De Kherson à Kryvy Rih, la double peine d’Igor Stepanenko, « déplacé » ukrainien deux fois veuf

De Kherson à Kryvy Rih, la double peine d’Igor Stepanenko, « déplacé » ukrainien deux fois veuf

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Il n’y avait pas d’enfants aux funérailles d’Oksana Soukhoroukova, mardi 21 janvier. Pourtant, Oksana adorait les petits, et tous les enfants de Kryvy Rih qui étaient passés par sa classe l’adoraient. Elle enseignait la musique dans cette grande ville industrielle du sud-est de l’Ukraine, mais lisait aussi de la poésie et prolongeait ses cours par des séances de dessin. « Pour la journée des Cosaques, mais aussi les premiers et derniers jours d’école, toutes les grandes occasions, c’est elle qui dirigeait la chorale », racontent ses collègues. Elles sont venues sans leurs élèves. La mort brutale d’une institutrice n’est pas faite pour les enfants.

L’hommage a lieu dans la banlieue sud de Kryvy Rih, au pied de l’immeuble en béton où, au troisième étage, vit la mère d’Oksana : les anciens camarades de classe, 45 ans comme la défunte, les voisins du quartier, les profs de l’école 114, une centaine de personnes emmitouflées, doudoune et bottes fourrées, chrysanthème ou œillet à la main. Le cercueil est déposé sur trois petites chaises. Ouvert, c’est la tradition. Lorsque, à l’heure du rendez-vous fixé, une énième alerte aérienne vient provoquer l’assistance, celle-ci ne cille pas, trop écrasée par la lassitude. Cheveux emprisonnés dans un foulard, le visage maquillé et crayeux d’Oksana continue de fixer ce ciel de tous les dangers.

« Tu chantais si bien… Jamais des parents ne devraient avoir à enterrer leurs enfants. » Le chagrin bruyant de la mère d’Oksana recouvre la lente psalmodie du prêtre et noie même le grelot de la cloche d’école à manche de bois qui accompagne la dépouille mortelle, en direction de l’un des cimetières de Kryvy Rih. Ses sanglots enflent de nouveau devant la tombe béante et raflent tout l’hommage. Une autre sentinelle, bouquet de roses rouges à la main, mais silencieuse, elle, veille aussi le caveau. Un bel homme costaud, blond aux yeux bleu pâle, se tient debout, aussi perdu et solitaire qu’un peu plus tôt au pied de l’immeuble, sans que personne ne cherche vraiment sa compagnie. « Mes enfants commençaient juste à l’appeler “mama” », nous confie-t-il, avant de s’éclipser discrètement.

Le Monde

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