapées dans le milieu de la musique classique», avant de se faire ceinturer par la sécurité. Persuadé d’avoir trouvé une oreille attentive au cabinet ministériel de Rima Abdul Malak, il a vu ses espoirs réduits à néant avec le départ de celle-ci, en janvier 2024. Aujourd’hui, il se dit sidéré, fatigué par la «force d’inertie» des pouvoirs publics.

Salves d’applaudissements

Alors désormais, la sensibilisation ne suffit plus pour William Theviot, qui refuse d’être qualifié d’artiste militant. Il veut «trouver une famille artistique» et la rassembler au sein d’une fondation qu’il compte lancer en 2025. Celle-ci créerait un «asile, au sens noble du terme» pour «essayer de trouver un futur aux artistes handicapés». Le pianiste veut regrouper les parcours de vie, mutualiser les agents, les avocats, et proposer des concerts et des conférences sur des artistes ayant vécu et créé malgré un handicap, comme le compositeur Erik Satie, qu’on suppose, lui aussi, avoir été autiste Asperger. Pour l’heure, William cherche encore les financements, mais garde confiance. «Il y a forcément des harmonies qui résonnent ensemble», sourit-il timidement avant de commencer son concert.

Ce 6 novembre, des salves d’applaudissements ponctuent le récital. Avant d’entamer son dernier morceau, le concertiste s’approche du micro et prend la parole. D’une voix tremblante, il raconte ses traumas passés, datant de l’époque du conservatoire de Bordeaux, les scarifications, l’isolement. «C’est contre ces discriminations invisibles que je veux lutter avec mon projet de fondation.» Sous un tonnerre d’applaudissements, William Theviot se remet au piano pour jouer le boléro Historia de un amor, grand classique latino-américain, et laisse poindre un sourire au coin de ses lèvres. Finalement, le jeune homme a réussi à parler à son auditoire.

Libération

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