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«On fait le même travail que les patrons.» Emilie Faucher, 50 ans, est employée depuis plus de dix ans par le service de remplacement agricole du Puy-de-Dôme. Vacances, maladies, maternité ou formation : elle se déplace chaque année sur une quarantaine de fermes pour en prendre les rênes à la place des propriétaires. S’il faut savoir «faire ses preuves», comme souvent dans le monde agricole, elle trouve l’accueil de plus en plus chaleureux. «On est là pour leur apporter du répit et, avec la baisse du nombre d’exploitants, ils comprennent notre importance.»
Le phénomène se vérifie à l’échelle nationale : face à l’agrandissement des exploitations et au manque de candidats à la reprise, les salariés comme Emilie Faucher prennent en charge une part croissante du travail agricole. Plus d’1,2 million de personnes ont été employées par les agriculteurs sur les fermes françaises en 2023 selon les chiffres des syndicats et de la FNSEA, soit le triple du nombre d’exploitants (400 000). Mais ces ouvriers ne se voient proposer dans la vaste majorité des cas que des contrats à durée déterminée, et ne représentent donc que 40 % de la force de travail en équivalent temps plein.
«On se bat souvent contre la FNSEA»
Pour faire porter leurs voix, Emilie Faucher a été élue en 2019 au nom de la CFDT à la chambre d’agriculture de son département. Elle occupe l’un des six sièges réservés aux salariés, parmi les 35 que compte la chambre. La plupart des autres sièges sont réservés aux exploitants en activité ou retraités, qui restent donc majoritaires, comme partout en France. Revenus, conditions de travail, formation… «On se bat souvent contre la FNSEA, mais ils sont bien équipés juridiquement, et notre voix pèse peu», reconnaît Emilie Faucher. Elle espère renouveler son mandat à l’occasion des élections qui se sont ouvertes mercredi 15 janvier et verront 700 000 employés agricoles appelés aux urnes. Seuls ceux qui ont travaillé plus de trois mois l’année passée pourront voter, écartant près de 500 000 autres travailleurs occasionnels.
L’enjeu, du côté des syndicats d’employés, est de mobiliser. Un défi de taille, puisque lors des dernières élections, en 2019, le taux de participation de ce collège n’a pas atteint 20 %, contre plus de 46 % pour les exploitants. «Les syndicats ont du mal à recruter et à faire voter, parce que les salariés sont la plupart du temps isolés, avec des statuts très différents allant de l’ouvrier permanent au saisonnier étranger», analyse le sociologue Loïc Mazenc, auteur d’une thèse sur la représentation syndicale dans le milieu agricole.
Le défi de la participation
Ce faible engagement aggrave le désintérêt pour le sujet au niveau national. «Les salariés sont invisibles», regrette Benoît Delarce, secrétaire général de la branche agricole de la CFDT. Le manque de considération se vérifie au plus haut niveau : après le déplacement de Gabriel Attal fin janvier 2024 pour calmer la colère agricole, les syndicats de salariés ont dû attendre le début du mois d’avril pour être reçus par l’Elysée.
Les centrales syndicales sont tout aussi impuissantes face au mastodonte de la FNSEA. En novembre 2024, le syndicat agricole majoritaire a par exemple refusé la hausse de la grille salariale demandée par les employés. La revalorisation du smic de 2% a bien été prise en compte sur le premier échelon de rémunération, mais les patrons ont refusé d’appliquer cette hausse sur les échelons suivants. Un paradoxe, pour une profession qui manifeste depuis la fin 2023 en dénonçant ses faibles revenus.
Gestes répétitifs, postures difficiles, astreintes, logements saisonniers insalubres : l’autre urgence reste l’amélioration des conditions de travail. Malgré la mort de quatre salariés dans la Marne lors des vendanges caniculaires de l’automne 2023, coopératives et producteurs de champagne n’ont pourtant pas hésité à envoyer, six mois plus tard, un courrier à la préfecture pour exiger des dérogations. «Dans l’intérêt des viticulteurs», soulignent les courriers consultés par Libération et datant d’avril 2024, les professionnels exigent, malgré le drame, de pouvoir continuer à porter la durée hebdomadaire du travail à soixante-douze heures lors de la récolte. Les intérêts économiques priment sur la santé des salariés, pourtant deux fois plus touchés par les pathologies liées aux pesticides et présentant plus de risque de suicide que les exploitants.
Des cadeaux fiscaux plutôt que des droits sociaux
Parmi toutes les concessions du gouvernement aux agriculteurs, la seule mesure sociale est allée contre l’intérêt des salariés. Les exploitants ont obtenu la reconduction du dispositif «TO-DE», une exonération de cotisations patronales jusqu’à 1,25 smic. Une «trappe à bas salaires» dénoncée par les syndicats, et identifiée depuis 2019 par le gouvernement comme une possibilité d’économie budgétaire de 700 millions d’euros annuels. Les chiffres de l’Insee et du ministère de l’Agriculture confirment les conséquences de ce cadeau fiscal offert aux exploitants. Alors que la rémunération moyenne s’élève à 3 466 euros brut par mois à l’échelle française tous secteurs confondus et à 3 065 euros dans l’industrie, les employés dans l’agriculture gagnent seulement 2 057 euros en moyenne par mois, soit environ 1,3 smic.
Pour les syndicats de salariés, les élections aux chambres sont l’occasion de défendre une orientation plus sociale des aides agricoles. Car aucun des soutiens publics au secteur, représentant 15 milliards d’euros par an, n’a pour l’instant l’objectif de soutenir l’emploi dans les fermes. A l’échelle européenne, la nouvelle mouture de la Politique agricole commune (PAC), espérait s’attaquer au sujet avec une conditionnalité sociale des aides. Ce dispositif a cependant été détricoté par le lobby agricole européen, le Copa et la Cogeca, qui est parvenu à laisser la mesure au bon vouloir de chaque Etat membre, au nom de l’allègement des contrôles.
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