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Les journées du vivant et de la Terre: interview
Le biologiste et botaniste Francis Hallé, infatigable protecteur des arbres, porte le projet pas si fou de faire revivre une forêt primaire en Europe. Une nécessité écologique, mais aussi philosophique.
Rencontres, débats, concours photo… L’édition 2024 du forum «Naturellement !», organisé à Rouen par la fédération Biogée du 6 au 8 décembre 2024, aura pour thème «la forêt et l’humanité». Interview de Francis Hallé, présent lors du forum.
Vous avez créé il y a cinq ans une association pour faire renaître une forêt primaire dans les Ardennes ou dans les Vosges du Nord. Est-ce vraiment réalisable, ou cela relève-t-il de l’utopie ?
C’est parfaitement fiable, mais cela s’inscrit sur le long terme. Une forêt primaire est un milieu qui n’a pas été modifié par l’homme, du moins pas depuis longtemps. Prenons l’exemple de l’Amazonie : quand on y fait des sondages, on trouve du charbon de bois et d’autres traces du passage humain. Mais cela ne l’a pas empêché de redevenir primaire, au fil des siècles. Reste que plusieurs centaines d’années, c’est court pour le géologue, mais c’est long, très long pour le politique. Cela explique en partie pourquoi ce projet de création de forêt primaire, malgré le soutien enthousiaste de l’UE, de fondations, de milliers d’adhérents et d’une majorité d’habitants, se heurte encore à des blocages locaux. Ils sont principalement du fait d’élus d’extrême droite, très présents dans les Ardennes et dans les Vosges. Mais on ne va pas baisser les bras, on a l’habitude de se battre. Et on va y arriver.
A quoi ressemblerait cette forêt primaire ?
Elle s’étendrait sur une zone transfrontalière (entre la France, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse et le Luxembourg) de 70 000 hectares, ce qui n’est pas si grand : comptez un carré de 26 km par 26 km, l’équivalent de Minorque, dans les Baléares. Cette surface est nécessaire pour abriter toute la faune d’une forêt primaire européenne, et notamment des loups, des ours, des bisons. Du côté du végétal, nous aurions un mélange de conifères et de feuillus, avec une dominance de fagacées (chênes, hêtres et châtaigniers), comme on peut l’observer dans la forêt primaire de Bialowieza en Pologne, aujourd’hui menacée. Ces essences sont aussi présentes dans nos forêts secondaires ; la différence se joue sur la taille gigantesque des arbres, impressionnante. C’est cette grande beauté que nous souhaitons offrir aux générations futures. Mais dès son lancement, cette forêt sera ouverte au public, avec pour seule contrainte de ne pas abîmer le milieu. Comme dans de nombreuses zones protégées, des sentiers en caillebotis seront installés.
Pourquoi les forêts primaires sont-elles si importantes ?
En termes de captation du CO2, de production d’oxygène, de réserve de biodiversité, ou encore de fertilité des sols et d’augmentation du remplissage des nappes phréatiques, on ne peut pas trouver mieux sur la planète que les forêts primaires. Elles sont donc l’une des nombreuses réponses possibles aux changements climatiques et à l’érosion de la biodiversité. Par contre, elles ne sont pas très intéressantes pour l’économie… Il faut donc faire un choix radical : à mes yeux, c’est celui de la civilisation contre la barbarie ! Quand j’étais jeune chercheur, les forêts primaires recouvraient les Tropiques. Aujourd’hui, il n’en reste que des confettis. On peut vivre sans forêt primaire, mais c’est une perte intellectuelle, philosophique et morale majeure. C’est la disparition d’une beauté singulière. Pas besoin d’être spécialiste pour différencier une forêt primaire d’une forêt secondaire. Elle produit un basculement, un «sentiment océanique», qui est comme une forme d’extase, d’accord parfait avec la forêt : la forêt devient alors admirablement belle, proche, lumineuse.
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