A la Biac de Marseille, les femmes s’envoient en l’air

A la Biac de Marseille, les femmes s’envoient en l’air

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En 2013, Marseille se mirait «capitale européenne de la culture» dans les eaux du Vieux-Port. Un événement d’amplitude régionale, dans le prolongement duquel allait naître la Biac, Biennale internationale des arts du cirque. Une manifestation dédiée à la création – parfaite antithèse, en ce sens, du chromo nostalgique de l’exposition actuelle du Mucem, «En piste !», exaltation surannée de la saga foraine – que dirige depuis le premier jour, Raquel Rache de Andrade et Guy Carrara. Deux figures bien connues du milieu puisque la première, Carioca entrée à l’Ecole nationale de Cirque au Brésil en 1982, a fait l’essentiel de sa carrière en France, au côté du second, à la tête de la compagnie Archaos. Laquelle, devenue en 2011 «Pôle national cirque», enfantera donc la Biac.

Voilà pour une genèse qui nous amène à la sixième édition d’un événement qui, revendiquant un peu plus de 100 000 visiteurs en 2023, déroule le tapis jusqu’à début février, annonçant cette fois l’accueil de 51 compagnies (y compris du lourd – NoFit State Circus, Cirque Le Roux, Gravity and Other Myths…), pour un total de 66 spectacles, dont un quart de créations. Une parade XXL qui, au demeurant, agrège 55 partenaires de la région Sud, dans 33 villes, de Briançon à Arles, Nice ou la Seyne-sur-Mer.

Eloge du ralentissement

Le décor planté, le festival n’a pas de thématique spécifique, mais «la fière ambition de continuer à œuvrer pour la mixité» précise Raquel Rache de Andrade, d’autant plus consciente des enjeux qu’elle les a autrefois elle-même éprouvés. Comme on le lit dans Ecrire le cirque, récit cosigné avec Guy Carrara, paru en 2022 : «J’étais mère de deux enfants, codirectrice de la compagnie et d’un lieu d’accueil d’artistes, et toujours interprète […] J’avais peu de temps, moins de disponibilités pour me poser des questions. Je m’entraînais tous les jours pendant cinq heures, mon corps vieillissait, ma vie était un mixte d’équilibre, un quotidien acrobatique, une vie de marathonienne à laquelle venaient s’ajouter des moments de sprint.»

Concrètement, la moitié de la programmation est féminine, l’artiste «à l’honneur», via quatre pièces (la Chute des anges, Ombres portées…) étant la metteuse en scène et chorégraphe, Raphaëlle Boitel. Un fil d’Ariane (la locution désignant également un câble servant d’agrès) qui transparaissait d’ailleurs dès le week-end d’ouverture, les 10 et 11 janvier à Marseille, où trois propositions faisaient l’éloge du ralentissement, dans un univers plutôt enclin à combiner célérité et puissance intrinsèque.

Premier solo d’un brelan brésilien garanti sans testostérone, Fora (qui tourne dans le festival jusqu’au 4 février), de la compagnie AR, présente une contorsionniste, l’Italo-Brésilienne Alice Rende, tentant de s’extraire d’une boîte en plexiglass. Un habitacle à la fois plus étroit et plus haut qu’une cabine téléphonique vintage, dont les parois lisses n’offrent aucune prise. Les bruits amplifiés parvenant de la «cage» transparente finissant de conférer à l’exercice une tonalité anxiogène, à rebours des codes festifs associés à la tradition populaire.

Gestuelle de paresseux

De même, aucune esbroufe n’entrave les performances de Tatiana-Mosio Bongonga, funambule dont les traversées, de Prague au Sacré-Cœur de Paris, via Kinshasa, incitent toujours le public à retenir son souffle. Celle de Marseille, Soka Tira Osoa (en référence à un jeu basque où l’on tire sur des cordages) n’était pas la plus vertigineuse, mais elle s’employait à mettre aussi en valeur tout le travail au sol d’une équipe, techniciens et musiciens unis dans un effort dont la compagnie Basinga déroule les fils métaphoriques de la solidarité et de l’entraide.

Des valeurs cardinales que partage Chloé Moglia, triplement programmée à la Biac. Trapéziste de formation, la Bretonne d’adoption s’est orientée depuis vers la suspension, qu’elle transmet aussi. A telle enseigne que c’est une de ses disciples, Mélusine Lavinet-Drouet, qu’on observe, dans la création Rouge merveille, accrochée sans artifice ni accessoire au-dessus du vide, adoptant une gestuelle de paresseux (entendez : le mammifère arboricole) entrecoupée ici par la lecture d’un bouquin, là par une pause goûter. Une performance physique aussi intense que minimaliste que l’artiste situe à l’orée de l’abstraction, conviant le public à contempler une situation où il ne se passe rien, ou si peu, en «déposant l’agitation pour s’autoriser à rêver».

Dans un spectacle antérieur, la Spire, qui sera repris en clôture de la Biac, Moglia dirige plusieurs complices sur trois immenses boucles en filin d’acier. Seules des filles, confrérie nommée «les suspensives», pendillent à ses côtés. «Mais il n’y a rien de stigmatisant, ou de revendicatif, des garçons pourraient tout à fait se joindre un jour à l’aventure», précise la première de cordée. Avant d’ajouter, à propos du long mât prolongé par deux courbes qui constitue l’axe de Rouge merveille : «En imaginant cette structure, j’avais en tête des dessins de Picasso. Une fois construite et montée, j’ai néanmoins dû me rendre à l’évidence qu’elle ressemblait plutôt… à un stérilet géant.»

«Biennale internationale des arts du cirque», 6e édition, à Marseille et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, www.biennale-cirque.com, jusqu’au 9 février.

Libération

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