Israël accusé de génocide à Gaza : «En assumant leur passivité voire leur complicité, les Occidentaux sapent leur propre crédibilité»

Israël accusé de génocide à Gaza : «En assumant leur passivité voire leur complicité, les Occidentaux sapent leur propre crédibilité»

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Les voix sont de plus en plus nombreuses pour dénoncer un «génocide» en cours dans la bande de Gaza. Après Amnesty International, Human Rights Watch et Médecins sans frontières accusent à leur tour Israël de se rendre coupable d’actes génocidaires dans le territoire occupé – des conclusions qualifiées de «mensonges» par l’Etat hébreu. Pour Béligh Nabli, professeur de droit public à l’université Paris Est Créteil et auteur de l’ouvrage Relations internationales : droit, théorie, pratique (Pedone, 2023), l’émergence d’un tel «consensus» parmi les juristes, historiens, ONG et agences onusiennes contraste avec la «passivité croissante, presque assumée» de la part des Etats occidentaux face au crime le plus grave en droit international.

De nombreux juristes et ONG accusent Israël de commettre un génocide dans la bande de Gaza. Partagez-vous ce constat ?

Rationnellement, c’est un constat que l’on peut tirer, dans la mesure où la Cour internationale de Justice (CIJ) a reconnu un risque plausible de génocide à Gaza, stipulant que des mesures conservatoires étaient nécessaires pour prévenir ce crime, telles que la levée du blocus, l’accès à l’aide humanitaire et la garantie des besoins essentiels à la survie. Force est de constater que ces mesures n’ont pas été respectées. On peut donc en déduire que la commission du génocide est en train de se réaliser. Outre les juristes, des historiens israéliens spécialistes de la Shoah, comme Omer Bartov et Amos Goldberg, se prononcent eux aussi en faveur de l’idée qu’un génocide est en cours, renforçant ainsi la base juridique et historique de cette accusation.

D’autant que la situation s’est encore détériorée au cours des derniers mois, en particulier dans le gouvernorat du Nord

Absolument. Non seulement les obligations définies par la CIJ n’ont pas été respectées – que ce soit par Israël ou par ses alliés – mais la situation humanitaire s’est considérablement détériorée. Le schéma destructeur se poursuit, avec des bombardements indiscriminés de bâtiments civils et une absence d’accès aux ressources vitales pour les habitants de Gaza. Le dernier rapport de Human Rights Watch souligne que ces conditions témoignent non seulement d’une aggravation de la situation, mais aussi d’un seuil de gravité qui pousse à qualifier ces actes de génocide.

Quels éléments ou preuves permettent de qualifier les actions d’Israël de génocide au regard du droit international ?

Rappelons d’abord qu’un débat persiste parmi les responsables politiques et les intellectuels autour de l’existence d’un génocide dans la bande de Gaza. Certains acteurs ignorent délibérément la définition juridique du génocide, réduisant cette notion à une perception subjective ou politique. Cette approche, illustrée par des positions allant de ministres français des Affaires étrangères à des figures comme François Ruffin, ne correspond pas à la manière de raisonner dans un Etat de droit démocratique. La France, en tant que signataire de la Convention de 1948 sur le génocide [la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée à l’ONU, ndlr] et du Statut de Rome de 1998 [de la Cour pénale internationale], est juridiquement tenue par ces définitions.

La définition issue de ces traités repose sur deux éléments. Le premier est matériel, et comprend des actes tels que les assassinats, les bombardements aveugles ou la destruction systématique des moyens de survie, que l’on observe aujourd’hui à Gaza. Le second est intentionnel et suppose la volonté de détruire un groupe, en tout ou en partie, en raison de son identité ethnique, raciale ou nationale.

Israël justifie ses actions par le droit à la légitime défense. Ce droit est-il illimité ?

Dans la mesure où Israël a été agressé et qu’une partie de sa population civile a fait l’objet de massacres de masse, l’Etat hébreu était en droit de réagir pour protéger son territoire et ses habitants. Cependant, ce droit à la légitime défense n’est pas absolu. Il est encadré par les règles du droit international, notamment le principe de proportionnalité, qui exige que la réponse soit adaptée et mesurée par rapport à la menace subie. Dans ce contexte, le caractère manifestement disproportionné des actions militaires israéliennes soulève des questions fondamentales. Même une armée agissant dans le cadre de la légitime défense ne peut se soustraire à ses obligations juridiques internationales, notamment l’interdiction de commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou un génocide.

En poursuivant leur aide militaire et financière à Israël, les Etats occidentaux peuvent-ils être considérés comme complices de crimes internationaux ?

La question se pose légitimement dans la mesure où les alliés d’Israël tendent à ignorer les obligations qui découlent de l’ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024 reconnaissant le «risque plausible de génocide» et des conventions de Genève de 1949 [qui encadrent le droit international humanitaire]. Au risque de se rendre complices des crimes internationaux commis par l’armée israélienne à Gaza, non seulement ils doivent cesser de transférer des armes (munitions, pièces détachées et licences), mais ils ont aussi l’obligation de faire respecter le droit international, humanitaire comme pénal, à leur allié israélien.

Pourtant, la plupart des Etats restent passifs…

Une passivité d’autant plus saisissante qu’elle contraste avec le consensus qui se dessine parmi de nombreux experts internationaux, y compris des responsables onusiens et des ONG les plus importantes, pour reconnaître la commission d’un génocide à Gaza par l’armée israélienne. Il s’agit d’un fait historique exceptionnel et d’une qualification juridique extrêmement grave, dans un silence diplomatique assourdissant.

Les Etats occidentaux sont en train de déconstruire et de décrédibiliser la lettre et l’esprit du système juridique international moderne né après la Seconde Guerre mondiale, qu’ils ont eux-mêmes érigés.

Outre la question de leur complicité au sens juridique qui risque d’être engagée, la responsabilité politique des puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis, ne se résume pas à leur soutien inconditionnel à Israël. Ces Etats sont en train de déconstruire et de décrédibiliser la lettre et l’esprit du système juridique international moderne né après la Seconde Guerre mondiale, qu’ils ont eux-mêmes érigé. Certes, la violation manifeste du droit international par des puissances occidentales connaît une série de précédents – le plus déstructurant étant l’invasion de l’Irak, en 2003. Mais en l’espèce, les puissances occidentales font bloc, ou presque, dans une posture de défiance à l’égard du droit international.

La France a créé la stupeur en affirmant que le Premier ministre Benyamin Nétanyahou et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, visés par un mandat d’arrêt par la CPI, pourraient bénéficier d’une immunité

Selon la France, les mandats d’arrêt émis contre Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant ne peuvent pas être exécutés en raison des immunités dont ils bénéficieraient en tant que membres d’un gouvernement d’un Etat ne reconnaissant pas la CPI. C’est une position juridiquement infondée. La jurisprudence de la CPI est claire sur ce point : les Etats parties ont l’obligation d’arrêter et de remettre les individus recherchés par la Cour, même s’ils ont le statut de chef d’Etat ou de gouvernement d’un Etat non partie à la CPI (comme Israël), qui ne reconnaît pas sa compétence. La position de la France la place donc en contradiction avec ses obligations internationales et avec l’une des raisons d’être de la CPI : éviter que des immunités de gouvernants puissent entraver la justice et la poursuite des crimes les plus graves.

Le droit international n’a donc plus aucune valeur ?

Deux dynamiques inquiétantes se dessinent. La première concerne l’affaiblissement des puissances occidentales, qui se sont longtemps prévalues d’un magistère moral reposant sur leurs valeurs démocratiques. En assumant leur passivité, voire leur complicité, face à la commission du pire des crimes internationaux, le génocide, sous couvert de soutien inconditionnel à Israël, elles sapent leur propre crédibilité. Cette perte de légitimité est d’autant plus préoccupante qu’elle tend à renforcer le discours des puissances autoritaires comme la Russie et la Chine, qui dénonce l’hypocrisie d’un Occident instrumentalisant le droit international en fonction de ses intérêts.

Le second point est encore plus alarmant : si le droit international ne joue plus son rôle de régulateur des relations internationales, que reste-t-il ? La puissance, le rapport de force, et donc la loi du plus fort. Il semble que nous entrions ainsi dans une phase de régression historique, au regard des principes et valeurs qui avaient été consacrés par la Charte de l’ONU.

Cette dérive de remise en cause de l’Etat de droit s’observe aussi dans l’ordre politique interne des démocraties. L’onde de choc du conflit israélo-palestinien se traduit en effet par des mesures liberticides, en termes de restrictions à la liberté d’expression et de manifestation, mais aussi avec la montée du racisme et de l’antisémitisme, alimentée par des esprits faibles. D’un côté, l’essentialisation des Juifs les assimile à Israël, de l’autre, le silence et l’indifférence à l’égard du destin funeste des Palestiniens traduisent leur déshumanisation et une hiérarchisation implicite de l’humanité.

Libération

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