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C’est une véritable plongée dans les entrailles du Web que nous propose Yishaï Sarid dans la Nuit du hackeur, une ambiance diamétralement opposée à celle du Poète de Gaza, dont les interactions humaines nous avait enthousiasmée en 2013, année où il avait été couronné du grand prix de littérature policière, ou même à celle du Troisième Temple (2018), une sorte d’anticipation biblique que nous avions jugée un peu trop perchée. L’auteur israélien, avocat de formation, a un indéniable talent pour nous transporter d’un univers à l’autre et chaque fois nous surprendre.
«Souterrains»
La Nuit du hackeur nous embarque dans un monde terrifiant, qui existe déjà en partie et que nous apprenons de plus en plus à affronter au fil des cyberattaques. Le héros, Ziv, est un surdoué du piratage informatique, un jeune Israélien qui ne vit que par et pour son ordinateur, dans lequel il cherche sans répit «le chemin vers les souterrains les plus profonds». La réalité le pétrifie, elle lui rappelle à chaque seconde la faute qui le ronge de culpabilité, ce jour où il a oublié de récupérer sa sœur à la sortie de son établissement scolaire, ce qui a valu à cette dernière d’errer seule dans les rues avant de se faire agresser et violer –elle ne s’en est jamais remise. Depuis, il se sent responsable d’elle, d’autant que leur mère ne lui laisse rien passer, le harcelant pour qu’il veille sur elle qui a plongé dans la drogue.
Ziv a été repéré à l’armée par une start-up qui offre ses services de cybersurveillance à des Etats inquiétés par leurs opposants. Son travail «consiste à identifier les failles dans les systèmes de protection des téléphones et des ordinateurs pour pouvoir les pirater». Il peut pénétrer ainsi dans le quotidien de chacun, partout dans le monde, et il ne se prive pas de pénétrer celui de sa sœur dont il surveille à distance les moindres faits et gestes. «Nous avions tous un bon salaire, les soucis du monde ne nous concernaient pas. […] Nous ne disions pas un mot de ce que nous faisions, l’armée nous avait dressés à garder le secret.» Rongé par la timidité, il est incapable de draguer une fille. Il aime en secret Iris, une de ses collègues de travail, mais se montre pétrifié à chaque fois qu’il se trouve face à elle. Son seul ami est peut-être son voisin de palier, un vieux monsieur solitaire et bienveillant. Ziv est ainsi un homme seul dont la souffrance a permis d’ériger un mur entre lui et le reste du monde qui l’empêche de comprendre la souffrance des autres.
Monstre froid
Un jour, un journal publie un article qui provoque un branle-bas de combat dans l’entreprise : celle-ci vendrait ses systèmes à des pays non démocratiques qui s’en serviraient pour poursuivre des opposants à leur régime, journalistes ou militants des droits de l’homme. Aussitôt une contre-offensive s’organise. La direction assure à ses salariés que l’article est un tissu de mensonges. «Vous connaissez la vérité. Nous aidons nos clients à combattre le terrorisme, la pédophilie, le trafic de drogues et d’êtres humains. Nous sommes du côté des gentils.» Très vite, le lecteur va se rendre compte que ce n’est pas le cas. Ziv est tellement bon dans son domaine que son chef l’envoie dans un pays d’Europe de l’Est dont le dirigeant cherche à éliminer ses opposants. Et là, il va basculer dans un monde de terreur avec lequel, fasciné et comme lobotomisé, il va collaborer. N’hésitant pas, sans en saisir vraiment les conséquences, à cautionner la torture et le meurtre. Devenant peu à peu un monstre froid.
Yishaï Sarid est le fils de Yossi Sarid, grande figure de la gauche israélienne, mort en 2015. Ce n’est peut-être pas un hasard si ses romans sont éminemment politiques, ce qui est bizarrement assez rare chez les auteurs israéliens, davantage tournés vers l’introspection ou les tourments familiaux. La Nuit du hackeur est un roman fort instructif à l’heure où les géants de la high-tech prennent les rênes de la planète.
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