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Décryptage
Après la chute du régime de Bachar al-Assad et la prise de pouvoir par des rebelles islamistes, une nouvelle page s’ouvre pour la Syrie après plus de 13 ans de guerre civile. Le pays reste néanmoins fragmenté entre une diversité de confessions.
La Syrie est une affaire de cartes. Il y a d’abord celle représentant l’évolution des forces en présence sur le territoire : dimanche 8 décembre, après plus de cinq décennies de règne sans partage de la famille Assad, le «boucher de Damas» a été chassé du pouvoir par les rebelles syriens menés par des islamistes radicaux. Un renversement des forces en pouvoir qui s’est opéré en 10 jours à peine, précipité par l’affaiblissement de l’armée syrienne et la mise en difficulté de ses soutiens historiques, comme l’Iran ou la Russie. A cette carte politique se superpose une autre représentation : celle des confessions religieuses présentes dans le pays. Libé fait le point sur leur implantation territoriale et leur cohabitation.
Les musulmans sunnites, confession majoritaire en Syrie
Même s’il n’existe aucun recensement officiel récent des différentes religions pratiquées par les 20 millions de Syriens, des estimations effectuées avant 2011 – et donc avant le début de la guerre civile et ses milliers de déplacés – permettent d’obtenir une cartographie partielle. «Au total, 90 % de la population du pays est musulmane, décrit Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche émérite au CNRS. Et 74 % de ces musulmans syriens sont de confession sunnite». Le sunnisme, courant majoritaire de l’Islam, est «donc de loin la confession majoritaire dans le pays». Selon le spécialiste, la religion serait pratiquée en Syrie selon les «traditions millénaires d’un islam rigoriste», «très conservateur». «Alep a toujours été le phare du salafisme», revendiquant un retour à l’islam des origines, complète-t-il.
Le groupe jihadiste Hayat Tahrir al-Sham – HTS – qui a ravi le pouvoir à Bachar al-Assad, appartient notamment à cette branche de l’islam. Et si les sunnites sont présents sur tout le territoire, «ils sont notamment très représentés dans les grandes villes comme Homs, Damas ou Alep», explique l’expert. «Dans ces régions, que l’on appelle la «Syrie utile», ils peuvent ainsi agir en tant que relais du pouvoir musulman», ajoute Pierre-Jean Luizard.
Les Alaouites, confession du clan Assad
Aux côtés des sunnites, plusieurs minorités sont également implantées dans le pays. La plus importante d’entre elles est celle des Alaouites («partisans d’Ali»), une confession musulmane à laquelle appartient par ailleurs le clan Assad. Ils représentent entre 7 % et 10 % de la population, soit 1,8 million de Syriens, et «se trouvent principalement dans les montagnes de la région côtière du nord-ouest, à la frontière du Liban», détaille Thomas Pierret, chargé de recherche à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM). Ils sont également très présents dans la capitale, Damas, de par «la colonisation du corps militaire et de l’administration par le clan Assad».
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«Les origines lointaines des Alaouites sont chiites. Mais leur croyance s’est désormais totalement éloignée du chiisme traditionnel tel qu’il est pratiqué en Iran», poursuit le spécialiste. De fait, les Alaouites sont aujourd’hui «très divisés au sein même de leur minorité, faute de texte religieux officiel», note Pierre-Jean Luizard. «Une part importante se revendique chiite, alors que d’autres, notamment dans les montagnes, ne pratiquent aucun rite musulman et ont des croyances dites hérétiques», ajoute-t-il.
Les Druzes, une minorité qui vit en «quasi-autonomie»
Une autre minorité est celle des Druzes, qui représente environ 3 % de la population syrienne. «Les Druzes sont chiites, mais ne sont issus du chiisme majoritaire. Il s’agit d’une secte ésotérique qui n’a jamais été reconnue par les autorités musulmanes, à l’exception du Liban», détaille Pierre-Jean Luizard. Cette minorité religieuse est «surtout présente tout au sud du pays, dans la région de Soueïda, à la frontière jordanienne, une région dans laquelle ils vivent en quasi-autonomie», rapporte Thomas Pierret.
Les chrétiens de Syrie, «une communauté en voie d’extinction»
Selon les dernières estimations, les chrétiens installés en Syrie représentent moins de 10 % de la population totale. «Une projection largement sur estimée», note toutefois le chargé de recherche spécialiste des religions, qui soutient que «des milliers de chrétiens ont, depuis le début de la guerre civile, tenté de fuir le pays et la situation économique désastreuse».
«La communauté chrétienne en Syrie est en voie d’extinction», abonde de son côté Pierre-Jean Luizard, qui relève une forte émigration de cette communauté vers les pays voisins. Les chrétiens de Syrie – «divisés en interne entre plusieurs Eglises» – n’ont, en outre, pas de «bastion». Ils sont plutôt présents dans les grandes villes, notamment à Alep et Damas, et «entre les fleuves du Tigre et de l’Euphrate», indique le directeur de recherche au CNRS.
Quel est l’état des relations entre ces différentes confessions ?
En confisquant le pouvoir pendant des décennies en Syrie, le clan Assad a fait des Alaouites «la cible principale des communautés sunnites et jihadistes», avance le spécialiste du Moyen-Orient. Depuis 2011 et le début de la guerre civile, une «polarisation très forte» s’est donc installée entre les sunnites – confession des groupes rebelles –, et les Alaouites, représentant la «quasi-totalité de l’armée syrienne légaliste et du clan Assad».
Et l’expert de conclure : «Le pouvoir va maintenant être entre les mains des sunnites. Les Alaouites vont se retrouver dans une position bien plus faible qu’au temps de Bachar al-Assad. La question est donc de savoir comment va se passer l’intégration dans cette minorité dans ce nouveau paysage politique.»
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