Bluesky, c’est la Suisse ! par Daniel Schneidermann

Nous voilà, pionniers aux pieds nus, dans cette étrange contrée, où un silence digne règne et où les règles du vivre ensemble semblent, a priori, respectées. On y respire tout en conservant une longue-vue braquée sur Twitter.

C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup : je suis passé sur Bluesky. Avec Twitter, il faut le reconnaître, nous entretenions une relation, certes, consentie, mais dysfonctionnelle. La rupture couvait depuis longtemps. Mais voilà, tant de souvenirs communs, tant de résignations quotidiennes, tant d’insultes codées – «nés avant la honte», «claqués au sol» –, tant de vieux tweet clashs qu’on se remémore avec tendresse. Tant de paniques morales aussi, qui somme toute poivraient le quotidien, tant d’accusations croisées de naufrage intellectuel, d’indécence, de cynisme, tant d’indignations sélectives dénoncées, tant d’accusations de double standard ! On ne t’a jamais entendu, sur les Ouïghours, hein ! Et sur le Yémen, tu n’as rien dit, sur le Yémen. Et sur les femmes iraniennes, où tu étais, sur les femmes iraniennes ?

Comme on était jeunes, comme on était fous ! Et que je t’accuse de me coller une cible dans le dos, et que tu me balances un gaslighting dans les gencives, pif paf poum, je te bloque, tu me bloques, on se ghoste pour la vie, je te cafte à toute la cour de récré : voyez tous comme il m’a bloqué, ce Jean Moulin de la liberté d’expression ! Comme il était grisant de parcourir ainsi, sur un tapis volant d’insultes et d’accusations, toutes les justes causes de la planète, et d’ailleurs ! Comme il était bon de sentir décisives ses indignations en 280 signes !

Et un jour, le déclic. La petite humiliation de trop.