Cinquante ans après la loi Veil, l’accès à l’IVG reste fragilisé en France

Cinquante ans après la loi Veil, l’accès à l’IVG reste fragilisé en France

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Une lutte sans fin. Cinquante ans après la promulgation de la loi Veil ayant dépénalisé l’avortement et un peu moins d’un an après la consécration de la «liberté» des femmes à recourir à une IVG, les obstacles persistent. Si un certain nombre de restrictions de la loi (autorisation parentale pour les mineures, délai de réflexion obligatoire d’une semaine, absence de remboursement…) ont progressivement été levées, le premier baromètre du Planning familial mesurait, en septembre, que 89 % des personnes interrogées identifiaient au moins un frein à l’accès à l’IVG : fermeture de structures médicales, délais d’attente trop longs ou encore pressions pour y renoncer. Le nombre d’IVG pratiquées reste, lui, relativement stable depuis cinquante ans, avec une légère hausse en 2023 (243 600), selon l’étude de la DREES.

Alors qu’aucun plan d’annonces n’est, pour l’heure, prévu pour renforcer cet accès, selon le cabinet du ministère chargé de l’Egalité, des militantes craignent que le gouvernement ne se repose sur les lauriers de la Constitutionnalisation. «On a eu une belle victoire en 2024 grâce à la mobilisation féministe, mais le gouvernement doit désormais être à la hauteur», a pointé Sarah Durocher, présidente du Planning lors d’une conférence de presse, le 7 janvier. «Depuis la constitutionnalisation, on a plus de mal à mobiliser», constate également Suzy Rojtman, militante du collectif Avortement en Europe : les femmes décident.

Les initiatives parlementaires n’ont, elles non plus, pas foisonné. A droite des hémicycles, les voix d’opposition à la Constitutionnalisation s’étaient pourtant élevées pour y opposer la priorité de l’accès. A commencer par celle du président LR du Sénat, Gérard Larcher, qui s’inquiétait sur France Info, il y a un an : «On a fermé en plus de dix ans 130 centres» consacrés à l’IVG, entre 2000 et 2010. Selon des données plus récentes de la Drees, ces fermetures sont en réalité plus importantes : 58 autres CIVG ont fermé entre 2012 et 2018. «Et cela ne tient pas compte des maternités, centres hospitaliers ayant pu fermer, ni des cliniques privées ayant renoncé à pratiquer des IVG», précise Danielle Gaudry, militante au Planning.

«Une insuffisance d’accès à la méthode instrumentale»

«Les inégalités territoriales d’accès à l’avortement sont toujours importantes. Elles sont à lier avec la situation générale très dégradée des hôpitaux, à la fermeture des maternités de proximité», s’inquiète Suzy Rojtman. Si 82 % des femmes ont pu avorter dans leur département de résidence en 2023, selon l’étude de la DREES, elles ne sont que 52 % en Ardèche. «Rien qu’en Ile-de-France, il y a des endroits où les délais vont être plus longs, poussant les femmes à traverser la région pour avorter. J’ai aussi déjà eu des patientes venant d’autres régions», note Laura Marin Marin, responsable d’un CIVG en région parisienne et ancienne secrétaire nationale de l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (ANCIC). «Plus de la moitié des femmes attendent plus de sept jours pour avoir un rendez-vous, au lieu des cinq jours recommandés par l’OMS», a complété Albane Gaillot, codirectrice du Planning familial.

L’augmentation constante du recours à la méthode médicamenteuse, représentant 79 % des avortements, en 2023, interroge sur la persistance d’un réel choix pour les femmes. Le ministère de la Santé y fait écho positivement : «Au cours des 20 dernières années, le développement rapide de l’offre de ville a permis de compenser en large partie – et pour la pratique médicamenteuse – la contraction de l’offre hospitalière.» Au contraire, Laura Marin Marin s’en alarme : «Je pense que cela reflète une insuffisance d’accès à la méthode instrumentale. Majoritairement proposée sous anesthésie générale, elle nécessite davantage de moyens humains et matériels. Il faudrait mobiliser ces moyens, mais aussi développer l’anesthésie locale en établissements de santé comme en centres de santé.»

L’extension de la pratique des IVG instrumentales aux sages-femmes l’an dernier – un des dispositifs de la loi Gaillot de 2022 ayant permis d’allonger le délai légal de 12 à 14 semaines de grossesse – est particulièrement précieuse. «Une sage-femme est venue travailler avec nous et nous a permis de maintenir une équipe médicale complète. On n’avait pas de médecin candidat», expose Laura Marin Marin. Mais cette mesure ne saurait, à elle seule, compenser le manque de médecins pratiquant des IVG. La responsable d’un CIVG suggère : «Les sages-femmes n’ont actuellement la possibilité de réaliser l’IVG instrumentale qu’en milieu hospitalier. Elles pourraient aussi être réalisées en dehors, dans les centres de santé pour celles souhaitant s’y former.»

«Certains médecins font écouter le cœur du fœtus»

Le recours à la double clause de conscience par les soignants, leur permettant de refuser de pratiquer cet acte médical, reste lui aussi toujours aussi opaque. La création d’un répertoire de professionnels et structures pratiquant les IVG, prévue par la loi Gaillot et délégué aux ARS par le ministère de la Santé, est toujours en construction. «Au 1er janvier 2025, 13 régions disposaient d’un annuaire complet. Deux régions disposaient d’un annuaire identifiant les établissements de santé et les structures de ville contribuant à l’activité d’IVG mais sans inclure les professionnels libéraux concernés», précise le ministère de la Santé. «Le compromis réalisé en 1974 vit toujours», déplore Suzy Rojtman. Les tentatives parlementaires de supprimer cette double clause, se sont toutes soldées par des échecs.

Près d’une femme sur trois rapporte, dans le baromètre du Planning, avoir ressenti des pressions des mouvements anti-choix, de leurs proches ou des soignants. «Selon notre enquête, certains médecins font toujours écouter le cœur du fœtus aux patientes», a dénoncé Albane Gaillot. La pression des mouvements réactionnaires ne cesse, elle, de s’accentuer. Afin de contourner le délit d’entrave, ils diversifient leurs «méthodes», indique la chargée de plaidoyer du Planning Nina Mériguet, comme «distribuer des numéros aux femmes sur le trajet du Planning familial, les renvoyant vers une ligne anti-avortement».

«Deux mois après le lancement de notre tchat en ligne, en mars 2023, les anti-choix avaient déjà lancé le leur. On a mis deux ans, eux deux mois», met en regard Sarah Durocher, signe de financements importants. 75 000 euros sont encore nécessaires au Planning pour pérenniser leur dispositif. Lors des 40 ans de la loi Veil, la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, avait notamment annoncé la création d’un numéro d’appel national (0 800 08 11 11), géré par le Planning, que ce tchat est venu compléter, mais aussi le remboursement à 100 % des IVG, amorcé en 1982. La dernière campagne nationale d’information sur l’IVG avait également été annoncée dans le cadre de cet anniversaire. Dix ans plus tard, les associations attendent des réponses au moins aussi fortes.

Libération

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