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En arabe, «Akha» signifie «attention». L’expression s’était surtout fait connaître en tant que cri utilisé par les dealers pour se signaler entre eux l’arrivée des forces de l’ordre. Mais c’est aussi le nom d’une application mobile qui, ces derniers jours, a suscité une levée de boucliers de la part des dirigeants des transports franciliens. «Scandalisée par l’appli Akha, qui sans vergogne […] vient faciliter la fraude dans les transports en localisant les contrôleurs et les forces de sécurité. Sans parler de l’aide qu’elle apporte aux délinquants et criminels…» s’est insurgée Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France et du conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités, sur le réseau social X, lundi 13 janvier.
Le lendemain, à l’antenne de RMC, Grégoire de Lasteyrie, vice-président de la région en charge des transports, s’est davantage épanché : «On a découvert ça sur les réseaux sociaux et on a mis en demeure le créateur de l’application et les plateformes comme l’AppStore et le PlayStore, qui la proposent en téléchargement. Nous leur demandons de retirer l’application.» C’est chose faite en ce qui concerne le PlayStore, la plateforme d’applications de Google pour smartphones Android, dont Akha a été retirée le 14 janvier. En revanche, l’application est toujours disponible sur l’AppStore d’Apple, où elle reste depuis quelques jours la plus téléchargée dans la catégorie «navigation».
«Cette application est illégale»
Ce qui met tant en rogne les administrateurs des transports franciliens, c’est notamment une des différentes fonctionnalités proposées sur Akha. La plateforme collaborative, basée sur les contributions de ses utilisateurs, propose trois types de signalements. Celui nommé «retard» qui, comme son nom l’indique, permet de prévenir qu’un moyen de transport n’est pas à l’heure. Celui baptisé «SOS», destiné à alerter sur un problème d’insécurité à bord d’une rame ou d’un véhicule (présence de pickpockets, agression, bagarre…). Et enfin, le fameux marqueur «Akha», dont l’intitulé a été laissé à la libre interprétation des utilisateurs. Mais qui, dans les faits, sert principalement à localiser les agents en charge du contrôle des titres de transport. «C’est absolument scandaleux, en quelques clics vous pouvez savoir où sont positionnés les contrôleurs», commente Grégoire de Lasteyrie. Tandis que Valérie Pécresse, elle, n’y voit qu’«une infraction pénale». Après que la présidente de région s’est exprimée sur le sujet, Ile-de-France Mobilités a par conséquent déposé une plainte à l’encontre d’Akha, comme le confirme la régie auprès de CheckNews.
La plainte, nous précise-t-on, se fonde sur l’article L. 2242-10 du code des transports. Créée par la loi Savary de 2016, adoptée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, cette disposition prévoit que «le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, tout message de nature à signaler la présence de contrôleurs ou d’agents de sécurité employés ou missionnés par un exploitant de transport public de voyageurs est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende». Conformément à cet article, «qui expose très clairement qu’un tel signalement des agents œuvrant pour une mission de service public est illégal», Ile-de-France Mobilités juge que «cette application est illégale». Le groupe estime, par ailleurs, qu’Akha «compromet la sécurité des agents et des forces de l’ordre, en indiquant leur position, ce qui peut avoir comme conséquences des faits plus graves encore (embuscades, provocations, agressions, etc.)». En outre, renchérit-il, «cette application incite explicitement les utilisateurs à frauder, ce qui est du vol».
Transports publics routiers non concernés
Mais si l’article L. 2242-10 est bien applicable «au transport public ferroviaire et guidé», son champ ne s’étend pas «au transport public routier», note le ministère des Transports, également contacté par CheckNews. Autrement dit, les bus notamment ne sont pas concernés par cette disposition. En ce qui concerne les transports publics circulant sur route, il faudrait en théorie se reporter au code de la route, mais la question n’y est pas traitée.
En revanche, l’article R.130-12 pose une «interdiction de rediffusion de tout message ou de toute indication [de signalement des contrôles routiers] émis par les utilisateurs d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation». Introduite dans le code de la route par un décret pris en 2021, l’interdiction vise directement les applications d’info trafic, dont les plus utilisées sont Waze et Coyote. Elles reposent sur les signalements de leurs utilisateurs, qui peuvent alerter aussi bien sur un embouteillage, une route en mauvais état, que sur un contrôle de police (et donc, par extension, sur la présence de radars).
Mais ces interdictions ne concernent pas les contrôles de vitesse. En l’état, la décision d’interdire les signalements des contrôles routiers ne peut être dictée que pour les contrôles d’alcoolémie et de stupéfiants (et la police bloque le signal de sa position pour une durée maximale de deux heures), soit pour les opérations de recherche menées par les autorités à la suite d’un crime, d’un attentat ou lorsqu’un individu est en fuite (la limite est alors portée à douze heures).
«L’application de [l’article R.130-12] nécessite que les forces de l’ordre ou le préfet informent la plateforme de l’interdiction de diffusion et de sa durée. Au vu des contraintes de mise en œuvre, en pratique il semblerait que ce dispositif ne soit pas forcément appliqué», observe Marjorie Estrade, avocate spécialisée en droit des transports. Mais «dans la mesure où il existe des textes prévoyant des interdictions spécifiques», poursuit le conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités, «nous ne pouvons pas pour autant affirmer la légalité des signalements des contrôles opérés via les plateformes Waze ou Coyote».
Akha légalement plus exposée que Waze
Quoi qu’il en soit, ces interdictions de signalement des contrôles routiers, parce qu’elles restent spéciales, ne sont donc sans commune mesure avec l’interdiction générale qui s’applique au signalement des contrôles opérés sur un réseau de transport public. Surnommée «le Waze des transports en commun», l’application Akha est donc légalement plus exposée que sa grande sœur. Etant donné que «ce sont les usagers qui signalent la présence des contrôleurs, on pourrait imaginer que l’infraction pénale puisse être relevée à l’égard des usagers de l’application et non à l’encontre de l’application elle-même», souligne Marjorie Estrade. Certes. Mais ce serait oublier «un grand principe en droit pénal qui prévoit qu’est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation». Or «le complice encourt une peine identique, voire le quintuple si c’est la société, personne morale, qui est poursuivie».
Reste à voir si ce principe sera suivi dans le cadre de l’instruction de la plainte portée contre l’application par Ile-de-France Mobilités. Le fondateur d’Akha, Sid Ahmed Mekhiche, ou Sidox de son pseudo, se décharge de toute responsabilité. Interrogé par BFM TV le 15 janvier, il se défendait : «Je ne me sens pas maître de tout ce qui se passe, je ne me sens pas responsable des dérives. […] C’est très grave de faire un parallèle entre mon projet et une quelconque facilitation du terrorisme.» Sidox s’est toutefois engagé à améliorer la modération sur son application. Restée confidentielle depuis son lancement en janvier 2024, Akha a subitement connu un boom de popularité en début d’année 2025, propulsée par des publications sur TikTok et X. Dans une récente interview à Loopsider, Sidox se targuait d’être passé de quelque 4 000 utilisateurs à plus de 130 000 en moins d’une semaine, entre samedi 4 et vendredi 10 janvier.
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