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La ville du Haut-Rhin souhaite transformer la Plaine Pasteur, un terrain pelé de plusieurs hectares qui jouxte le quartier prioritaire Europe-Schweitzer, en un poumon vert à destination de tous les habitants.
Rénovation, économie d’énergie, écologie… A l’occasion de la consultation internationale «Quartiers de demain» visant à améliorer le cadre de vie des habitants de dix territoires pilotes, retour sur quelques projets pensés comme des laboratoires d’expérimentation.
Aujourd’hui, c’est un vaste espace de 5,5 hectares qui jouxte le quartier prioritaire Europe-Schweitzer. Deux petits kilomètres seulement le séparent des façades à colombages fleuries du centre de Colmar. La Plaine Pasteur est aujourd’hui une zone plate, pelée, où l’on joue au baseball, au foot, et où les familles pique-niquent aux beaux jours… Guère plus. Les habitants l’appellent «le champ». L’été, il évoque davantage une terre labourée qu’un vert pâturage. Le site n’a jamais été construit, mais le sol s’est appauvri à force d’être piétiné.
Aux yeux d’Odile Uhlrich-Mallet, première adjointe de la ville, si le site semble «désertique», c’est aussi parce qu’il est sous-investi et qu’il s’y passe «trop peu de choses». Situé à un emplacement stratégique, il pourrait pourtant être un trait d’union entre le cœur historique de Colmar et le quartier Europe-Schweitzer, qui accueille dans ses tours et ses pavillons ouvriers 14 % des habitants de la ville. Alors, après avoir végétalisé les abords de la cathédrale, l’équipe municipale souhaite désormais se consacrer à son deuxième grand projet de mandat : transformer la Plaine Pasteur en un «Central Park à l’alsacienne». Une étape de plus dans la rénovation du quartier, à l’œuvre depuis quinze ans avec le soutien de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) : 467 logements y ont été démolis et 862 réhabilités. Mais cette fois-ci, il s’agit aussi de créer un lieu pour tous les Colmariens.
«Deux mondes qui s’ignorent»
Sur le papier, l’ambition séduit Stanislas Estival, directeur d’une association d’action sociale, qui accompagne près de 250 jeunes chaque année. Il voit d’un bon œil l’idée de contribuer à gommer la «frontière symbolique» matérialisée par la ligne de chemin de fer, entre «deux mondes qui s’ignorent» : un cœur de ville plutôt bourgeois aux allures de carte postale, et le QPV, où 49 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. «C’est un vrai choix politique de maintenir 5,5 hectares proches du centre-ville en espace public végétalisé. La solution de facilité aurait été de commercialiser ces terrains pour en faire des logements», relève Claire Lempereur, cheffe du service politique de la ville.
Pour penser ce nouveau poumon vert, la mairie (dirigée par Eric Straumann, élu Les Républicains) a lancé l’an dernier un concours d’idées auprès d’agences de paysagistes ; elle a aussi fait appel aux habitants à travers un questionnaire et un atelier participatif. Cerise sur le gâteau, la sélection pour la consultation «Quartiers de demain» conforte l’ambition municipale de dépasser le projet ultra-local : «Il ne s’agit pas de faire un aménagement d’espace vert au pied d’immeubles», mais bien de concevoir des aménagements qui créent un impact sur la qualité de vie, sur la biodiversité et sur la gestion des eaux de pluie, au-delà de l’échelle du quartier, précise-t-on à la mairie.
«Conscience écologique»
Rodolphe Raguccia, paysagiste associé de l’agence Grue, qui a planché pour le concours d’idées et qui postule à la consultation internationale, défend l’importance de créer des corridors boisés au-delà du périmètre du projet. «Retisser des continuités végétales est essentiel. C’est positif pour la biodiversité, mais aussi pour la simple continuité de l’ombre.» Cette dernière a son importance quand le thermomètre grimpe – c’est fréquent avec le climat semi-continental de Colmar. Par ailleurs, il pose le diagnostic d’un site «introverti», malgré ses vues sur les Vosges et les collines alentour. Il est donc nécessaire, à ses yeux, «de travailler à le rouvrir sur son environnement, à faire des entrées monumentales pour qu’on le voie davantage», détaille Rodolphe Raguccia. Le constat rejoint celui de Guénaëlle Humbert, paysagiste de l’agence Ghau : la Plaine Pasteur est trop peu liée au quartier qui l’entoure.
De fait, elle est beaucoup moins utilisée qu’elle pourrait l’être. Beaucoup de bâtiments lui tournent le dos, comme le pôle hospitalier femme-mère-enfant, dont seule la partie technique, non accessible au public, jouxte le parc. Même chose pour la mosquée, séparée du site par une barrière. L’agence a donc proposé un projet qui reconnecte les lisières du parc à son environnement, pour augmenter sa fréquentation. Elle préconise aussi la création de bassins et de noues pour stocker les eaux de pluie, afin d’élargir la palette végétale. Stanislas Estival, à la tête de l’association de prévention spécialisée de Colmar, approuve ce projet de présence accrue de nature à proximité immédiate des grands ensembles. Mais qu’on ne s’y trompe pas : «Il faut déconstruire l’idée qu’il n’y a pas de conscience écologique dans les quartiers prioritaires.» Il pointe les jardins partagés luxuriants du quartier, qui expriment à ses yeux un réel intérêt et une connaissance des plantes. «Je ne suis pas sûr que dans les lotissements et villages voisins, l’ouverture vers la nature soit plus forte», relève-t-il. De quoi confirmer l’intérêt de favoriser l’accès de ce futur grand parc arboré au plus grand nombre, habitants du parc social ou pas. Dix millions d’euros sont prévus par la ville. A suivre.
La biodiversité à la rescousse
Les étés précédents en ont apporté la preuve, si toutefois elle manquait encore : les villes ne sont pas adaptées aux épisodes caniculaires. Tenter de réduire les températures à la seule échelle du bâtiment n’a pas de sens, c’est aussi au niveau de l’espace public que l’avenir se joue. La végétation trouve là un rôle essentiel : elle procure de l’ombre, elle crée de l’évapotranspiration et elle est un refuge à la biodiversité urbaine… Qui dit mieux ?
Augmenter le nombre d’arbres est pourtant loin d’être le seul levier à activer. Mutualiser les fosses d’arbres, par exemple, permet de développer les racines et participe à restaurer le cycle de l’eau. Cela favorise aussi plusieurs strates de végétalisation (basse, moyenne, haute), propices à la biodiversité. Dans beaucoup de quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), ces actions sont particulièrement précieuses. Les grands ensembles sont en effet sujets aux effets d’îlots de chaleur urbains, car le sol y est largement imperméabilisé (enterrer des parkings coûte cher, on les a donc placés en surface). Mais il y reste des marges de manœuvre : les bâtiments y sont plutôt espacés et les zones dédiées à la voiture peuvent être partiellement débitumées. Ces quartiers ont «les qualités de leurs défauts», observe Franck Boutté, Grand prix de l’urbanisme 2022. Par rapport à des centres-villes denses, il y a souvent davantage de «vide» pour inverser la donne. Reste qu’aujourd’hui, regrette l’urbaniste, l’espace public des quartiers prioritaires de la politique de la ville est «un peu l’oublié» des politiques publiques.
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