
Chercheur en science politique et professeur de théorie politique à l’Université libre de Bruxelles, Paul Magnette est également président du Parti socialiste de Belgique. Pour Le Monde, il analyse l’apprentissage difficile de la démocratie parlementaire en France.
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Depuis les élections législatives de 2022, et plus encore depuis celles du printemps 2024, le fonctionnement politique de la France se rapproche de celui des pays parlementaires européens. Il n’y a plus d’hyperprésident, plus de « fait majoritaire », mais une Assemblée nationale sans majorité claire condamnée à trouver des compromis. Or, la classe politique française semble incapable de faire fonctionner ce régime, pourquoi ?
La principale difficulté tient au décalage entre la règle du jeu, qui est, en France, fondamentalement majoritaire et centrée sur le moment de l’élection présidentielle, et les nécessités imposées par la nouvelle situation politique. Cette règle du jeu ne favorise pas les prérequis d’un bon fonctionnement d’une démocratie parlementaire : une faible personnification du pouvoir, des partis importants qui reposent sur un travail collectif, une culture de la négociation, la recherche de majorités qui dépassent les blocs politiques…
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Loïc Blondiaux, politiste : « En France, le compromis est souvent perçu comme synonyme de compromission et de faiblesse »
En France, le système majoritaire à deux tours, que ce soit pour l’élection du président, pour celle des députés, ou celle des élus locaux, génère une culture à l’antithèse de celle du compromis parlementaire.
Dans la situation de crise actuelle, les députés ne peuvent-ils pas s’abstraire de la perspective de la prochaine élection présidentielle ?
Cette élection est tellement dominante, les pouvoirs du président sont tellement forts que tous n’ont que cette échéance en tête. Les partis apparaissent de plus en plus comme des écuries au profit d’une personne, et non plus comme les émanations d’une vision du monde ou de groupements d’intérêts qui cherchent à influencer l’action publique. Ces partis sont moins stables dans le temps, moins enracinés dans le corps social, ce qui rend compliqué un fonctionnement parlementaire normal.
Dans un système parlementaire normal, que se serait-il passé après la dissolution ?
Déjà, il n’y aurait pas eu de dissolution.
Cela existe dans les régimes parlementaires…
Certes. Mais quand elle est utilisée, c’est pour résoudre une situation de blocage et elle repose, en règle générale, sur un consensus des partis. Elle ne relève pas du fait du prince. L’esprit gaullien de la Ve République, avec un président élu au suffrage direct qui essaie de s’inscrire dans une forme de relation directe avec la population, en passant au-dessus des partis, s’accorde mal avec la logique de la vie parlementaire et la formation de coalitions.
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