Un an après l’élection de Javier Milei, «53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté en Argentine»

Un an après l’élection de Javier Milei, «53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté en Argentine»

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Le président libertarien d’extrême droite se vante d’avoir réduit l’inflation et retrouvé l’équilibre financier du pays. Au prix pourtant d’une explosion de la précarité et du sacrifice des services publics, retrace la sociologue Maricel Rodriguez Blanco.

Au pouvoir depuis un an en Argentine, le libertarien Javier Milei a respecté sa promesse de répondre à la crise économique en s’attaquant aux services de l’Etat à la tronçonneuse. Comme annoncé, le président d’extrême droite a opéré des coupes drastiques dans les services publics, mis en place une politique d’austérité sévère, fortement dévalué le peso. Il a ainsi réussi pu réduire fortement l’inflation – passée de 13 % en décembre 2023 à 2,7 % au mois d’octobre –, poison de l’économie argentine depuis des années. Mais le coût social est particulièrement élevé : 5 millions d’Argentins supplémentaires vivent désormais sous le seuil de pauvreté. Pourtant, cela ne suffit pas à entamer la popularité de l’ancien économiste aux rouflaquettes qui bénéficie toujours d’environ 50 % d’opinion favorable.

Maricel Rodriguez Blanco, maîtresse de conférences en sociologie à l’institut catholique de Paris et actuellement en Argentine, explique ce paradoxe par des sondages biaisés, l’action du parti présidentiel qui cache, derrière les chiffres, une dégradation inquiétante des conditions de vie du peuple argentin, même si un noyau dur continue de soutenir le président réactionnaire, dont les politiques profitent avant tout aux hauts revenus.

La crise inflationniste qui secoue l’Argentine depuis tant d’années est l’une des raisons de l’arrivée au pouvoir d’un candidat antisystème comme Javier Milei. Comment a-t-il réussi à la juguler ?

Il est vrai que le taux d’inflation a baissé, mais il ne faut pas considérer cela comme un succès. D’abord parce que c’est le résultat d’une série de politiques de dérégulation des marchés, de dévaluation du peso et d’austérité mises en place de façon drastique par Milei dès son arrivée au pouvoir en décembre [2023]. Le but du gouvernement était de rétablir un équilibre dans la balance commerciale. Ce qu’il a réussi, mais au prix d’environ 140 000 licenciements de travailleurs et travailleuses dans les secteurs publics et privés. Au prix également de baisses des dépenses publiques puisqu’il a réduit le nombre de ministères – passé de 18 à 8. Il a notamment supprimé le ministère des Femmes, du Genre et de la Diversité. Toutes ces politiques ont été menées à un rythme accéléré, en quelques mois à peine. Ce qui a porté un coup significatif aux classes moyennes et populaires : aujourd’hui, 53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté en Argentine, c’est-à-dire environ 23 millions de personnes.

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Par ailleurs, les inégalités sociales, qui sont très importantes, ont encore augmenté. La plupart des ménages en font les frais. Il est devenu difficile de se soigner, et les dépenses en matière de médicaments ont diminué. Il faut désormais payer en plusieurs fois pour s’offrir des produits de première nécessité. Enfin, 27 % de la population n’est plus en mesure de payer des services comme le gaz ou l’électricité. A Buenos Aires, les prix dans les supermarchés sont plus élevés que ceux que l’on trouve à Paris. Donc la situation socio-économique de l’Argentine reste très préoccupante.

Qui bénéficie réellement des réformes de Javier Milei ?

La même fraction de la population qui, depuis les années 1970, y gagne à chaque fois qu’est imposée une politique libérale qui opte pour l’offre plutôt que la demande. Cette politique profite donc aux [personnes ayant de] très hauts revenus, qui travaillent à l’international, utilisent des monnaies fortes comme le dollar et délaissent les banques argentines. Ce sont des gens très aisés qui sont aux responsabilités dans les grandes entreprises et les industries. Or, Milei fait exactement ce à quoi ils aspirent en renforçant la politique de libéralisation et d’ouverture vers le marché, en diminuant l’intervention de l’Etat. Dans sa logique, il prétend même éliminer toute intervention étatique, ce qui est paradoxal. Mais c’est au cœur de son programme et des raisons pour lesquelles les électeurs ont voté pour lui.

Comment expliquer que Javier Milei soit toujours aussi populaire alors qu’il y a 5 millions de pauvres en plus qu’avant son élection ?

Peut-être faut-il s’interroger sur les sondages consacrés à l’image du président et de sa politique. En Argentine en général, les présidents, à la fin d’une première année de mandat, oscillent entre 50 % et 55 % d’opinions favorables. De mon point de vue, il ne faut pas surinterpréter ces résultats puisque la façon dont sont construits ces sondages comporte de nombreux biais. On oublie souvent, par exemple, que les panels peuvent être rémunérés et que les questions posées sont binaires (oui ou non). Je défends des protocoles d’enquête plus approfondis pour mieux comprendre les raisons du vote et de l’adhésion.

Cela dit, il y a quand même un noyau dur d’électeurs de Milei qui continuent de le soutenir. D’abord, parce que son parti s’appuie sur des trolls et des agents actifs sur les réseaux sociaux qui vont, jour et nuit, répandre un discours positif sur le gouvernement à partir de données qui sont fausses. Et cela à un effet sur la population qui le suit, notamment les jeunes. Ce sont essentiellement des hommes blancs de 14 à 24 ans, peu scolarisés et qui ont un rapport malheureux aux institutions, à la culture ou à l’université. Et ils croient vraiment aux discours du président contre l’Etat.

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A ce groupe jeune s’ajoute une fraction plus âgée, dont les professions et les métiers les situent dans le bas de l’échelle sociale. Certains, aux idées réactionnaires, ont vu en Milei un personnage nouveau que personne ne connaissait et qui proposait un changement drastique. Des gens qui ont subi les crises économiques successives qui ont alimenté un sentiment de défiance envers la classe politique. Il ne faut pas oublier non plus le fait qu’il n’y a plus vraiment d’opposition qui porte les intérêts des classes populaires. Tout cela laisse la porte ouverte à des options très radicales en matière de vote.

Beaucoup de manifestations ont pourtant suivi son élection. Aujourd’hui, où en est l’opposition ?

L’opposition est en train de s’organiser, notamment dans la province de Buenos Aires autour d’une figure montante, le gouverneur Axel Kicillof qui fait partie du péronisme et du parti justicialiste, majoritaire en Argentine. Mais il y a deux freins. D’une part les politiques répressives assez importantes, notamment le protocole de maintien de l’ordre mis en place par Milei dans la capitale qui rend plus périlleux le fait de sortir dans la rue et de manifester, alors que ces droits sont inscrits dans la Constitution. D’autre part, de nombreuses associations et opposants sont désormais concentrés sur la gestion de la pauvreté. Ce qui a tendance à rendre les mouvements et les associations moins visibles.

Libération

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