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Le téléphone continue de chauffer au CIVB, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux. Depuis l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis et son investiture officielle le 20 janvier, le spectre d’une taxe américaine plane à nouveau sur la filière viticole. Les professionnels du vin girondins s’interrogent en masse sur l’avenir des exportations outre-Atlantique. Au bout du fil, la réponse reste invariablement la même : «Aujourd’hui, personne ne sait. On ne prend pas position tant qu’on est dans le flou.» S’il martèle ne pas avoir de boule de cristal, le directeur de la communication, Christophe Château, assure pourtant ne pas être dupe. «C’est dans son programme, donc je serais surpris qu’il ne le fasse pas. Mais 5, 10, 25 % ? On ne sait pas à quelle hauteur sera cette taxe, ni l’échéance… Attendons d’avoir mal avant de crier», tempère-t-il.
Reportage d’archives
Dans le Bordelais, comme dans les autres vignobles français, l’enjeu est d’autant plus important que les Etats-Unis restent, aux côtés de la Chine, le premier marché en valeur des vins de Bordeaux à l’export. En 2023, 205 000 hectolitres, soit l’équivalent de 27 millions de bouteilles, ont été exportés pour un chiffre d’affaires estimé à 369 millions d’euros. «Certains opérateurs ont anticipé comme ils pouvaient en fin d’année dernière en envoyant des palettes avec les prix actuels. Mais c’est une solution éphémère. La vérité, c’est qu’il n’y a pas grand-chose à faire de plus pour l’instant. La seule solution sera de faire pression sur le gouvernement ou sur l’Union européenne pour engager des discussions», analyse le communicant.
«On ne pourra pas s’aligner sur une taxe à 25 %»
Les professionnels du vin gardent un souvenir traumatisant du précédent mandat de Donald Trump. Dès le mois d’octobre 2019, le président, fervent défenseur du protectionnisme américain, avait décrété des droits de douane de 25 % sur les bouteilles de vin provenant de l’Hexagone dans le cadre du conflit qui opposait Boeing à Airbus. Un mois plus tard, le CIVB enregistrait un recul de 46 % du chiffre d’affaires et de 24 % en volume (par rapport à 2018).
«En période d’euphorie, perdre un marché, ça peut se gérer. Avec la crise que le métier traverse actuellement, c’est très grave», remarque Christophe Château. Depuis cinq ans, les vins de Bordeaux font face, en effet, à de multiples coups durs, rappelle le CIVB : «Repli des importations chinoises de vin, crise politique à Hongkong, incertitudes autour du Brexit, crise sanitaire inédite et interminable, répercussions de la guerre en Ukraine, inflation…» Les mutations de la consommation comme la déconsommation d’alcool, et plus particulièrement de vin rouge, ont aggravé la situation.
Aux manettes du château Brown de l’appellation pessac-léognan, Jean-Christophe Mau, un vigneron issu d’une longue lignée de négociants, attend lui aussi fébrilement des nouvelles de l’autre bout du monde : «Si les taxes s’envolent, ça sera dramatique. On le sait, on l’a déjà vécu. On sera obligés de remonter nos prix mais on ne pourra pas s’aligner sur une taxe à 25 %», rapporte le Girondin, qui craint de devoir rogner sur ses marges, déjà revues à la baisse en 2024. «Pour les très grands vins, chez les gens excessivement fortunés, l’impact sera moindre. Les petits châteaux, c’est une tout autre histoire. Déjà qu’ils jouent à un ou deux euros près pour s’ajuster sur les prix, si on rajoute ne serait-ce que 10 % de taxe douanière, il y aura de la casse.» Jean-Christophe Mau dépeint le marché des Etats-Unis comme «un marché mature, de connaisseurs, avec des leaders d’opinion, des critiques. Un pays où les vins se vendent cher, générateur de réussites commerciales pour le Bordelais. On a besoin d’eux».
La filière cognac dans l’attente
Président des vignerons indépendants de France, Jean-Marie Fabre se montre particulièrement pessimiste. «Il ne faut plus se positionner en hypothétiques victimes mais comme un secteur qui va être touché. Je n’ai pas peur d’employer le mot, nous entrons dans une nouvelle ère de guerre commerciale», présente-t-il d’emblée. Dans le pays, selon les chiffres du syndicat, plus de 3 600 vignerons indépendants exportent vers les Etats-Unis. Lors de l’instauration de la précédente taxe en 2019, le vignoble français avait accusé une perte d’environ 30 % de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis, estimé entre 3 et 3,5 milliards. «Comment, avec ces taxes douanières supplémentaires, pouvons-nous continuer à être compétitifs ?» s’interroge-t-il.
Autre victime potentielle des taxes que pourrait imposer Donald Trump, la filière cognac attend elle aussi des annonces concrètes avant de s’alarmer. D’autant qu’elle fait déjà face à la hausse des taxes douanières de la part de la Chine – c’est d’ailleurs afin de tenter d’obtenir leur suppression que François Bayrou s’envolera prochainement pour Pékin. «En ce qui concerne les Etats-Unis, les récentes annonces de Donald Trump ne visent en rien le cognac spécifiquement, nous restons toutefois à l’écoute des prochaines mesures de la politique commerciale internationale du président élu», nuance le Bureau national interprofessionnel du cognac. Un sujet explosif pour le spiritueux charentais, dont 98 % des ventes se font à l’export, avec les Etats-Unis comme premier marché, devant la Chine.
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